
Canicules, sécheresses et incendies. Après cet été brûlant, la climatologue Valérie Masson-Delmotte déplore que le gouvernement se cantonne à de la gestion de crise. « On n’a aucun cap au-delà de 2030 », résume-t-elle.
Entretien réalisé par Jeanne CASSARD.
Il a démarré par une canicule exceptionnellement longue et précoce et s’est terminé par des cumuls inédits de pluie dans le sud-est du pays. Entre les deux, une seconde canicule, des incendies dévastateurs et un déficit de précipitations entraînant 45 départements en crise sécheresse.
Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du Haut Conseil pour le climat et ancienne coprésidente du groupe 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), prévient : cet été nous donne un avant-goût de ce que sera le climat dans quelques décennies.
Reporterre — Quel regard portez-vous sur l’été que nous venons de vivre ?
Valérie Masson-Delmotte — Au-delà de la succession de canicules, sécheresses, incendies et pluies diluviennes, je retiens surtout une grande inquiétude. Lors de mes vacances en Lozère et en Bretagne, j’ai échangé avec des personnes au hasard, dont des éleveurs touchés par la sécheresse. Lorsque je leur disais que j’étais climatologue, ils me demandaient à quoi ressembleront nos étés dans vingt-cinq ans. Dans une France à +2,7 °C par rapport à l’ère préindustrielle, scénario vers lequel nous nous dirigeons en 2050, des records de chaleur jusqu’à 50 °C seront possibles, l’été que nous venons de vivre sera la norme. D’ici 2100 dans une France à +4 °C, le nombre de jours de vagues de chaleur serait multiplié par dix, entre mi-mai et fin septembre.
À chaque fois, je voyais la gravité dans les yeux de mes interlocuteurs et ils me posaient la même question : comment fera-t-on ? C’est là tout le problème, j’ai été frappée par le décalage entre cette grande inquiétude et l’absence de cap politique pour y répondre.
Les gouvernants ne sont pas à la hauteur de l’urgence…
L’été 2025 nous montre à quel point nous ne sommes pas prêts pour faire face au dérèglement climatique. On n’est pas assez dans l’adaptation : la publication de la programmation pluriannuelle de l’énergie a été encore repoussée, on ne sait pas quand sortira la stratégie nationale bas carbone et le plan national d’adaptation au changement climatique n’est pas accompagné de financements suffisants.
On reste dans la gestion de crise, sortant d’une crise avant de passer à la suivante avec des dégâts humains et matériels toujours plus importants. C’était pourtant l’un des messages clés du rapport du Haut Conseil pour le climat publié début juillet, il rappelait que le coût de l’inaction climatique est nettement supérieur aux investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone.
Parallèlement, le rythme de baisse des émissions a fortement ralenti depuis 2023. Les dernières estimations du Carbon Monitor suggèrent une hausse des émissions en France sur le premier semestre 2025 par rapport à la même période l’an dernier. C’est lamentable compte tenu de notre responsabilité historique, de notre niveau de richesse et donc de notre capacité à agir.
Entre l’instabilité politique avec la chute annoncée du gouvernement Bayrou et la rigueur budgétaire, le pilotage de la transition écologique ne semble pas être la priorité du moment…
C’est extrêmement préoccupant, un gouvernement sur la sellette ne peut pas proposer un cap clair sur le sujet. Depuis la dissolution, le manque de stabilité des différents gouvernements ne permet pas d’avoir une réponse politique à la hauteur des enjeux. On se retrouve avec des politiques publiques qui changent tous les trois mois, il y a sans cesse des tergiversations. L’instabilité des dispositifs comme MaPrimRénov’ envoient un signal flou aux ménages qui ont besoin de lisibilité. Dix ans après l’Accord de Paris sur le climat, on n’a aucun cap au-delà de 2030. À cause de ce manque de constance, on se retrouve dans une situation budgétaire complexe qui n’arrange rien.
« Il y a un déni des risques climatiques, un déni de responsabilité »
Ces difficultés pour dégager un cap clair et financer les investissements nécessaires nourrissent un sentiment d’impuissance. Il y a un déni des risques climatiques, un déni de responsabilité, un déni de capacité à agir.
Comment sortir de ce déni ?
Je suis climatologue, pas spécialiste en sciences politiques, mais ce que je peux dire, c’est que la délibération est un levier essentiel. Je crois qu’il est encore possible d’obtenir des consensus sur des sujets d’intérêt général. Si le personnel politique n’arrive pas à se mettre d’accord, on a vu que cela pouvait fonctionner avec des citoyens. La Convention citoyenne pour le climat a montré que des citoyens d’horizons différents peuvent s’accorder sur des points d’intérêts communs. C’est essentiel d’avoir ce genre de délibérations pour avoir une adaptation juste socialement, en tenant compte des vulnérabilités de chacun, puisque les conséquences du dérèglement climatique ne touchent pas tout le monde de la même manière.
Les difficultés démocratiques que connaissent notre pays en ce moment et les difficultés à agir face au changement climatique sont évidemment liées.
Vous observez une montée du déni climatique ?
On n’est pas dans la même situation qu’aux États-Unis avec un déni climatique brutal et assumé, en France, c’est plus insidieux. On assiste tout de même à une montée en puissance de groupes qui font en sorte de saper toute action climatique. Cela passe d’abord par la désinformation, celle-ci ne s’exprime pas uniquement sur les réseaux sociaux ou des chaînes télévisées de groupes privés, on a vu des exemples lors de débats parlementaires.
En février, lors d’un débat sur la loi Duplomb [qui prévoyait notamment de réautoriser des pesticides interdits], des sénateurs avaient proposé de reconnaître dans la loi le besoin de mobiliser les compétences scientifiques pour réduire l’empreinte carbone du monde agricole, pas seulement pour l’adapter aux conséquences du dérèglement climatique. Cela a été rejeté sous prétexte que cela stigmatisait le monde agricole. C’est pourtant le deuxième secteur le plus émetteur derrière les transports. Ce refus illustre une forme de déni face au rôle de l’agriculture dans la crise climatique.
À côté de la désinformation, certains groupes font tout pour paralyser la vie démocratique en polarisant le débat : pour ou contre le nucléaire ? Pour ou contre la climatisation ? Pour ou contre les éoliennes ? Cette stratégie, en n’apportant que des réponses simplistes, empêche tout débat de fond.
Malgré le sombre tableau que vous venez de dresser, croyez-vous encore au sursaut ?
Oui, la situation est grave, tant sur le plan climatique que démocratique. La seule chose positive que je retiens de cet été est l’avis rendu par la Cour internationale de justice. Les juges ont estimé que le changement climatique est « une menace urgente et existentielle » et que tous les États ont l’obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour garantir les droits fondamentaux, comme le droit à la santé, à l’eau et à l’alimentation. C’est historique, j’espère que cela va renforcer le cadre juridique de l’action pour le climat.
Pour ce qui est de la France, j’espère aussi que les élections municipales de mars 2026 seront l’occasion d’avoir de véritables échanges et réflexions sur les sujets d’adaptation. Qu’il s’agisse des bâtiments, des mobilités, de la gestion de l’eau… ces questions sont très importantes à l’échelle des villes.
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