Le 24 août 1944, Catherine Tournellec était violée par un soldat américain. En voulant s’interposer, son père, Eugène, était abattu. 80 ans après cette tragédie opposée à la joie de la Libération, la famille s’est retrouvée pour un hommage à ses héros, ce mardi 20 août 2024, au cimetière de Plabennec.
C’était la Libération, tout le monde était content… Comment aurais-je pu aller raconter quelque chose d’aussi laid, d’aussi triste ? À l’époque, j’étais toute jeune, on ne m’aurait pas crue !
Par ces phrases, à l’approche de sa mort, en 2016, Catherine Tournellec finit par confier son lourd secret, celui « qui l’a empoisonnée toute sa vie », à sa fille, Jeannine Plassard. Qui les livrera ensuite à sa famille. Une famille qui, pour la première fois, ce mardi 20 août 2024, s’est spécialement réunie au complet, à Plabennec (Finistère), pour le 80e anniversaire de la Libération. Une date qui coïncide avec celle de la tragédie qui l’a frappée.
Abattu par des balles américaines
Le 24 août 1944, la population finistérienne se réjouit, pleine d’allégresse devant les libérateurs venus des États-Unis. À Locmaria, en Plabennec, est implantée une garnison américaine : elle attend son heure pour foncer sur Brest. Et, à quelques kilomètres de là, dans le village de Pentrez, au Drennec, une tragédie va se produire.
Elle n’avait que 9 ans. Mais Jeanne Pengam se souvient très bien de ce jour funeste, comme si c’était hier.
Alors qu’ils vaquent aux occupations de la ferme, ses parents voient surgir un soldat. Il a repéré leur fille, Catherine, 17 ans, il vient la violer. Volant au secours de sa fille, Eugène Tournellec va s’interposer. Il tombera mort, abattu, froidement, par le soldat, qui porte un uniforme américain.
« Le soldat avait réussi à rentrer en détruisant la porte. J’ai d’abord cru que c’était un Allemand mais je m’étais trompée, c’était un Américain,
confie Jeanne Pengam, la petite sœur de Catherine. Quand les officiers américains ont vérifié les balles qui ont tué notre père, ils ont reconnu tout de suite leurs munitions… »
Condamné à mort et pendu
Quelque temps après, le violeur et meurtrier était confondu et arrêté. Il s’appelait William Mack, il venait du sud des États-Unis. Après un jugement rapide, condamné à mort, le soldat américain était pendu, sur le terrain de foot de Plabennec.
« Le 15 février 1945 a eu lieu l’exécution par pendaison d’un soldat condamné à mort pour le meurtre d’un civil français, dit le rapport de l’époque de la gendarmerie de Brest. Une centaine de curieux, particulièrement des jeunes gens dissimulés dans les champs voisins, ont essayé de voir la scène. »
Agnès Bégoc et Jeanne Pengam, nées Tournellec, n’avaient que 4 mois et 9 ans lors du meurtre de leur père. La mère a élevé, seule, ses six enfants. La famille Tournellec a « toujours regretté que leur père ne soit pas reconnu comme victime civile ».
Aucune gerbe « officielle » n’a jamais été déposée sur sa tombe lors des commémorations. « C’est dommage, les associations d’anciens combattants n’honorent jamais la mémoire d’Eugène Tournellec, en dépit de son acte héroïque. »
« Notre grand-père, ce héros »
Ce mardi 20 août 2024, cependant, un porte-drapeau des anciens combattants était présent lors de l’hommage. « Plus de 70 ans de silence, c’est lourd. On ne pouvait pas en parler car il ne fallait pas salir l’image d’une armée qui venait nous libérer,
témoigne Jean-Pierre Salaün, le fils de Catherine Tournellec. On n’a pas le droit de se plaindre quand on est libéré. »
152 soldats américains ont été jugés pour avoir violé des femmes françaises. Un « nombre largement sous estimé », selon les spécialistes.
De ces jours, sombres, d’août 1944, la famille de Catherine Tournellec garde un souvenir mêlé de tristesse et d’injustice. « Notre grand-père n’est pas mort pour la France. Il est mort pour protéger ses enfants. On est fier de toi, sois notre héros à défaut d’être un héros français ! » a déclaré Jean-Pierre Salaün devant la tombe de son grand-père : « Notre mère a porté toute sa vie ce secret, sa blessure ne s’est jamais refermée. Il lui a fallu une grande résilience pour pouvoir croire en la vie et à ses rêves. »
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