
Par Thierry CHARPENTIER
Les incendies de juillet et août 2022 ont marqué les habitants des monts d’Arrée. À l’orée de cet été 2023, élus et pouvoirs publics ont établi un plan de défense contre le feu, à l’aune d’une prise de conscience inédite, qui rompt avec des décennies de fatalisme.
« Je rêve d’un été sans covid, sans feu, juste un été normal pour pouvoir exercer ma profession ! ». Laura Quentel, à la tête de l’épicerie-restaurant-café « Ty Reuz », à Saint-Rivoal (29), espère mettre à distance ses souvenirs du 18 juillet 2022, « quand (elle) croisait les doigts pour que l’incendie ne descende pas dans le bourg ».

« Le feu qui crépitait dans notre dos »
Hervé Coadou a les mêmes espoirs. Solidement campé sur l’échafaudage qui enserre la chapelle Saint-Michel de Brasparts (qui pourrait rouvrir au public à la mi-juillet), ce couvreur parachève la restauration de la toiture. À ses pieds, un somptueux paysage de landes encore noircies, mouchetées de vert et du blanc des roches décapées par le feu. Hervé Coadou ne travaillait pas le 18 juillet 2022. Vers 15 h 40, le feu a démarré au pied de sa maison. « Les pompiers nous hurlaient dessus pour que nous partions en courant ». Avec son épouse, ils ont pris leur bébé et se sont engouffrés dans leur voiture. « On a fui avec le bruit du feu qui crépitait dans notre dos. Je me souviendrai toujours de ce bruit. » Il tenait plus que tout à décrocher l’appel d’offres pour la couverture de la chapelle. « Il y a cette symbolique-là : Il n’y a pas plus bel endroit pour tourner la page. »
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« Nous n’avons pas d’élément tangible »
Pour la tourner tout à fait, il aurait fallu que l’enquête judiciaire aboutisse. Le 18 juillet 2022, trois départs de feu, l’un sur les flancs de la montagne Saint-Michel, à Brasparts, et les deux autres au lieu-dit Ploenez, à Brennilis, ont conduit, en incluant les reprises du mois d’août, à la destruction de 2 208 hectares de landes et tourbières. Le 7 novembre 2022, Camille Miansoni, procureur de Brest, ouvrait une information judiciaire pour « destruction volontaire de bois, forêt, landes, maquis ou plantation par incendie ». Les gendarmes de la brigade de recherches de Châteaulin, épaulés par l’antenne rennaise de l’OCLAESP (*), n’ont pas ménagé leurs peines. « Malheureusement, nous n’avons pas d’élément tangible, pas de mise en examen, mais l’instruction se poursuit », commente Camille Miansoni.
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« Une prise de conscience a émergé »
Reste qu’à quelque chose malheur est bon : « Les monts d’Arrée ont toujours brûlé et brûleront malheureusement encore. Mais, cette fois, une prise de conscience a émergé, peut-être parce qu’il y a des nouvelles populations qui ont un nouveau regard sur les monts d’Arrée. Ce n’était pas forcément le cas avant, parce que nos anciens avaient toujours vu brûler et, somme toute, n’étaient pas plus inquiets que ça », estime Éric Prigent, maire de Botmeur, dont les 250 habitants ont été évacués, le 18 juillet, à 22 h, devant l’avancée des flammes. L’élu veut surfer sur ce nouvel état d’esprit pour sensibiliser les touristes, et interdire notamment les bivouacs sauvages dans la lande.
« Ça bouge, mais pas assez »
Sylvain Le Treust est sur la même ligne. « Qu’on le veuille ou non, un départ de feu, c’est soit du camping sauvage, soit un mégot. On est dans un espace naturel sensible. Il faut canaliser les touristes, leur ouvrir le territoire, mais pas n’importe comment ! » Cet agriculteur de Saint-Rivoal, qui exploite, avec son épouse, un cheptel de 130 bovins de race « Black angus », trouve que « ça bouge, mais pas assez ». Il pointe un écueil : « Les techniciens du parc d’Armorique sont hyper compétents mais pas assez nombreux. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de police capable de gérer ce qui ne va pas : les chiens en divagation, des 4 X 4 dans des chemins interdits… ».
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« La stratégie n’existait pas »
Philippe Mahé, préfet du Finistère, a fait de tous ces sujets « une préoccupation majeure. Ce qui s’est passé, cet été, a atteint les Finistériens. Ça a créé une exigence supplémentaire pour 2023. Le risque a été réévalué », appuie-t-il. Il renvoie au 5 juin pour la présentation de son plan départemental de protection des forêts. Maël de Calan, président du conseil départemental, sera à ses côtés. De l’aveu de beaucoup d’acteurs des monts d’Arrée, lui aussi a « mouillé la chemise ». Il a débloqué des crédits pour de nouveaux moyens contre le feu, pour sécuriser l’adduction en eau potable des communes et restaurer les espaces naturels. « La stratégie n’existait pas. Nous en avons maintenant une. Nous attendons désormais que l’Office national des forêts (ONF) nous aide à prioriser. »
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« En fin d’été, ça aura reverdi très largement »
Ces préconisations de l’ONF seront présentées, fin juin, au préfet. « L’idée est de s’inspirer de certaines bonnes pratiques mises en place dans la zone méditerranéenne », se borne, pour l’heure, à expliquer Benoît Reymond, expert national détaché, à l’automne dernier, dans les monts d’Arrée. Le Parc d’Armorique a déjà anticipé un suivi au long cours, alliant fauchage préventif de landes et observations naturalistes : « Très vite, ça nous a permis de dire que dans la globalité, le paysage de landes va revenir, explique Jérémie Bourdoulous, directeur du patrimoine naturel. Dans les tourbières, on voit déjà la sphaigne qui revient très bien ce printemps. En fin d’été, ça aura reverdi très largement ».
(*) Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique.
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