Une explosion du nombre d’écrans publicitaires dans les gares en 2025 (Reporterre-22/01/25)

Manifestation contre la publicité sur des écrans numériques dans le métro de Lyon, le 3 février 2018. – © Nicolas Liponne / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Le nombre d’écrans dans les gares va augmenter de 48 % en 2025, révèle Reporterre. Cette explosion de la publicité est imposée alors qu’une majorité des Français sondés la rejette et qu’elle accroît la gabegie écologique.

Par Erwan MANAC’H.

La décision n’a fait l’objet d’aucune publicité, bien qu’elle modifie l’environnement direct de millions d’usagers : depuis quelques mois, l’installation d’écrans publicitaires dans les gares connaît une accélération exponentielle. Leur nombre va grimper de 48 % en 2025, en à peine un an, dans les gares du réseau SNCF et des métros parisien, marseillais, lillois et rennais, d’après les chiffres déterrés par Reporterre dans la documentation de la régie publicitaire Mediatransports. Ce partenaire des compagnies de transport en commun disposera à la fin de l’année d’un parc de 4 300 écrans publicitaires dans les gares de France.

La tendance est similaire du côté de l’autre géant de l’affichage, JCDecaux, qui déploie ses publicités dans les vitrines des magasins, les centres commerciaux, les aéroports ou les rues de certaines villes. Le chiffre d’affaires généré par celles-ci a grimpé de 18,5 % sur le seul troisième trimestre 2024. Au total, l’afficheur dispose à ce jour de 2 500 panneaux numériques.

Cette accélération résulte d’un choix, discret mais résolu, des compagnies de transport en commun. Les écrans permettent d’augmenter le nombre d’annonceurs, grâce à une rotation des spots toutes les 6 secondes. Ils sont pilotés à distance en quelques clics, ce qui permet aux marques de choisir la tranche horaire de diffusion de leur spot, ainsi que des éléments de contexte comme les conditions météorologiques. Une manière de s’assurer qu’elles s’adressent au profil de voyageur qui les intéresse.

Cette « révolution » du ciblage marketing dans l’espace public est facturée aux marques à un prix plus élevé que les campagnes d’affichage papier. Les régies et les compagnies engrangent donc des recettes publicitaires supplémentaires. Contactée par Reporterre, la SNCF Gares et Connexions n’a pas communiqué le montant de cette manne.

Dans les gares,
« ils imposent leurs propres règles »

Ces écrans continuent de susciter le rejet des Français, à en croire un sondage de 2023. 54 % des sondés se disent favorables à leur interdiction et 85 % aimeraient voir leur nombre diminuer. Faisant fi de cette réticence et de l’opposition d’une partie des responsables politiques locaux et nationaux, les régies et les compagnies ont su tirer profit d’un vide juridique. Les gares, comme les aéroports et les centres commerciaux, ne relèvent pas des règlements locaux de publicité que peuvent édicter les communes.

À Paris, par exemple, les écrans sont interdits dans les rues, mais ils peuvent fleurir dans les gares en vertu du contrat signé entre Mediatransports et le groupe ferroviaire public. « Les afficheurs aiment beaucoup aller dans les gares, parce que ce sont des lieux où ils imposent leurs propres règles », résume Thomas Bourgenot, porte-parole de l’association Résistance à l’agression publicitaire.

L’équivalent d’un Paris-Berlin en avion

Les conséquences écologiques d’une telle profusion d’écrans sont lourdes. Un écran LCD de 2 m² consomme autant d’électricité qu’un Français moyen (2 000 kWh/an, un chiffre reconnu par Mediatransports), selon l’Agence de la transition écologique (Ademe). En termes d’émissions de gaz à effet de serre, l’Ademe estime l’impact total d’un écran à 245 kg de CO2 émis par année d’utilisation, soit l’équivalent d’un vol aller Paris-Berlin pour un passager.

Pour répondre à ces critiques, Mediatransports a peaufiné sa communication. Elle se pose en « régie engagée », au nom du fait que les redevances qu’elle verse aux compagnies qui « contribuent au développement des mobilités durables ».

Autre argument phare, la généralisation des écrans permet de démonter les vieux panneaux d’affichage papier rétroéclairés. « Nous divisons par quatre le nombre de mobiliers dans les gares SNCF », affirme Alexandra Lafay, chargée de la communication et de la « responsabilité sociale et environnementale » de Mediatransports. Cela permet à l’entreprise d’afficher des objectifs de consommation électrique en baisse sur l’ensemble de son « patrimoine publicitaire » : -36 % côté RATP en cinq ans, et -71 % côté SNCF en dix ans.

