
Rima en rime avec Gaza
D’heure en heure, le petit bateau approche des côtes de Gaza vers laquelle il se dirige. Parti le 1er juin depuis l’Italie, le navire humanitaire « Freedom Flotilla » poursuit son chemin vers Gaza. À son bord, l’eurodéputée LFI Rima Hassan, la militante écologiste Greta Thunberg et d’autres militants de la cause palestinienne. J’ai eu un échange avec Rima jeudi et j’ai pu me rendre compte quelle grande force morale la porte et je veux dire que c’est impressionnant sur le plan humain. Le danger s’accroît pour le bateau puisque la marine israélienne a prévu de l’intercepter. En toute illégalité. Ce 5 juin, les autorités israéliennes ont décidé que ce navire ne devait pas accoster sur le territoire palestinien. Elles ont annoncé que le navire serait intercepté par un commando marine de l’armée génocidaire avec un remorquage forcé vers le port israélien d’Ashdod et l’arrestation de l’équipage. Comme d’habitude Netanyahu et ses sbires considèrent que le droit de se défendre après le 7 octobre leur donne tous les droits. A terre, des centaines de personnes suivent leur périple et les soutiennent. Tout le monde connaît et comprend la force de la mise en danger des personnes qui se sont embarquées. Car les expériences comparées dans le passé se sont très, très mal passées. C’était en 2010. Le navire turc « Mavi Marmara » avait à son bord près de 800 personnes. Il était parti vers Gaza pour tenter de briser le blocus qui affamait Gaza. Le gouvernement israélien n’avait pourtant pas hésité une seconde à frapper le navire. Un commando avait débarqué depuis des hélicoptères sur le pont du bateau. Dix personnes sans arme avaient perdu la vie. Aujourd’hui nous parlons d’un petit bateau à voile, et la moindre attaque contre lui pourrait être très meurtrière. Nous allons donc continuer à communiquer sur son parcours et sur les développements à venir. Ce qui nous frappe, c’est que dans l’urgence de la riposte les officines liées à Netanyahu ont dû se mobiliser trop vite pour pouvoir jouer finement leur partition de bourrage de crâne. La poignée de « journalistes » français qui leur obéissent s’est donc précipitée de façon trop violente et grossière pour être efficace. Mais la liste des « répondeurs automatiques » est désormais bien affichée…
Les larbins n’amusent plus
La débâcle dans l’opinion des médias partisans de Netanyahu ne ralentit ni la cadence de leur propagande ni la grossièreté de leurs méthodes. Ils sont parfaits. Car par là même, ils amplifient le désastre moral dont ils sont responsables. Il est vrai que l’air du temps a changé de sens. Même Le Drian finit par dire qu’être traité d’antisémite juste parce qu’on critique la politique du gouvernement d’Israël est insupportable. Pauvre chéri ! 18 mois pour s’en rendre compte ! Bienvenue au club des proscrits avec tous les insoumis, le pape François, Macron, Gutierrez, l’ONU et combien d’autres sans parler de tous les juifs qui refusent d’être englobés par Netanyahu et qui sont eux aussi traités d’antisémites. En tous cas, le numéro des répondeurs automatiques se voit maintenant clair et net. Voyez le collage.
On voit comment tous répètent des éléments de langage qui leur sont fournis par on ne sait qui, mais qui sont clairement des « feuilles de route argumentaires ». Ici la phrase refrain est « la croisière s’amuse ». Chaque perroquet le chante dans son registre. Par exemple, Elizabeth Martichoux parle de l’opération humanitaire comme d’une « croisière qui ne nous amuse pas », d’une opération d’« exhibitionnisme », après avoir insulté Rima Hassan. Sur BFM, le présentateur Christophe Delay évoque « une croisière qui amuse ou qui exaspère ». Sur la chaîne i24news, les propagandistes reprennent le terme de « croisière », et souhaitent qu’il « y ait 2/3 requins ». Le mot important est « croisière » pour dévaloriser le courage de ces personnes qui vont affronter à mains nues militantes l’armée la plus immorale du monde en train de commettre un génocide. Les airs constipés de ces animateurs d’antenne font plaisir à voir. Pendant ce temps sur les réseaux sociaux, les vidéos de soutien contre le génocide circulent par millions d’exemplaires. Un monde double se déploie comme en 2005 contre le traité constitutionnel européen. En haut un bruit de fond unique. Il harcèle dans le vide à partir d’agences d’influence centralisées. En bas un foisonnement contraire porté par des dizaines, des centaines, des milliers d’émetteurs. Ceux-là communient par ailleurs dans un même mépris pour l’officialité. Et celle-ci est, dans l’esprit public, de plus en plus confondues avec les perroquets du système. C’est normal qu’il en soit ainsi. Les noms des « animateurs-journalistes », leur présence permanente sur les écrans officiels les institutionnalise davantage que n’importe quel ministre ou figure politique dont la quasi-totalité reste inconnus du grand nombre. Mais cette omniprésence, le tourniquet du mercato qui les voit passer d’une antenne à l’autre les banalise aussi. Avec un effet satisfaisant pour nous. Les gens parviennent à repérer leurs routines et leurs partis pris ? C’était plus difficile avant. La concentration dans quelques mains de la propriété des médias et leur panurgisme organisé ont constitué une scène unique ou la rangée des personnages remplace celle des émetteurs. Petit à petit prend forme ce que l’on peut nommer, à la suite du Monde Diplomatique, « le parti des médias ». Il est à présent bien ressenti par l’opinion large comme celui du « système ».
