
À 67 ans, après une vie entièrement consacrée à ses malades, Jean-François Leconte, médecin de campagne à Saint-Lumine-de-Coutais, a décroché. Sans avoir trouvé de successeur. Une situation qu’il vit « très mal ».
« J’ai un goût amer. J’ai l’impression d’abandonner mes patients. » Ses yeux bleus transparents trahissent la lassitude. Jean-François Lecomte, médecin à Saint-Lumine-de-Coutais, petite commune à 35 km au sud de Nantes, n’a pas trouvé de successeur.
À 67 ans, il est à la retraite depuis janvier 2023. Mais cette période de liberté retrouvée, pour cultiver son jardin, une passion, il la vit « très mal ». Car il aurait « voulu que quelqu’un s’installe à Saint-Lumine ».
Ce n’est pas faute d’avoir cherché. Il y a eu des réunions avec l’agence régionale de santé, la caisse primaire d’assurance-maladie. « Des solutions ont été proposées pour faire venir de nouveaux médecins. Nous n’avons pas été entendus. » Il sait que son départ sans successeur n’est pas l’exception « mais la règle, partout ».
Son départ, il l’avait pourtant anticipé, en lien étroit avec la mairie. La commune de près de 2 400 habitants, à la jonction du Vignoble et du pays de Retz, a construit et ouvert en 2019 un centre de santé doté de deux cabinets médicaux. Centre qu’il a rejoint dès son ouverture. Avec l’espoir d’abord de voir arriver un premier confrère à ses côtés : « Je voulais faire profiter quelqu’un de mon expérience. »
Mais si deux infirmières, deux kinésithérapeutes, un ergothérapeute, un ostéopathe, une orthophoniste sont venus s’installer dans le centre de santé tout neuf, aucun généraliste n’a suivi.
« Quand j’ai annoncé ma retraite, certains patients ont pleuré »
« Une partie de mes patients ne vont pas trouver de médecin traitant. Surtout ceux qui souffrent d’infection de longue durée, se désole Jean-François Leconte. Certains doivent suivre des séances de chimiothérapie, d’autres ont le diabète. Lorsque j’ai annoncé ma retraite, lors des dernières consultations, certains patients ont pleuré. Comment vais je faire, m’ont-ils dit ? »
Il prend une lettre posée sur la table. Un de ses anciens patients, qu’il a suivi pendant trente ans, lui explique que malgré ses efforts, il n’a pas déniché de médecin traitant. « Je l’ai connu à Saint-Lumine, où il vivait à l’époque. Depuis, il a déménagé à Nantes, mais continuait à venir ici en consultation. Une consœur de Nantes, vient d’accepter de le prendre, se rassure Jean-François Leconte. Mais je ne peux pas trouver un médecin pour tous mes patients. »
Dans le secteur, beaucoup de toubibs sont proches de la retraite. Ou, débordés, ne prennent plus de nouveaux patients. « Ils ont dit oui en décembre, aux plus rapides, mais maintenant, ils ne peuvent plus », constate le jeune retraité.
Six jours sur sept depuis 1985
Son métier, Jean-François Lecomte, l’a pratiqué avec passion, six jours sur sept, sans compter son temps. Et en acceptant, jusqu’au Covid, les patients sans rendez-vous !
Dans son ancien cabinet, où il nous a reçus – celui ouvert au rez-de-chaussée de sa maison d’habitation, avant de rejoindre le centre de santé en 2019 –, sous le bureau, il y a toujours posé le grand cartable en cuir noir, qu’il prenait avant de partir en consultation à domicile. Aller chez les malades, il l’a toujours fait. « C’est indispensable, juge-t-il, pour une petite partie de la population. »
Son rôle de médecin de campagne, qu’il a choisi en 1985, après ses études de médecine à Nantes, il l’a aimé. Sans compter. Il commençait à 8 h et travaillait « jusqu’à 21 h au plus tôt, voire jusqu’à 22 , 23 h ou minuit, pour remplir la paperasse, de plus en plus envahissante ».
Fatigue, usure, charge mentale
Il avait initialement prévu de prendre sa retraite en 2020, à 65 ans, mais le Covid a surgi : « Ce n’était pas correct d’arrêter à ce moment-là. Ni pour les patients ni pour mes confrères. » Il a donc poursuivi deux années de plus. Jusqu’au 31 décembre 2022. Jusqu’à ses 67 ans. « La fatigue physique, l’usure, la charge mentale » l’ont poussé à décrocher. Il comprend les jeunes médecins, en nombre bien insuffisant, qui ne veulent pas travailler comme lui.
Derrière le bureau, dans son dos, il y a tous ces dossiers de patients en attente. Un tiers de sa patientèle (environ 1 200 personnes) n’est pas encore venu prendre son dossier. « Ils peuvent m’appeler sur mon numéro personnel, le 02 40 02 92 24. » Ses patients, Jean-François Leconte ne les oublie pas.
Philippe GAMBERT.