« Une fumisterie… » Les syndicats fustigent une direction d’ArcelorMittal qui joue l’effet d’annonce sur un projet à 1,2 milliards (H.fr-16/05/25)

Avec près de 300 millions d’euros d’aides de l’État reçues en 2023 et une promesse d’investissements publics de 850 millions supplémentaires, ArcelorMittal prévoit de supprimer plus de 600 postes en France. © Mousse/ABACAPRESS.COM

La direction d’ArcelorMittal a annoncé, jeudi 15 mai, le lancement d’un « premier four électrique » à Dunkerque dans les prochaines années. Le président pour la France du sidérurgiste, Alain Le Grix de la Salle, a cependant rejeté tout retour en arrière sur la suppression des 636 postes, annoncée fin avril. De quoi pousser les syndicats à dénoncer une promesse dans le vide.

Par Tom DEMARS-GRANJA.

Pressée de toutes parts, la direction du sidérurgiste ArcelorMittal tente d’éteindre l’incendie qu’elle a elle-même allumé. Elle a affirmé en catastrophe, dans un communiqué publié jeudi 15 mai, vouloir pérenniser ses sites d’acier français, en annonçant son « intention » d’investir dans la décarbonation. Les usines du Dunkerquois (Nord), symboles de la saignée dans les effectifs du groupe avec près de 300 suppressions de postes sur les 636 confirmés le 23 avril dernier, devraient ainsi accueillir « un premier four électrique ».

ArcelorMittal compte investir environ 1,2 milliard d’euros – sous réserve que Bruxelles concrétise ses mesures de protection de l’acier européen. Elle compte aussi maintenir son projet de plan social. « C’est une fumisterie ! », a réagi, très remonté, Gaëtan Lecocq, secrétaire général de la CGT Dunkerque. L’élu y voit « une opération de communication » pour contrer « le mouvement en train de monter socialement et politiquement ». Même son de cloche pour le coordinateur de la CFDT, Jean-Marc Vecrin, qui estime au micro de Franceinfo que le temps est « fini de donner un blanc-seing » à cette direction qui ne souhaite rien entendre.

Une « désindustrialisation silencieuse »

Comment prendre cette annonce avec espoir, alors que la tête d’ArcelorMittal a prévenu qu’il faudra attendre « après l’été » pour qu’une décision ferme et définitive soit donnée. Du conditionnel dans une période explosive, que le président d’ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle, assume. Malgré les appels aux investissements plus importants des travailleurs et ceux pour une nationalisation de syndicats et d’élus politiques de gauche, le patron du sidérurgiste préfère attendre que l’Europe apporte « des mesures de défense commerciale pour limiter les importations à 15 % du marché et un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ».

De quoi laisser penser aux élus syndicaux que ces investissements n’ont pour but que d’alimenter une « désindustrialisation silencieuse », et ce, avec l’idée de « réduire à peau de chagrin les investissements de maintien de l’outil », fustige la CFDT. « Une fois encore, AcelorMittal tente l’enfumage par une communication qui vise à semer le doute sans lever les incertitudes », ajoute la CGT. « Ces mesures nous permettront de rétablir une concurrence équitable sur le marché européen de l’acier et donc de jouer à armes égales », a pourtant tenté de justifier Alain Le Grix de la Salle, lors d’un point presse en ligne ayant suivi l’annonce.

Fin 2024, ArcelorMittal avait suspendu son projet d’investissement – à hauteur de 1,8 milliard d’euros dont près de 850 millions d’aides promises par l’État français – dans la décarbonation de ses hauts fourneaux de Dunkerque. L’entreprise arguait alors que la non-compétitivité de l’acier produit en Europe mettait en péril le projet. La construction, à Dunkerque, de deux fours électriques et d’une unité de réduction directe du fer (DRI) avec du gaz ou de l’hydrogène qui permet de produire de l’acier décarboné sans charbon fossile avait ainsi été laissée de côté.

Avec le coût actuel du gaz, « il n’y a pas de modèle économique pour le DRI », a estimé le patron d’ArcelorMittal France. L’émergence d’un four (au lieu des deux prévus) reste donc « évolutive ». Surtout que, compte tenu du changement de périmètre, « on ne sera pas en mesure d’utiliser les 850 millions d’euros ». De quoi justifier, selon lui, que le financement du four électrique « reste à finaliser ».

Le rapport publié mardi 6 mai par l’ONG SteelWatch donnait pourtant des indices sur comment lever des fonds. Selon les données de l’enquête, les actionnaires du groupe ont perçu, entre 2021 et 2024, environ 12 milliards de dollars. Sur la même période, la direction d’ArcelorMittal n’a jugé bon d’investir que 800 millions de dollars – au niveau mondial – pour décarboner sa production, soit l’équivalent de 2,5 % de ses bénéfices. De quoi pousser SteelWatch a dénoncé une stratégie économique à rebours complet des objectifs climatiques, avec des investissements qui « continuent d’être dirigés en priorité vers des modes de production de l’acier dépendant du charbon ».

Alain Le Grix de la Salle persiste pourtant à défendre cette politique. Les annonces de la création d’« un premier four électrique » et de plusieurs centaines de suppressions de postes « sont deux sujets distincts », estime-t-il. « Les suppressions de postes sont destinées à rendre la compétitivité des sites de Dunkerque. » Ces maigres annonces ont néanmoins suffi à réjouir le gouvernement Bayrou.

Le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, a salué un « premier pas décisif pour la pérennisation de la filière sidérurgique » et affirmé qu’il « continue le combat » avec le Commissaire européen, Stéphane Séjourné, jeudi 15 mai. Le président de la région Hauts-de-France, le républicain Xavier Bertrand, est quant à lui resté prudent, sans prononcer de critique : « 1,2 milliard, ça ne lève pas toutes les interrogations, toutes les inquiétudes. » Un euphémisme, diront les premiers concernés, dont les emplois n’ont jamais été aussi en danger.

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