Lula vu de près
« Je n’imaginais pas venir à Paris sans te voir ». Ces mots de Lula m’ont très profondément ému. C’était comme un rayon de chaleur humaine venu des amitiés de long cours après tant d’ignobles trahisons ici en France. Je me suis souvenu de ce jour où je suis allé le voir dans sa prison à Curitiba au Brésil. Pour réussir ce rendez-vous, j’avais même renoncé à ma participation aux amphis du mouvement Insoumis. Il me dit : « tu habites à douze mille kilomètres et tu viens me voir et d’autres qui habitent à 100 km ne sont toujours pas venus »… Impossible de lui dire sans ridicule d’émotion ce qu’il représente dans mon parcours militant. Quant au début des années deux mille tout paraissait perdu partout, lui et le PT (Parti des travailleurs) continuaient le combat avec brillo. Il gagnait en 2002 l’élection présidentielle l’année où Jospin la perdait. C’était dans la débâcle générale de la social-démocratie mondiale qui tenait ses réunions autour de Bill Clinton aux « sommets des modernisateurs ». Tout ce qu’on appelle « la gauche radicale » dorénavant, partout, tentait de reprendre le canevas des Brésiliens dans chaque pays : faire une coalition des gauches antilibérales et avec cela fonder une nouvelle force politique. J’ai déjà raconté comment cela s’est enchaîné pour nous en France. Et comment cela s’est défait avec le refus du PCF de passer à l’étape de la construction d’une nouvelle force. Il préférait participer à une « primaire de la gauche » avec le centre-gauche PS-EELV-radicaux de gauche. Ce n’est pas la place ici de reprendre ce sujet, mais l’année des vingt ans du « non » de gauche au traité constitutionnel européen, cette histoire pèse toujours aussi lourd dans le contexte actuel. Aujourd’hui, il ne reste plus du PCF que son ombre sur le mur des souvenirs glorieux de l’ancienne histoire de la gauche. Aucune force dans ses rangs ni autour n’imagine quoi que ce soit d’autres que d’attendre la fin de la vaine gesticulation de Roussel. En réalité sous couvert d’affirmation de « l’identité communiste », chacune de ses déclarations montre à quel point il en est éloigné. Dommage. L’identité communiste est ailleurs. Jamais le monde n’a si bien compris l’idée de bien commun qu’à présent. Jamais l’insoumission aux conséquences du monde capitaliste n’a été autant partagée. Sans le mouvement insoumis, tout point d’appui aurait disparu dans le marécage de la gauche traditionnelle et des groupuscules « unionistes ».
