
« Déluge de grenades », nombre de policiers disproportionné, opposants criminalisés… Un rapport des Observatoires des pratiques policières accable le dispositif utilisé lors de la Turboteuf contre l’A69, début juillet.
Par Justine GUITTON-BOUSSION.
« Un virage autoritaire dans la gestion de l’écologie politique. » Les Observatoires des pratiques policières (OPP) de Toulouse et du Tarn ont rendu publique, le 1er août, une analyse des opérations de police lors de la mobilisation contre l’A69 qui s’est tenue du 4 au 6 juillet. Leur principale conclusion : le gouvernement et la préfecture ont criminalisé les militants en amont de l’événement, pour ensuite justifier un « dispositif de sécurité exceptionnel » sur place, et l’usage « disproportionné » des grenades lacrymogènes.
Rembobinons. Baptisé « Turboteuf contre l’A69 », l’événement organisé début juillet devait initialement célébrer l’annulation de l’autorisation environnementale de l’autoroute entre Castres et Toulouse. La cour administrative d’appel ayant finalement autorisé la reprise des travaux, le 28 mai, le week-end était prévu pour réunir les opposants et remobiliser les troupes. Ils étaient conviés sur le domaine privé du château de Scopont, dans le Tarn, tout près du chantier. Entre 1 000 et 2 000 personnes étaient présentes.
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« La rencontre des 4, 5 et 6 juillet était annoncée festive. Pourtant, ministre et préfet ont de suite dressé un tableau apocalyptique des événements », notent les Observatoires de Toulouse et du Tarn dans leur rapport.
Ainsi, le 5 juillet, à 12 h 56, alors que les militants arrivaient à peine au domaine du château, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a publié sur le réseau social X le message suivant : « Quand, au nom de l’écologie, on prépare une manifestation avec des armes comme des catapultes, des boules de pétanque ou des haches ; quand, au nom de l’écologie, on mobilise des dizaines de militants d’ultragauche encagoulés et dangereux, dont une cinquantaine de fichés S, qui ne veulent que détruire ou casser du flic, alors c’est qu’on a basculé dans la sédition et l’ultraviolence. »
Son post était accompagné de photos montrant des objets saisis par les forces de sécurité : des boules de pétanque, des haches et des piolets, du matériel de bricolage et de camping, une cagoule rose et des équipements de protection (masques à gaz, casques, etc.). Le ministre a même affirmé que les participants à cet événement n’étaient pas « des militants de la cause écologique », mais « des groupes de barbares sans limite qui veulent créer le chaos et s’en prendre aux forces de l’ordre ». Tout cela, alors que l’événement n’avait pas encore démarré.

Une heure plus tard, à 13 h 50, le préfet du Tarn a indiqué sur X avoir réalisé 55 saisies « portant sur des armes et des objets pouvant constituer des armes par destination ». Les photos montraient les mêmes objets que ceux publiés par Bruno Retailleau, ainsi que des masques de ski et des paires de ciseaux. « Ces résultats, conjugués à la présence constatée de nombreux individus masqués et cagoulés, confirment que ce rassemblement présente un risque avéré de troubles graves à l’ordre public », a conclu le préfet.
120 tirs de grenades en 2 heures
« On est face à un cas d’école d’une situation déjà analysée par les sociologues Fabien Jobard et Olivier Fillieule, commente Loïc Faucoup, bénévole de l’OPP de Toulouse. [Le gouvernement] fait une prophétie autoréalisatrice : il faut que la journée se passe mal, donc met tout en œuvre pour que ça se passe mal, en déployant un dispositif complètement surdimensionné. »
Les Observatoires relèvent ainsi que « 1 600 policiers et gendarmes » ont été mobilisés lors du week-end (soit à peu près autant que le nombre de manifestants), ainsi que 3 blindés Centaure, 2 hélicoptères, 2 engins lanceurs d’eau, 1 avion, plusieurs drones, des véhicules blindés, des lance-grenades…
« Lors de cette journée, nous avons constaté un usage répété et disproportionné des gaz lacrymogènes », écrivent les auteurs du rapport. Ils ont recensé « plus de 120 tirs de grenades en 119 minutes » le 5 juillet, lorsque certains manifestants ont quitté le domaine privé du château pour essayer de s’introduire et de « danser » sur le chantier de l’autoroute.