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L’enjeu est néanmoins symbolique, estime le gestionnaire du réseau électrique, RTE. Dans son scénario permettant d’atteindre la neutralité carbone en 2050, l’entreprise préconise « une disparition progressive des écrans publicitaires ». Pas tant pour « les économies d’énergie associées aux écrans eux-mêmes, qui sont faibles », mais parce que « les ménages et entreprises seront vraisemblablement plus enclins à limiter leur consommation d’énergie dans le cas où leur environnement n’est pas saturé d’écrans publicitaires. »

Dans sa communication, Mediatransports met également en avant sa « stratégie d’écoconception » des écrans (diminution de leur poids, allongement de leur durée de vie et de leur réparabilité). « C’est une somme de petites choses qui ne se voient pas forcément, sur la ventilation des panneaux, l’adaptation de la luminosité, la limitation du nombre de composants », résume Alexandra Lafay. La régie souligne également son choix d’utiliser, pour l’installation des écrans publicitaires, des véhicules électriques ou « hybrides ».

Reste que, selon l’Ademe, la fabrication d’un panneau nécessite un total de 8 tonnes de matière première. « 40 % de l’empreinte environnementale d’un écran est liée à sa fabrication, insiste Florence Rodhain, professeur d’université et autrice d’un livre sur l’effet écologique du numérique. Elle nécessite des terres rares qui sont exploitées principalement en Chine, sans respect des travailleurs et des ressources. »

Un « score d’attention » multiplié par 3

La diffusion de ces écrans dans l’espace public présente également un risque de surcharge cognitive pour les usagers. Les chiffres sur les « scores d’attention » des publicités numériques, communiqués par Mediatransports, ont de quoi alimenter le débat : une campagne intégrant des écrans « peut multiplier par 3,1 la durée d’attention », tout en augmentant les intentions d’achat de 14 %, se vante la régie, qui estime toucher quotidiennement 8,5 millions d’individus de 15 ans et plus.

« Une étude utilisant la méthode “eye-tracking”, qui enregistre le déplacement et l’intensité du regard, a permis d’observer qu’un écran numérique est 4,5 fois plus regardé que sa part d’espace dans l’environnement », vante aussi Mediatransports. Cela tient au fonctionnement de notre cerveau, souligne Florence Rodhain : « Nous recevons un choc de dopamine quand nous percevons une information qui peut nous être utile. C’est un instinct, notre cerveau est fait pour être attiré par des images en mouvement. C’est ce qui fait que nous ne pouvons pas ignorer ces écrans. »

Un écran émet 245 kg de CO2 chaque année. © Résistance à l’agression publicitaire

L’autre débat, plus politique, est celui des incitations incessantes à la surconsommation véhiculées par ces écrans. Amazon est le premier annonceur de Mediatransports au premier trimestre 2024. Heineken partage le podium sur l’ensemble de l’année 2023… Une certaine vision du monde à laquelle il devient difficile de se soustraire avec les écrans urbains, contrairement aux publicités diffusées à la télé ou la radio.

« Cette situation illustre un mépris flagrant pour les usagers et pour les impératifs écologiques. Elles transforment les gares en des centres commerciaux où l’intérêt général est sacrifié au profit de logiques purement mercantiles », dénonçait la députée insoumise Clémence Guetté en décembre à l’Assemblée nationale. Elle prenait ainsi la suite de plusieurs initiatives des députés de gauche, de François Ruffin à Delphine Batho, visant à interdire ces écrans publicitaires. Leurs tentatives sont demeurées infructueuses.

Rien n’empêche donc que la pression publicitaire continue de s’accroître dans l’espace public, souligne un connaisseur du secteur, qui veut rester anonyme : « La croissance du nombre d’écrans va continuer et les formats vont évoluer vers des technologies plus immersives, mieux contextualisées et personnalisées. Les annonceurs cherchent des moyens de créer du buzz avec des publicités atypiques. » Des évolutions qui ne nécessiteraient pas, légalement, l’organisation d’un débat public.

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Source: https://reporterre.net/Une-explosion-du-nombre-d-ecrans-publicitaires-dans-les-gares-en-2025

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