Mayotte : l’ouvrier qui a fait un malaise pendant l’opération Wuambushu est décédé. ( Libération – 23/05/23 )

Opération d’abattement du bidonville «Talus 2», le 22 mai à Mayotte, dans la commune de Majicavo Koropa. (Louis Witter/SIPA)

Lundi 22 mai, un employé BTP s’est effondré lors de l’opération de destruction du bidonville que lui-même habitait. Il est décédé suite à un AVC.

Lundi 22 mai à Mayotte, l’opération Wuambushu a démarré dans le quartier Talus II, à Majicavo Koropa, dans le nord-est de l’île. Vaste entreprise de destruction de bidonvilles, cette opération, un temps retardée suite à une décision du tribunal administratif, vise à expulser les migrants en situation irrégulière.

Sur les réseaux sociaux, dans la journée, est apparue l’information selon laquelle «un ouvrier», résidant lui-même dans ce quartier, aurait fait un malaise au milieu de l’opération. Le photo journaliste Louis Witter, sur place, évoque ainsi le cas d’un homme «mobilisé sur la destruction» qui se serait «évanoui une fois arrivé devant sa case qu’il devait aussi détruire».

Mardi, plusieurs journalistes sur place, parmi lesquels Grégoire Mérot, Cyril Castelliti et Bastien Doudaine, diffusent conjointement davantage de détails. Indiquant notamment que l’homme, mahorais, aurait été victime d’un AVC et se trouve désormais hospitalisé à Mamoudzou, son pronostic vital engagé. Il vivait dans «le quartier de Talus II de longue date avec sa femme et trois de leurs enfants». Et aurait «demandé à son employeur des congés afin de s’occuper du déménagement et pour ne pas que lui et sa famille assistent à la destruction de leur domicile».Cette demande lui aurait été «refusée».

La veille, un journaliste sur place avait publié une série de tweets sur ce cas précis, supprimés un peu plus tard par respect pour les désirs de la famille qui ne souhaitait pas encore médiatiser les faits. Dans la vidéo jointe au tweet, on pouvait entendre un témoin affirmer que l’homme vivait effectivement dans le quartier et devait, ce matin-là, détruire sa propre maison.

L’homme est décédé dans la nuit de mardi à mercredi, et a été inhumé ce mercredi.

Silences de la préfecture, de l’Intérieur et de l’entreprise de destruction

L’avocate Marjane Ghaem, du barreau de Mayotte, était impliquée dans le premier recours contre l’opération Wuambushu, déposé le 30 décembre dernier. L’ouvrier et sa femme, requérants dans ce recours, sont ses clients. Contactée par CheckNews, et après avoir échangé directement avec l’épouse de l’ouvrier, elle confirme les éléments apportés par les journalistes sur le terrain. A savoir que le couple habitait effectivement le quartier de Talus II, que le travailleur BTP devait contribuer à détruire ce jour-là.

Interrogée sur le fait, comme l’indique Louis Witter, qu’il lui aurait été demandé de démolir sa propre maison, l’avocate nous indiquait mardi qu’elle n’avait pas osé «reposer cette question» à son épouse.

Auprès de CheckNews, Malik Kalfane, gérant de Tetrama, la société engagée sur les opérations dites de «décasage», réfute l’affirmation selon laquelle l’entreprise aurait refusé d’accorder un congé à son employé de longue date. Il indique : «Comme tous les salariés, il avait le droit de ne pas participer. Les décasages, ça fait deux ans que ça dure et qu’on accompagne la préfecture dans cette démarche. Chaque salarié qui ne souhaite pas participer est libre, soit en étant mis sur un autre chantier, soit en prenant un congé.»

Et de poursuivre : «J’ai vérifié auprès du service ressources humaines et de son équipe hiérarchique, à savoir le conducteur des travaux et le chef de chantier : il n’y a pas eu de demande de congé exprimée. Et quand bien même il y aurait eu une demande, on y aurait accédé. J’ai en tête le cas d’un employé qui ne souhaite pas, depuis le début, participer aux opérations, et qui de fait n’était pas présent lundi sur le chantier. S’il y avait eu un refus, ça aurait été une erreur.»

Une version qui s’oppose frontalement aux informations recueillies sur place par les journalistes, qu’ils maintiennent par ailleurs aujourd’hui. Ainsi Grégoire Mérot, reporter indépendant, correspondant pour Le Monde et Associated Press, connaissait l’ouvrier et sa famille depuis un an, et s’entretenait avec lui toutes les semaines. Il affirme à CheckNews : «Cela n’a pas forcément été formalisé par écrit, mais il ne fait aucun doute qu’il a demandé des congés pour ne pas assister à la démolition. Il me l’a dit plusieurs fois avant le jour de la destruction, sa famille et ses amis me l’ont répété ensuite. Il faisait partie des requérants dans les recours auprès du tribunal administratif, il était très inquiet de l’opération. Il voulait mettre ses enfants à l’abri, les sécuriser physiquement et moralement. Il avait vraiment besoin de ce moment, il était très triste de devoir participer à l’opération. Il a obtenu une chose : c’est de travailler manuellement au lieu d’être sur une machine.»

Sur ce point aussi, la direction de l’entreprise n’est pas d’accord : «Il ne conduit pas habituellement ce genre de machine, il a été affecté manuellement, comme prévu», nous répond-t-on.

De son côté, la préfecture de Mayotte n’a pas souhaité communiquer.

Par Anaïs Condomines

Source : Mayotte : l’ouvrier qui a fait un malaise pendant l’opération Wuambushu est décédé – Libération (liberation.fr)

URL de cet article : Mayotte : l’ouvrier qui a fait un malaise pendant l’opération Wuambushu est décédé. ( Libération – 23/05/23 ) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *