POURQUOI LA MORTALITÉ INFANTILE AUGMENTE EN FRANCE DEPUIS 2012. (IO.fr – 07/07/23)

Manifestation contre la fermeture de la maternité de Carhaix, le 18 mars (Photo AFP)

Par Dr Jean-Louis Chabernaud (ancien pédiatre-réanimateur à l’hôpital Antoine-Béclère)

Une étude publiée en 2022 dans la revue The Lancet a établi un constat inquiétant : après une baisse du taux de mortalité infantile jusqu’en 2005, la tendance ralentit pour augmenter de 7 % en moins de dix ans à partir de 2012, soit 1 200 décès potentiellement évitables par an.

La France occupe ainsi en 2019 la 25e place en Europe, avec 3,8 morts pour 1 000 naissances vivantes, loin derrière la Suède, la Finlande, la Norvège (2,1) ou l’Italie (2,4). L’Insee avait déjà, en juin 2018, alerté sur le fait que, après des décennies de baisse, la mortalité infantile était devenue stable en 2005. Presque la moitié (47,8 %) de ces morts d’enfants sont survenues pendant la première semaine de vie et plus particulièrement au cours du premier jour de vie (24,4 %). Les autres décès se répartissent entre la période néonatale tardive, c’est-à-dire le premier mois (20,8 %), et la période post-néonatale (31,8 %).

Le taux de mortalité infantile est plus élevé dans les départements et régions d’outre-mer. La Haute autorité de santé estime que plus de 50 % des incidents graves dont sont victimes les mères et les enfants en salle d’accouchement sont évitables. 

DES RISQUES MAJORÉS CHEZ LES FEMMES EN SITUATION PRÉCAIRE

Concernant les causes de cette augmentation l’étude du Lancet se contente d’émettre des hypothèses, déjà identifiées dans de nombreux rapports à propos de la périnatalité publiés ces dernières années, comme « l’augmentation continue de l’âge des mères, la part de femmes fumeuses pendant la grossesse ou l’augmentation de la part de femmes en surpoids ou obèses », évoquées en juillet 2021 dans un rapport de la Dress1. Ces facteurs ont une incidence sur l’âge gestationnel au moment de la naissance, qui indique si l’enfant est prématuré ou non, ainsi que sur le nombre de fœtus. En effet, 81 % des décès périnatals se produisent en cas de naissance prématurée, soit un risque globalement cinquante fois plus élevé que chez les enfants nés à terme, et le risque de mortalité est 3,6 fois plus élevé lors des naissances multiples qu’en cas de naissance d’un seul enfant.

Ces risques sont également majorés chez les femmes en situation précaire au moment de leur grossesse, notamment les femmes immigrées souvent en moins bonne santé, avec des facteurs de risque comme le diabète, l’hypertension et qui accèdent moins facilement aux soins. 

UN TEMPS DE TRAJET POUR LA MATERNITÉ SUPÉRIEUR À 45 MINUTES ASSOCIÉ À UNE AUGMENTATION DE LA MORTALITÉ PÉRINATALE

L’état de santé et l’âge des mères n’explique cependant pas tout. Ces résultats interrogent sur toute l’organisation de la prise en charge des soins et du suivi en période périnatale avec une dégradation globale, du suivi de la grossesse, du type des lieux d’accouchement puis de la prise en charge du nouveau-né après la naissance. Les éléments qui en sont responsables sont nombreux.

La politique de santé globale appliquée en France depuis 2009, avec la mise en place par le gouvernement Sarkozy de la loi Hôpital patients santé territoires (HPST) et de la tarification à l’activité (T2A), puis au cours des deux derniers quinquennats de François Hollande (à partir de 2012) et d’Emmanuel Macron (à partir de 2017) a indiscutablement joué un rôle essentiel. Les nombreuses fermetures de maternités et de lits, la perte d’attractivité des postes médicaux et de soignants à l’hôpital ont contribué à cette situation. Ainsi durant ces vingt dernières années, 221 maternités sur 717 ont définitivement fermé en France, dont une quarantaine entre 2016 et 2021, et il existe une grande disparité selon les régions.

En 2021, une étude de la Drees révélait que la part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes d’une maternité, même si elles restent minoritaires (entre 1 % et 2 %), avait augmenté de 40 % entre 2000 et 2017. 

