TÉMOIGNAGE. « J’ai l’impression de les abandonner » : la souffrance d’un médecin sans remplaçant (OF.fr-5/02/23)

Jean-François Leconte.

À 67 ans, après une vie entièrement consacrée à ses malades, Jean-François Leconte, médecin de campagne à Saint-Lumine-de-Coutais, a décroché. Sans avoir trouvé de successeur. Une situation qu’il vit « très mal ».

« J’ai un goût amer. J’ai l’impression d’abandonner mes patients. » Ses yeux bleus transparents trahissent la lassitude. Jean-François Lecomte, médecin à Saint-Lumine-de-Coutais, petite commune à 35 km au sud de Nantes, n’a pas trouvé de successeur.

À 67 ans, il est à la retraite depuis janvier 2023. Mais cette période de liberté retrouvée, pour cultiver son jardin, une passion, il la vit « très mal ». Car il aurait « voulu que quelqu’un s’installe à Saint-Lumine ».

Ce n’est pas faute d’avoir cherché. Il y a eu des réunions avec l’agence régionale de santé, la caisse primaire d’assurance-maladie. « Des solutions ont été proposées pour faire venir de nouveaux médecins. Nous n’avons pas été entendus. » Il sait que son départ sans successeur n’est pas l’exception « mais la règle, partout ».

Son départ, il l’avait pourtant anticipé, en lien étroit avec la mairie. La commune de près de 2 400 habitants, à la jonction du Vignoble et du pays de Retz, a construit et ouvert en 2019 un centre de santé doté de deux cabinets médicaux. Centre qu’il a rejoint dès son ouverture. Avec l’espoir d’abord de voir arriver un premier confrère à ses côtés : « Je voulais faire profiter quelqu’un de mon expérience. »

Mais si deux infirmières, deux kinésithérapeutes, un ergothérapeute, un ostéopathe, une orthophoniste sont venus s’installer dans le centre de santé tout neuf, aucun généraliste n’a suivi.

« Quand j’ai annoncé ma retraite, certains patients ont pleuré »

« Une partie de mes patients ne vont pas trouver de médecin traitant. Surtout ceux qui souffrent d’infection de longue durée, se désole Jean-François Leconte. ​Certains doivent suivre des séances de chimiothérapie, d’autres ont le diabète. Lorsque j’ai annoncé ma retraite, lors des dernières consultations, certains patients ont pleuré. Comment vais je faire, m’ont-ils dit ? »

Il prend une lettre posée sur la table. Un de ses anciens patients, qu’il a suivi pendant trente ans, lui explique que malgré ses efforts, il n’a pas déniché de médecin traitant. « Je l’ai connu à Saint-Lumine, où il vivait à l’époque. Depuis, il a déménagé à Nantes, mais continuait à venir ici en consultation. Une consœur de Nantes, vient d’accepter de le prendre, se rassure Jean-François Leconte. ​Mais je ne peux pas trouver un médecin pour tous mes patients. »

Dans le secteur, beaucoup de toubibs sont proches de la retraite. Ou, débordés, ne prennent plus de nouveaux patients. « Ils ont dit oui en décembre, aux plus rapides, mais maintenant, ils ne peuvent plus », constate le jeune retraité.

Six jours sur sept depuis 1985

Son métier, Jean-François Lecomte, l’a pratiqué avec passion, six jours sur sept, sans compter son temps. Et en acceptant, jusqu’au Covid, les patients sans rendez-vous !

Dans son ancien cabinet, où il nous a reçus – celui ouvert au rez-de-chaussée de sa maison d’habitation, avant de rejoindre le centre de santé en 2019 –, sous le bureau, il y a toujours posé le grand cartable en cuir noir, qu’il prenait avant de partir en consultation à domicile. Aller chez les malades, il l’a toujours fait. « C’est indispensable, juge-t-il, pour une petite partie de la population. »

Son rôle de médecin de campagne, qu’il a choisi en 1985, après ses études de médecine à Nantes, il l’a aimé. Sans compter. Il commençait à 8 h et travaillait « jusqu’à 21 h au plus tôt, voire jusqu’à 22 , 23 h ou minuit, pour remplir la paperasse, de plus en plus envahissante ».

Fatigue, usure, charge mentale

Il avait initialement prévu de prendre sa retraite en 2020, à 65 ans, mais le Covid a surgi : « Ce n’était pas correct d’arrêter à ce moment-là. Ni pour les patients ni pour mes confrères. » Il a donc poursuivi deux années de plus. Jusqu’au 31 décembre 2022. Jusqu’à ses 67 ans. « La fatigue physique, l’usure, la charge mentale » l’ont poussé à décrocher. Il comprend les jeunes médecins, en nombre bien insuffisant, qui ne veulent pas travailler comme lui.

Derrière le bureau, dans son dos, il y a tous ces dossiers de patients en attente. Un tiers de sa patientèle (environ 1 200 personnes) n’est pas encore venu prendre son dossier. « Ils peuvent m’appeler sur mon numéro personnel, le 02 40 02 92 24. » Ses patients, Jean-François Leconte ne les oublie pas.

Philippe GAMBERT.

source: https://www.ouest-france.fr/sante/temoignage-j-ai-l-impression-de-les-abandonner-la-souffrance-d-un-medecin-sans-remplacant-799908f8-99bd-11ed-93e9-6da8db7a68df

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