
Plus de 200 000 manifestants ont participé aux 260 cortèges de mercredi, selon la CGT. Les salaires, la réforme de l’assurance-chômage, mais aussi le contexte international ont nourri les revendications.
Par Naïm SAKHI, Pauline ACHARD & Maxime PIONNEAU
Après un 1er mai 2023 hors normes avec ses 2 millions de manifestants partout en France contre la réforme des retraites, l’édition 2024, avec ses « plus de 200 000 » participants revendiqués par la CGT, s’aligne sur des standards plus habituels, enregistrés par exemple en 2022. Retour à la normale ? Pas vraiment, selon Sophie Binet. « C’est le bon curseur », pour la secrétaire générale de la CGT, qui prouve que « la colère sociale, elle est bel et bien présente ».
Paris, l’unité syndicale s’exprime localement
Au départ de la place de la République, l’unité syndicale donne le ton. Car, contrairement aux habitudes prises lors de la précédente décennie, ce n’est pas deux cortèges distincts, mais un seul, regroupant les structures franciliennes de la CGT, de la CFDT, de la FSU, de Solidaires et de l’Unsa, qui a défilé jusqu’à la place de la Nation. « Pour retrouver le goût de la justice sociale, nous essayons, en ce 1er mai, une cure de bien-être social », insiste Laurent Escure. Selon le secrétaire général de l’Unsa, « l’intersyndicale construite durant le mouvement des retraites a continué de converger sur les accidents du travail, sur la grève féministe du 8 mars ou dans son opposition à la loi immigration, sans pour autant nier nos différences ».
Parmi les 50 000 manifestants (18 000, selon la préfecture), Luc, militant CFDT depuis trente ans, entouré d’une cinquantaine de gilets orange, donne le mode d’emploi : « L’unité syndicale est toujours là. Dans l’entreprise, la CFDT sera toujours dans le dialogue. Mais, pour les grandes préoccupations nationales, nous sommes prêts à nous mobiliser, dans l’intérêt des salariés. » Son organisation appelait à converger dans les rassemblements du 1er mai, avec un mot d’ordre axé sur une Europe « plus sociale et ambitieuse ». « L’Europe nous empêche d’améliorer notre pouvoir d’achat. Il y a une grande colère dans les entreprises. Nous avons construit 14 journées de mobilisation sur les retraites qui se sont bien passées. Pour se faire entendre, faut-il une explosion sociale comme durant les gilets jaunes ? » s’interroge le militant cédétiste.
Les syndicats franciliens prennent position à l’unisson, à l’aube d’une triple réforme sur l’assurance-chômage, sur la fonction publique et sur une loi d’affaiblissement du droit du travail. « Les choses sont claires. L’unité syndicale est un acquis. C’est un trésor précieux que nous avons entre les mains. Cela nous permettra d’enclencher, le moment venu, une forte mobilisation », prévient Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.
« Les Jeux ne doivent pas se faire sur le dos des travailleurs ! »Murielle Guilbert, de Solidaires
La centrale de Montreuil multiplie les luttes. Ce mercredi matin, le syndicat des éboueurs de Paris a d’ailleurs déposé un préavis de grève durant la période des jeux Olympiques. « Plus de 15 millions de touristes sont attendus. Comment croire que notre travail ne sera pas impacté ? » demande Karim Kerkoudi. Éboueur depuis vingt-deux ans, il a dû décaler ses congés pour assurer le service durant l’événement sportif. Parmi les revendications figure celle de l’octroi d’une prime de 1 900 euros, à l’instar de celle versée aux policiers. « Les Jeux ne doivent pas se faire sur le dos des travailleurs ! » martèle Murielle Guilbert, de Solidaires. Son organisation n’exclut pas des actions, mêmes symboliques, durant les épreuves.
Saint-Étienne. La jeunesse aux manettes, l’emploi dans les têtes
« Libérons-nous des patrons, colons, matons », pouvait-on lire sur la pancarte en carton d’un jeune homme arborant en guise de cape un drapeau palestinien, devant la place de la bourse du travail, mercredi matin. Plusieurs milliers de manifestants de la région stéphanoise se sont réunis à l’appel de l’intersyndicale CGT, FSU, Solidaires, Unsa et CNT pour « la lutte et la solidarité internationale, l’emploi, une Europe sociale et contre les politiques réactionnaires et d’austérité ». Si les cinq syndicats, rejoints par Force ouvrière, sont en tête, prêts à s’élancer vers la place Jean-Jaurès, ce sont les cortèges de jeunes, voire de très jeunes, que l’on entend le plus au départ de la manifestation. Seul incident, l’expulsion de la tête de liste socialiste aux européennes Raphaël Glucksmann (voir article précédent).
