
© Sami Belloumi/La Voix du Nord/Max PPP
Le rachat par le bordelais Europlasma de l’entreprise ferroviaire nordiste a laissé sur le carreau 119 des 340 salariés. Des actions en justice s’organisent contre l’ex-actionnaire chinois MA Steel, qui, il y a un an, annonçait abandonner sa filiale.
Par Ludovic FINEZ.
Trith-Saint-Léger (Nord), correspondance particulière.
Maxime Savaux doit s’interrompre : sa voix est couverte par le long train de marchandises qui circule sur la voie, quelques mètres derrière lui. « Ce ne sont pas des roues Valdunes », juge-t-il en connaisseur. Ce 7 mai au matin, le délégué CGT s’adresse, sur le parking de l’entreprise valenciennoise, à une vingtaine d’anciens collègues, parmi les 119 qui ont été licenciés à la suite de la reprise de Valdunes par l’entreprise bordelaise Europlasma, actée en mars par le tribunal de commerce.
Jusque-là, la forge de Valdunes, près de Dunkerque, et son site d’usinage de roues et essieux ferroviaires, à Trith-Saint-Léger, près de Valenciennes, totalisaient 340 emplois. « On a sauvé deux sites, mais si vous êtes là, c’est que vous considérez que le compte n’y est pas et vous avez raison ! » lance Cédric Brun, chargé des dossiers industriels à la CGT du Nord. L’heure est à demander des comptes à l’actionnaire chinois MA Steel, qui a annoncé il y a un an qu’il lâchait sa filiale.
Une appropriation des brevets et de la technologie de Valdunes
Dès le rachat en 2014, la CGT dénonçait une appropriation des brevets et de la technologie de Valdunes. L’avocat Ioannis Kappopoulos propose d’attaquer « sur deux terrains différents, le tribunal judiciaire et le conseil de prud’hommes ». « On a des preuves concrètes, assure-t-il, que l’actionnaire a provoqué la déconfiture de Valdunes. La conséquence juridique, c’est que vos licenciements sont abusifs, sans cause réelle et sérieuse. »
Les échanges avec les salariés licenciés, parfois tendus, soulignent le désarroi de ces derniers. Combien coûteront et quelle sera la durée des procédures, pour quelles chances de victoire, pourquoi maintenant ? « La CGT a toujours émis des avis négatifs à leur politique stratégique, sociale et économique et pendant deux ans, on a mené un droit d’alerte », rappelle Maxime Savaux.
La CGT et son avocat n’attaqueront cependant pas le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), pour ne pas compromettre les indemnités de licenciement obtenues et le plan de formation de 500 000 euros abondé par la région des Hauts-de-France.
Deux stratégies judiciaires concurrentes
À l’inverse, en plus du tribunal judiciaire et des prud’hommes, l’avocat Fiodor Rilov a saisi le tribunal administratif pour annuler l’homologation du PSE. Le 6 mai, il a organisé sa propre réunion d’information dans un café de Trith-Saint-Léger, avec une vingtaine de licenciés. Sur les causes, même analyse : « J’ai vraiment le sentiment que la faillite de votre entreprise a été programmée par un enchaînement de décisions (de MA Steel). »
Il évoque des « contradictions » entre la réalité et les comptes, qui selon lui n’ont été ni publiés ni certifiés entre 2021 et 2023. Les deux initiatives sont clairement concurrentes. Me Rilov qualifie de « sabotage » les critiques contre sa stratégie, tandis que la CGT assure que, présente dans l’entreprise, elle obtiendra « plus facilement » les documents nécessaires et voit dans la contestation du PSE un « manque de respect » de son travail de sauvetage. Au dernier moment, la CGT a encore obtenu la reprise de 12 salariés supplémentaires, diminuant d’autant les licenciements, qu’elle qualifie de « point noir » du dossier.
Refinancement et report de la publication des comptes
Europlasma, à l’origine spécialisée dans le traitement thermique des déchets, ne s’intéressait au départ qu’à la forge de Valdunes. Sous la pression du ministère de l’Économie, elle a élargi son offre au site d’usinage. Un audit du cabinet Grant Thornton pour le ministère avait conclu, en novembre 2023, à la possibilité de porter « la capacité de production de Valdunes d’environ 30 000 roues aujourd’hui à 80 000 roues par an ».
Europlasma se contentera de « 20 000 à 25 000 roues par an », confie Maxime Savaux, qui ajoute : « On sera vigilants sur les investissements. » Une allusion aux promesses qui tardent à se concrétiser aux Forges de Tarbes, rachetées en 2021 par le groupe, qui produisent notamment des obus. Pour Valdunes, le plan de financement prévoit 15 millions d’euros de fonds propres apportés par l’acheteur, autant de prêt d’État, 5 millions d’euros des collectivités et un million de la SNCF.
Pour se refinancer, Europlasma vient de lancer l’émission d’obligations convertibles en actions pour un montant maximal de 30 millions d’euros, opération susceptible d’entraîner pour ses actionnaires « une perte de leur capital investi en raison d’une diminution significative de la valeur de l’action ». Fin avril, Europlasma a également reporté la publication de ses comptes 2023, le temps de « confirmer les orientations stratégiques visant à maintenir un équilibre financier du groupe » après le rachat de Valdunes.
°°°
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/valdunes-apres-la-reprise-par-europlasma-lheure-des-comptes-h-fr-12-05-24/