Or pour un temps de trajet supérieur à 45 minutes, le taux brut de mortinatalité augmente de 0,46 % à 0,86 % et celui de la mortalité périnatale de 0,64 % à 1,07 % (Université de Bourgogne – 2013). Comment ne pas faire également le lien entre les indicateurs périnatals alarmants et la dégradation des conditions de travail dans les structures de soins ?

La pénurie de tous les professionnels de la périnatalité est majeure : obstétriciens et pédiatres (en raison du numerus clausus à l’entrée des études de médecine), sages-femmes et infirmières-puéricultrices (mauvaise répartition ville hôpital et crise des vocations). De récentes enquêtes ont montré que le burn-out touchait de 50 % à 75 % des gynécologues obstétriciens, 65,7 % des sages-femmes cadres et que 49 % de pédiatres néonatologistes souffraient de troubles du sommeil liés à leur activité. La modification sociologique majeure des nouvelles générations de soignants, dont le rapport au travail a changé joue aussi un rôle.

Par ailleurs, l’affaiblissement du réseau des services de protection maternelle et infantile (PMI), créés initialement pour lutter contre la mortalité infantile en accompagnant les mères et les enfants, a été mis en évidence en mars 2019 dans un rapport parlementaire (rapport Peyron) remis au gouvernement, montrant que l’accompagnement des femmes enceintes s’est détérioré, surtout depuis 2016, avec un nombre de visites prénatales à domicile qui a considérablement diminué.

UN RAPPORT DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE PRÔNANT LA FERMETURE DE 111 MATERNITÉS, INACCEPTABLE

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde du 4 mars dernier, plusieurs sociétés savantes d’obstétrique et de néonatalogie proposent de « repenser et de réorganiser notre système de soin périnatal »« Les plateaux techniques doivent être regroupés dans des maternités mieux équipées et informatisées qui accueillent plusieurs niveaux de soins et offrent des conditions de travail permettant d’accompagner les patientes et leurs enfants en toute sécurité et dans la bientraitance ».

En février 2023, un rapport de l’Académie de médecine avait prôné de supprimer drastiquement 111 maternités de type 1 effectuant moins de 1 000 accouchements par an ! 

C’est inacceptable car c’est poursuivre dans la même voie délétère de fermeture massive de maternités suivie au cours des trente dernières années et organiser une désertification de l’offre de soins périnatals proposée aux femmes enceintes en France !

FERMETURE DE MATERNITÉS : L’ÉTÉ S’ANNONCE CATASTROPHIQUE DANS DE NOMBREUSES RÉGIONS, SELON LES GYNÉCOLOGUES OBSTÉTRICIENSPar un communiqué de presse du 19 juin, le Syngof (Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France) exprime ses plus vives inquiétudes sur le risque de fermeture de maternités cet été qu’il relie entre autres à l’application de la loi Rist sur le plafonnement de l’intérim.« Depuis de nombreuses années, le Syngof et l’ensemble des représentants de périnatalité alertent sur la baisse alarmante des effectifs de gynécologues obstétriciens, anesthésistes, pédiatres et sages-femmes qui conduisent à la fermeture de nombreuses maternités. (…)La mise en application de la loi Rist en avril dernier pour le plafonnement de l’intérim à l’hôpital, a été mal préparée et malgré les mesures « pansements » de l’administration (…) plusieurs maternités ont dû suspendre leur activité temporairement.Ainsi, à Péronne, la maternité a fermé pendant un mois faute d’anesthésistes en nombre suffisant ; à Alès, il n’était pas possible d’accoucher à l’hôpital durant deux jours en raison de l’absence de gynécologues ; à Bergerac, la maternité a fermé partiellement en avril dernier et récemment, à Landerneau, l’hôpital a dû, une nouvelle fois, réorienter les accouchements pendant 36 heures par manque d’anesthésistes… L’été s’annonce catastrophique dans de nombreuses régions. »Le plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires a été mis en place début avril par le ministre de la Santé. Début juin, il déclarait au JDD, le 8 juin « aborder l’été avec sérénité ».

Source : Pourquoi la mortalité infantile augmente en France depuis 2012 (infos-ouvrieres.fr)

URL de cet article : POURQUOI LA MORTALITÉ INFANTILE AUGMENTE EN FRANCE DEPUIS 2012. (IO.fr – 07/07/23) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)

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