« Les personnes qui ont quitté le site ont, factuellement, participé à une manifestation interdite, reconnaissent les OPP. Cela suffit-il […] pour justifier le déluge de grenades qui s’est abattu sur les manifestants à partir de 17 h 32 ? » Les premiers tirs de grenades des forces policières ont en outre déclenché un incendie dans les herbes sèches, que les militants sont parvenus à éteindre eux-mêmes.
Du côté des manifestants, les observateurs ont constaté quelques « jets de pierres » et des « tirs de 2 ou 3 mortiers d’artifice » en fin de journée. Parmi eux, l’OPP indique même avoir débusqué des policiers « infiltrés » et « déguisés en zadistes ».
« Le contraste entre le déploiement sécuritaire, la rhétorique nationale employée et le calme réel de l’événement [seules trois personnes ont été interpellées puis relâchées faute d’éléments] révèle un décalage intentionnel dans la gestion des luttes écologistes », dénoncent les auteurs du rapport.
Avec ce récit, tout citoyen qui voudrait exprimer une opposition à un projet d’autoroute près de chez lui est assimilé à un ennemi, accusé de vouloir « casser du flic ». Ses motivations écologiques sont ainsi disqualifiées a priori, avant même la mobilisation. « Ce n’est plus l’acte violent qui justifie la répression, mais la simple possibilité de résistance collective », dénoncent les Observatoires des pratiques policières. Selon eux, « en criminalisant l’écologie politique, le gouvernement participe à réduire les marges de la démocratie ».
« Personne n’a envie de participer à une manifestation au risque de se faire gazer, de se faire fouiller systématiquement — on a reçu des témoignages de jeunes femmes qui ont été fouillées de manière excessive et traumatisante, réagit Loïc Faucoup. L’expression démocratique d’opposition à l’A69 est mise à mal, alors que la justice n’a même pas encore décidé sur le fond [de la validation ou non de l’autoroute]. En attendant une décision de justice, l’État devrait au contraire laisser l’opposition démocratique s’exprimer. »
Une criminalisation récurrente
Ce n’est pas la première fois que ce constat est dressé. En 2024, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst, affirmait déjà à Reporterre que les personnalités politiques, relayées par des médias mainstream, assimilaient les militants écologistes à des « écoterroristes » et « s’en serv[ai]ent pour justifier le recours à des méthodes jusqu’à présent réservées à la lutte antiterroriste ». Il assurait d’ailleurs que la France était « le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux ».
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Début juillet, un rapport d’Amnesty International a également mis en lumière la stratégie de l’État français pour museler les militants : la mise en place de dispositifs législatifs et judiciaires pour entraver le droit de manifester ; et l’utilisation d’une rhétorique pour stigmatiser les défenseurs de l’environnement, accusés par exemple avant la grande mobilisation de Sainte-Soline, en mars 2023, de vouloir « peut-être tuer des gendarmes ».
Face à tous ces éléments, les Observatoires des pratiques policières assurent que « la gestion policière de la Turboteuf n’est pas un épiphénomène, mais bien un symptôme d’une dérive structurelle ». Qu’il conviendrait selon eux de corriger au plus vite.
Qui sont les observateurs ?
Les observateurs et observatrices des pratiques policières sont des bénévoles qui ne prennent pas part aux manifestations. Présents sur place, ils et elles documentent le déroulement des mobilisations grâce à des notes écrites, des photos, des vidéos, etc.
« L’Observatoire des pratiques policières n’a pas pour objectif d’attaquer ou de discriminer policier·es et gendarmes. Nous sommes là pour décrire et dénoncer les manquements et abus ; y compris ceux effectués par les hiérarchies qui mettent policier·es et gendarmes en danger », affirment-ils.
Leur statut est protégé par le droit international, au même titre que les journalistes. Durant la mobilisation contre l’A69, les observateurs et observatrices présents affirment toutefois avoir été empêchés d’accomplir leur mission correctement, les forces policières ne les ayant pas laissés garder leurs protections (casques, masques, etc.), pourtant indispensables à leur sécurité.
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Source: https://reporterre.net/Un-deluge-de-grenades-un-rapport-accable-la-repression-des-militants-anti-A69
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