« Un engagement unilatéral du gouvernement » : quand l’augmentation de 183 euros promise aux oubliés du Ségur vire au fiasco (H.fr-11/09/24)

La prime de 183 euros s’éloigne pour les 160 000 salariés de ce secteur « essentiel » qu’est la santé.
© Eric Broncard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Depuis un arrêté du 23 juin, 160 000 salariés de ce secteur « essentiel » devaient enfin toucher les 183 euros du Ségur. Faute de financements suffisants versés par l’État comme des départements, les employeurs ne sont pas en mesure de la leur verser.

Par Léa PETIT SCALOGNA.

En publiant l’arrêté, le ministère de tutelle a bien promis une rallonge budgétaire de 600 millions d’euros, mobilisés en 2024 par la Sécurité sociale, l’État et les conseils départementaux. Mais aussitôt l’accord sur la prime Ségur acté, l’Assemblée des départements de France alerte que ses collectivités membres « ne peuvent plus suivre ».

Sur les 600 millions d’euros mobilisés, 170 millions doivent en effet sortir de la poche des conseils départementaux. Leur association représentative dénonce « la précipitation avec laquelle les accords de branche ont été agréés », ce qui les « place devant le fait accompli, dans un contexte d’extrême instabilité politique qui, en outre, les prive d’interlocuteurs ».

Elle demande que la revalorisation salariale soit immédiatement gelée. « Il est à craindre que nombre d’entre eux (les départements) ne puissent honorer cet engagement unilatéral du gouvernement », conclut l’association dans un communiqué.

Président du conseil départemental de la Mayenne, Olivier Richefou est particulièrement remonté contre cette dépense que sa collectivité n’est pas en mesure de soutenir. Il s’agace que le gouvernement démissionnaire renvoie la patate chaude à son niveau. « On ne peut pas nous demander de sortir le chéquier sans être concertés, alors que nous subissons déjà une situation économique complexe », argue-t-il.

La volte-face des départements provoque la colère d’Axess. La confédération des employeurs associatifs du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif affirme a contrario que tous les financeurs étaient au courant de la démarche : « Ceux-ci ont été partie prenante du processus, soit directement, soit par le biais de leur présence dans les instances où a été discutée et validée la démarche. »

Un jugement que partage la direction générale de la cohésion sociale, intermédiaire de la branche au niveau interministériel : « Les déterminants de cette enveloppe ont fait l’objet de travaux d’échange avec les partenaires sociaux de la branche. » Sollicité, le cabinet de la ministre démissionnaire de la Santé, Catherine Vautrin, n’a pas répondu à l’Humanité.

Le président de la Mayenne, Olivier Richefou, a beau supposer « une stratégie électorale (à l’approche des législatives anticipées – NDLR) pour boucler ce dossier ancien à ce moment précis », il n’en démord pas : il ne financera pas cet accord tant que l’État ne dotera pas les territoires des sommes suffisantes. Une démarche pas isolée. Selon un mail consulté par l’Humanité, le président du conseil départemental du Finistère, Maël de Calan, a lui aussi alerté les employeurs associatifs sur le fait que le versement qui incombe à sa collectivité « n’est pas du tout certain à ce stade ».

« Ce sont les employeurs qui courent le risque de devoir financer seuls ces augmentations, donc de creuser les déficits », prévient-il. Les salariés lésés du Ségur pourraient effectivement très bien se retourner contre leurs employeurs, l’arrêté étant tout à fait opposable devant les tribunaux.

« On ne va pas tenir longtemps »

Côté employeurs, ces craintes de recours n’ont pas tardé à surgir, d’autant que le secteur condamné à un sous-financement chronique est déjà sinistré. Dès l’annonce de l’accord, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) s’était réjouie de cet accord « agréé en un temps record » par la ministre du Travail, de la Santé et des solidarités, Catherine Vautrin.

Mais cette fédération d’associations s’inquiétait déjà : « Se pose la question de l’opposabilité de cette décision auprès des autorités publiques. » Les associations craignent que l’État, les départements ne se défaussent de leurs responsabilités et qu’elles se retrouvent seules à devoir faire face.

Les plus solides puisent dans leur trésorerie pour honorer l’augmentation. « Il pourrait y avoir des conséquences sur la masse salariale et la qualité de service de nos établissements », avertit Jérôme Voiturier, directeur général de l’Uniopss, qui détecte déjà un manque de financements de la part des conseils départementaux.

Florian Guyot, directeur général de l’association Aurore, abonde en ce sens : « Aucun de nos financements de cette année ne tient compte du surcoût que représente ce nouvel accord. » À l’échelle de son groupe associatif de solidarité qui emploie 2 800 salariés, le coût est estimé à plusieurs millions d’euros. « Je n’ai pas les moyens de payer les primes que le gouvernement m’oblige de verser », avoue-t-il.

Et s’il ne reçoit pas une rallonge suffisante de la part de l’État, de l’Assurance-maladie et des agences régionales de santé ou du département, il va être « obligé de (s) e poser la question de la pérennité de certains établissements et de certains emplois, à un moment ou un autre ».

Cette extension sous-financée du Ségur peut faire vaciller les structures les plus fragiles. Et pas des moindres. À l’image de l’Armée du salut, qui était « en perte en 2022 et 2023, et réussissait seulement cette année à redresser la barre », selon son directeur général, Guillaume Latil. Sa direction a décidé de mettre en place cette revalorisation salariale malgré le fait que cela lui coûte 3 millions d’euros. En espérant que les subventions arrivent un jour… « Ce n’est pas pérenne, on ne va pas tenir longtemps comme ça », se désole-t-il.

En bout de chaîne, les bénéficiaires les plus précaires pourraient pâtir de cette situation ubuesque. « Cette décision a été prise sans réfléchir, ni anticiper le périmètre concerné, les conséquences que cela pourrait avoir sur les associations, les salariés, le public pris en charge », se désole Yann Zenatti, directeur de l’Adapei du Morbihan.

L’aide sociale étant une des compétences principales des départements, les acteurs du secteur les enjoignent de verser les fonds nécessaires. La présidente d’Axess, Marie-Sophie Desaulle, dit avoir « contacté tous les financeurs nationaux et locaux pour que (…) chacun prenne ses responsabilités, quitte à lancer des actions de contentieux si tel n’est pas le cas ». Pris dans cet embrouillamini, les oubliés du Ségur risquent de le rester encore longtemps.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/accords-de-branche/un-engagement-unilateral-du-gouvernement-quand-laugmentation-de-183-euros-promise-aux-oublies-du-segur-vire-au-fiasco

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/un-engagement-unilateral-du-gouvernement-quand-laugmentation-de-183-euros-promise-aux-oublies-du-segur-vire-au-fiasco-h-fr-11-09-24/

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