Fière d’assister à une forte mobilisation de la jeunesse stéphanoise, Mireille Carrot, la secrétaire générale de l’Union départementale CGT, fait état d’un contexte particulièrement tendu dans la région en termes d’emploi. En toile de fond, le démantèlement du fleuron de l’économie locale, Casino, dont le nouveau directeur général, Philippe Palazzi, a annoncé la semaine dernière la suppression de 1 293 à 3 267 postes, dont au moins 554 au siège historique stéphanois. Quant à l’usine Ascometal du Marais (58 emplois), elle se retrouve en redressement judiciaire pour la troisième fois.
« J’ai des collègues en CDI qui vont au Secours populaire français pour finir le mois. »Gilles Mapelli, secrétaire général de l’union locale (UL) CGT
Dans ce contexte, les attaques récurrentes de l’exécutif contre l’assurance-chômage inquiètent Matthieu Le Meur, représentant de la CGT précaires et chômeurs : « On doit de plus en plus se justifier d’un état de fait déjà extrêmement douloureux, car la majorité s’évertue à entretenir le mythe du chômeur glandeur. » Mais les jeunes manifestants stéphanois ne semblent pas prêts à baisser les armes.
Angers. Salaires et combines de fins de mois
C’est son premier 1er mai. Engoncée dans son ciré jaune, Dominique, 63 ans, attend dans le bas de la place Imbach, à Angers (Maine-et-Loire). « J’étais soignante et je devais travailler ce jour-là », témoigne la néoretraitée, heureuse de son nouveau sort et de sa pension de 3 500 euros par mois. « Si je n’ai pas perdu de pouvoir d’achat en étant à la retraite, c’est parce que j’ai des complémentaires, c’est une pratique familiale », reconnaît-elle. Au sein de ce cortège initié par la CGT, FSU Solidaires, Unef et MNL, elle semble bien seule dans cette situation où « inflation » et « pouvoir d’achat » sont des mots qui reviennent dans toutes les bouches.
« De plus en plus de gens trouvent des petites combines, comme des vols dans les magasins », confie Nicolas, étudiant de 20 ans et adhérent au NPA Jeune Révolution. À ses côtés, Gabin a dû lâcher ses études en littérature anglaise pour trouver un job dans l’infogérance : « Je me suis décidé quand, le 12 du mois, j’ai eu zéro sur mon compte… » Secrétaire de la section CGT du CHU d’Angers, Cécile Chevalier-Cervelle est occupée à scotcher un drapeau à l’arrière d’une camionnette transportant la sono. « Les salaires sont tellement bas que la précarité s’installe chez les travailleurs, j’ai des collègues qui n’arrivent pas à se loger », raconte-t-elle.
Employé chez l’équipementier automobile Valeo, qui compte 1 200 salariés localement, Gilles Mapelli, secrétaire général de l’union locale (UL) CGT, fait les comptes : « On a 161 personnes qui ont vu leur salaire « doublé » par le Smic. J’ai des collègues en CDI qui vont au Secours populaire français pour finir le mois. » Bénédicte, infirmière coordinatrice dans une résidence pour seniors, affirme manger « des produits de moins bonne qualité ». « Je consomme moins bio », témoigne celle qui a déjà prévu son plat du midi : brocolis et tofu. Pour Antoine, ouvrier viticole, c’est sur les loisirs qu’il faut rogner : « Je ne peux pas mettre d’argent de côté, si j’ai un problème avec ma voiture, ça va être chaud de partir en vacances cet été. »
À 11 h 30, le cortège de 1 000 personnes se met en marche en direction du boulevard Foch. Les parapluies des retraités côtoient ceux de la quarantaine de militants libertaires habillés de noir et réunis derrière une bâche siglée « violence étatique, zbeul olympique ». Une heure et demie plus tard, la manifestation retourne à son point de départ. Il est l’heure d’avaler un sandwich saucisse ou merguez pour 3 euros. Cette valeur sûre est-elle, elle aussi, touchée par l’inflation ? Derrière le comptoir, un militant de la CGT nous l’assure : « Ça n’a jamais augmenté. »
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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/1er-mai/un-1er-mai-pour-etendre-les-luttes
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