Loi Duplomb : pour la juriste Marie Bomar, « tout est fait pour vider l’appréciation du juge et accentuer l’opposition entre agriculture et environnement » (H.fr-31/07/25)

« Les bassines ne sont rentables que pour les très gros projets. Avec un coût environnemental énorme », dénonce Marie Bomar. © Léoty X/Andia.fr

C’est l’un des objectifs de la loi Duplomb : accélérer la construction de méga-bassines. Quitte, selon la juriste Marie Bomar, à affaiblir un peu plus le droit de l’environnement pour éviter que la justice annule des projets pourtant néfastes.

Entretien réalisé par Bruno RIETH.

Depuis 2010, l’association Nature Environnement 17 mène une bataille juridique implacable, en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres, contre les projets de méga-bassines destructeurs pour l’environnement. À son actif, des dizaines d’annulations d’autorisation de construction.

Mais cette lutte risque de devenir bien plus compliquée si la loi Duplomb est promulguée. Entretien avec Marie Bomar, responsable de la cellule juridique de l’association, sur cette loi aux conséquences dévastatrices pour la biodiversité et le partage d’un bien commun, l’eau.

Que va changer la loi Duplomb concernant les méga-bassines ?

Marie Bomar, Responsable de la cellule juridique de Nature Environnement 17

Les nouveaux projets seront désormais considérés comme répondant « à une raison impérative d’intérêt public majeur », ce qui leur permettra de se passer des dérogations lorsqu’ils portent atteinte à des espèces protégées. Cette évolution vise clairement à faciliter les autorisations de méga-bassines comme celles de Sainte-Soline.

Tout est fait pour vider l’appréciation du juge et accentuer l’opposition entre agriculture et environnement. Mais politiser ces sujets, comme le fait le gouvernement, ne va faire qu’augmenter les tensions sur le terrain entre les différents acteurs, et notamment entre les associations de défense de l’environnement et les irrigants. D’autant plus que favoriser la construction de méga-bassines n’aide en rien les agriculteurs.

C’est pourtant l’argument principal des défenseurs de cette loi…

Selon le recensement agricole de 2020, 62 % de l’eau douce en France est consommée par le milieu agricole. C’est le seul usage qui a augmenté ces dernières années, alors que les usages industriels et domestiques ont tous baissé. Et c’est aussi l’usage qui concerne le moins de personnes possibles : parmi les agriculteurs, seuls 6 à 8 % sont irrigants (personnes qui ont recours aux méga-bassines – NDLR). En Charente-Maritime, on doit être à 10 %. C’est une minorité !

Et puis, dans les faits, certaines réserves sont aujourd’hui déjà déficitaires car il n’y a pas assez d’eau, ce qui conduit les irrigants à se retrouver dans des impasses économiques. Les bassines ne sont rentables que pour les très gros projets. Avec un coût environnemental énorme.

Avant la loi Duplomb, y avait-il eu des reculs aussi notables du point de vue de la protection de l’environnement et des ressources en eau ?

Depuis 2020, le législateur, par petites touches, a fait évoluer le droit de l’environnement pour pousser les juges à favoriser les régularisations de bassines. Des projets qui auraient été annulés il y a quelques années sont maintenant régularisés. Surtout que ces procédures de régularisation ne sont pas très contraignantes.

Sous couvert de simplification, on assiste à une grande régression. Cette procédure ne réclame plus de nouvelle étude d’impact du nouveau projet sur l’environnement, mais se limite à comparer les évolutions des impacts entre les deux projets. Très souvent, les porteurs de projets commencent les travaux avant même la régularisation…

L’État incite cette politique du fait accompli. Et tout est fait pour favoriser ces passages en force. Un décret du 10 mai 2024 a modifié la procédure des recours et a réduit le délai de quatre à deux mois et cristallisé les moyens : on ne peut plus avancer d’autres arguments après le délai. Ce qui empêche toute forme de dialogue. On se précipite dans le contentieux alors qu’il existe des instances pour échanger.

Enfin, la possibilité d’appel a été supprimée, et tout est maintenant centralisé au tribunal administratif de Paris. Cela entraîne une perte d’expertise, alors que ces contentieux sont très techniques.

Pourquoi ce combat contre les méga-bassines est-il si important ?

Nous n’attaquons pas systématiquement tous les projets. Mais ceux que nous faisons annuler par la justice administrative sont parfaitement illégaux. Certains ne sont tout simplement pas des projets de substitution, avec des irrigants qui fraudent sur les volumes prélevés. Dans d’autres cas, des bénéficiaires ont refusé de donner au juge administratif leurs volumes de consommation, que ce soit sur les volumes prélevés ou sur le nombre d’exploitants concernés.

Sur d’autres dossiers, les études d’impact sont si mal réalisées que les pompes sont situées trop près des cours d’eau, et dès qu’ils prélèvent, le cours d’eau se vide. Il y a aussi des bassines où il n’y a tout simplement pas de compteurs… En Charente-Maritime, la ressource en eau disponible a déjà diminué de 14 % sur la période 2012-2018 par rapport à 1990-2001.

Ce qui a une incidence sur l’usage domestique de l’eau potable, entre autres, à la fois sur la qualité et la quantité. Car moins il y a d’eau, plus il y a de concentration en pesticides, et ça, nous le constatons régulièrement depuis une dizaine d’années.

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Source: https://www.humanite.fr/environnement/acces-a-leau/loi-duplomb-pour-la-juriste-marie-bomar-tout-est-fait-pour-vider-lappreciation-du-juge-et-accentuer-lopposition-entre-agriculture-et-environnement

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/loi-duplomb-pour-la-juriste-marie-bomar-tout-est-fait-pour-vider-lappreciation-du-juge-et-accentuer-lopposition-entre-agriculture-et-environnement-h/

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