Parler avec Lula
À l’invitation du Président du Brésil, notre délégation Insoumise a été reçue pendant une heure trente ce vendredi. Nous étions là, Aurélie Trouvé, Eric Coquerel et moi. Le Président Lula était accompagné de son ministre des Affaires étrangères, de plusieurs parlementaires et des présidents des partis de gauche dans sa coalition. La rencontre a été très intense et productive. Nous avons rencontré un président en grande forme intellectuelle passant d’un registre à l’autre avec une constante de pensée de gauche qui nous a impressionnées et réjouies. Nous lui avons remis une lettre et le rapport de la députée Mathilde Hignet à propos de l’accord Mercosur auquel nous sommes opposés. Le Président a dit qu’il comprenait notre préoccupation pour la paysannerie familiale française, modèle qu’il entend lui-même défendre dans son pays face à l’agro-business. Nous avons dit au Président Lula que c’est justement la raison de notre refus d’accord de libre-échange au profit d’un accord bilatéral de coopération entre nos deux pays. Il a dit « jamais je n’agirai contre la paysannerie familiale ni au Brésil ni en France » et : « il faut que les paysans aussi se parlent. Nos agricultures doivent être complémentaires ». L’échange s’est terminé par une invitation officielle à Aurélie Trouvé et Eric Coquerel en tant que présidents de commission pour une rencontre avec leurs homologues sur ce sujet pendant la période où le Président brésilien présidera le Mercosur. Sur les autres sujets, l’accord a été complet. Nous avons salué l’engagement sans faille du président Lula pour faire cesser le génocide à Gaza. Plus globalement, nous avons constaté un large accord sur notre vision du monde. Nous avons pu vérifier ce vendredi que nous étions entre partisans du non-alignement, d’un règlement des conflits par la diplomatie et le respect du droit international. Nous nous sommes retrouvés ensemble opposants à la domination du dollar. Et comme nous, Lula constate que la course aux armements qui a repris se paye au détriment de la défense de l’écosystème planétaire. Enfin, nous avons convenu que notre lutte commune contre l’extrême-droite appelait à maintenir des échanges étroits entre nous.
Le congrès du PS finit tôt
J’ai eu des reproches pour avoir traité trop vite le congrès du PS et sur un mode ironique dans mon précédent post. Drame. Ce n’était pas ironique. En vrai, je n’avais rien à dire sur le sujet parce que j’ignore encore complètement quel était l’objet du congrès en dehors des batailles de personnes et des disputes sur la triche traditionnelle dans les votes. « Le Canard enchaîné » en a raconté les bons moments sur ce dernier point. Pour le reste, la question des alliances du PS a l’air réglée à l’unanimité. Aucun PS ne veut plus ni du programme partagé du NFP ni de celui de la NUPES ni d’une alliance avec LFI ni au premier ni au deuxième tour des municipales. Reste, je crois, un débat entre eux pour savoir s’il y aura une primaire entre candidat du PS avant d’aller à une primaire des sociaux-démocrates de « Ruffin à Glucksmann » comme dit Olivier Faure. Mais Glucksmann a déjà dit « non ». Sérieusement, je ne sais pas quoi discuter ou commenter. Je n’ose pas dire qu’un tel modèle de démocratie interne ne nous fait décidément pas rêver. Le nôtre, fédératif et inclusif est bien plus au point, plus actif et plus performant.
Pour être positif, et même coopératif, disons qu’une chose a cependant favorablement retenu mon attention. Je peux le dire à présent sans craindre de desservir tel ou tel candidat premier secrétaire. C’est la proposition certes bien peu défendue de « démarchandisation » portée par Boris Vallaud, le grand électeur de Faure. C’est un authentique point de vue anticapitaliste et c’est une heureuse nouvelle venant du PS si l’on choisit d’y croire. Une idée moins misérable que celle d’allocation de 500 euros à la naissance portée par Olivier Faure pour compenser les inégalités de patrimoine. Cette idée du PRG avait déjà été défendue par Julien Dray dans un passé récent. Au contraire, la « démarchandisation » dans une économie de marché est un concept audacieux pour une social-démocratie. Une économie de marché sans marchandise. Voyons cela. L’idée rejoint notre ambition insoumise de rendre inaliénables les biens communs et de rattacher à ce statut les secteurs d’activité considérés comme « d’intérêt général humain ». Il va de soi que la « démarchandisation » exclut les privatisations par exemple ou bien aussi le passage à la retraite par capitalisation. On peut donc considérer que c’est un ingrédient sérieux pour un nouveau programme partagé mieux ancré dans la démarche anticapitaliste. Ce changement de pied ne doit pas être négligé. On se souvient comment Montebourg avait repris il y a dix ans le concept de « démondialisation » du Philippin Walden-Bello. Mais il a disparu du paysage politique avant d’avoir eu le temps de concrétiser cette idée si peu que ce soit. À suivre donc que cette « démarchandisation » de l’économie de marché. Rappelons que celle-ci en Europe est fondée sur le libre-échange mondial et la concurrence libre et non faussée instituée en valeur suprême par le traité de Lisbonne. On voit que la démarchandisation pourrait être l’occasion pour le PS de remettre en cause ce traité qu’il a voté en 2005 et 2008. Attendons de voir si l’après-congrès du PS tiendra cette promesse de refondation.
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Source: https://melenchon.fr/2025/06/07/un-petit-bateau-pour-notre-honneur/
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