
Il y a quelques mois, Anna a quitté son poste d’infirmière aux urgences de l’hôpital de la Cavale Blanche, à Brest. Sa parole libérée, elle veut témoigner pour ses collègues en souffrance.
Après dix ans de service, elle a quitté, il y a quelques mois, le service des urgences de l’hôpital de la Cavale Blanche de Brest et sa vie a changé. Elle ne s’appelle pas Anna mais c’est comme cela que nous l’appellerons, car elle ne veut pas être reconnue. « Je suis partie au bord du burn-out et je suis aujourd’hui en détachement. J’espère retravailler à l’hôpital, si la situation s’améliore ». La jeune femme, la trentaine passée, aime son métier passionnément mais, il y a quelques mois, elle s’est rendu compte qu’elle ne pouvait plus supporter ses conditions de travail. Quand elle évoque cette situation, ses yeux s’emplissent de larmes.
« Beaucoup de soignants veulent quitter les urgences »
« Il y a quinze ans que la situation à l’hôpital se dégrade mais depuis cinq ans, c’est devenu l’enfer. J’aimerais que les usagers des hôpitaux nous soutiennent, car c’est aussi pour eux que les soignants se mobilisent. Aujourd’hui, c’est comme si l’État faisait tout pour que les hôpitaux soient privatisés. Tout est pensé pour la rentabilité mais pas pour l’accueil des patients. Nous n’avons plus le temps de conduire les gens aux toilettes ou de simplement leur apporter un plateau-repas. Les soignants sont en grande souffrance, et beaucoup veulent quitter les urgences. Tous se retrouvent à un moment ou un autre en larmes dans les couloirs. Nous avons tous vécu des situations dramatiques à cause de la dégradation de nos conditions de travail ».
Il y a quinze ans que la situation à l’hôpital se dégrade mais, depuis cinq ans, c’est devenu l’enfer. J’aimerais que les usagers des hôpitaux nous soutiennent, car c’est aussi pour eux que les soignants se mobilisent
Le recrutement est impossible
« Donner des primes au personnel n’est pas la solution miracle, explique Anna. Il faut des embauches. Quand j’ai quitté les urgences, j’avais 300 heures à récupérer ; cela représente deux mois et demi de travail. L’hôpital ne respecte pas nos conditions de travail, nos plages de repos et nous sommes constamment sollicités pour venir faire une garde à la place d’un collègue absent. Il est devenu difficile de recruter des soignants. Sur 90 élèves d’une promotion de l’école d’infirmières, seule une petite trentaine finira dans la profession. Ça n’est pas suffisant. Mais quel jeune veut venir travailler dans ces conditions et débuter au sein d’une équipe en souffrance ? Nos supérieurs sont parfois sans cœur. J’ai vu une collègue se voir refuser une journée de repos pour accompagner son mari qui allait recevoir une greffe d’organe et une autre qui n’a pas obtenu de jour de congé pour les obsèques de son père ».
Une médecine à deux vitesses se met en place
Pour l’infirmière, ce système dégradé génère une médecine à deux vitesses. « Si une personnalité connue localement arrive aux urgences, elle bénéficie de tous les examens nécessaires dans l’heure, regrette l’infirmière, quand il faut parfois des semaines d’attente pour le commun des mortels. Comment pourraient-ils nous soutenir, alors qu’ils ne sont pas reçus comme les autres patients ? La Cavale Blanche est un très bel outil de travail qui ne se donne pas les moyens de fonctionner correctement. Seule une grève générale de tous les professionnels de santé pourrait peut-être améliorer la situation ».
Aujourd’hui, la vie d’Anna a changé. « Je n’ai plus le stress d’être appelée le jour ou la nuit pendant mes repos et, pour la première fois depuis dix ans, mon mari (soignant également) et moi étions ensemble avec nos enfants pour Noël ».
Auteur : Valérie Gozdik