
60 000, c’est le nombre de logements indignes en Bretagne. Le constat brutal et inquiétant dressé par la Fondation Abbé-Pierre montre l’ampleur de la crise. Mais face aux « défaillances de l’État », l’espoir d’éviter le naufrage pourrait venir des territoires.
Par Christel MARTINEAU-MARTEEL.
Derrière la porte des habitats indignes que la Fondation Abbé-Pierre ouvre en grand pour montrer l’ampleur de la catastrophe, il y a des gens. Naïma, Jean, Claudine, et bien d’autres encore ont longtemps vécu dans la honte, le déni parfois et le silence souvent. Ils vivent seuls ou en famille avec des enfants, dans un appartement ou une maison à la toiture fuyante, aux murs ravagés par des champignons, sans eau chaude et au milieu des courants d’air… Le temps où la Bretagne semblait relativement épargnée par ces situations alarmantes est révolu.
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Aujourd’hui, selon le rapport annuel de la fondation qui va changer de nom mais pas de combat
, la région compte 60 000 logements dits indignes, majoritairement dans les zones rurales. En 2023, les aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) n’ont permis d’en rénover que 23 ! C’est le département des Côtes-d’Armor qui se démarque dans ce triste record avec 17 850 résidences principales jugées indignes.
Plus 50 % de demandeurs de logements sociaux
La situation est d’autant plus alarmante que ceux qui vivent dans un habitat indigne ont bien du mal à en sortir. Ce sont toujours des situations très complexes avec des personnes qui ne demandent pas d’aide
, explique Stéphane Martin, directeur de l’agence Bretagne de la fondation. D’autant que cette précarité s’inscrit dans un contexte de crise du logement plus globale avec un parc social totalement étranglé. Là aussi les chiffres sont édifiants.
Pour 96 400 demandeurs de logements HLM, dont 40 000 en Ille-et-Vilaine, soit une hausse de 50 % en cinq ans, 16 400 ont été attribués en 2023. 3 000 de ces demandeurs sont sans abris, c’est 79 % en plus en quatre ans.
Naturellement, les recours de droit au logement opposable (Dalo) suivent cette courbe ascendante qui a fait un bond de 71 % entre 2021 et 2023 avec 1 526 demandes en 2023. Ce sera encore plus en 2024
prévient-on à la Fondation.
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Et ce n’est pas la situation d’instabilité politique au sommet de l’État qui donne de l’espoir. En 2023, pour la région, 5 556 logements sociaux ont été programmés contre un objectif initial de 6 400 revu lui-même à la baisse. La dernière étude régionale disait qu’il faudrait 23 000 logements abordables d’ici à deux ans.
On est loin d’un grand plan d’urgence gouvernemental pour refinancer la construction. Et le projet de loi sur le logement abordable semble mal parti
souffle Stéphane Martin.
La solution dans les territoires ?
Cette inquiétante réalité s’est d’ailleurs traduite par un rejet de la programmation de logements proposée par le préfet dans le cadre du comité régional de l’habitat et de l’hébergement de Bretagne en mars dernier par les différentes structures du logement, dont la Fondation Abbé-Pierre. C’est une première. Cette absence de politique publique et de moyens a des répercussions en cascade. Les bailleurs sociaux programment des logements plus chers et parfois même ils vendent des logements pour pouvoir en produire d’autres. C’est une révolution silencieuse qui se met en place. On sent que les bailleurs sociaux sont en train de se résigner et cherchent un nouveau modèle économique
, s’inquiète le directeur pour qui l’autre gros point noir en Bretagne concerne le logement étudiant. Là, c’est Rennes qui remporte le triste record de 106 demandes pour un logement. Quant au parc privé, il est aussi en pleine crise avec des programmes neufs trop chers, des ventes en forte baisse et des promoteurs qui ne parviennent pas à vendre. Ils se tournent même parfois vers nous
, souligne Stéphane Martin.
Mais le directeur de la Fondation refuse de se résigner. S’il pointe clairement les défaillances de l’État, Amélie Jouanno, chargée de mission, salue aussi l’espoir que suscitent certaines initiatives locales. La communauté de communes du Kreizh Breizh dans les Côtes-d’Armor, montre l’exemple. La fondation juge sa politique de lutte contre l’habitat indigne inédite et ambitieuse, qui doit servir à d’autres territoires
. Là aussi, c’est une affaire de volonté politique.
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