Loi Duplomb : comment l’État organise son impunité judiciaire face aux atteintes à l’environnement (H.fr-31/07/25)

Les défenseurs de l’environnement craignent que la loi Duplomb affaiblisse les possibilités de recours juridiques face aux projets polluants.© Jerome Gilles / NurPhoto via AFP

Avec la loi Duplomb, le gouvernement poursuit la logique qui est la sienne depuis des années : protéger l’État des recours juridiques visant à le condamner pour ses pratiques néfastes pour la biodiversité. Avec pour conséquence d’affaiblir le droit de l’environnement et de rendre inatteignables certains objectifs climatiques.

Par Anthony CORTES et Marie TOULGOAT.

C’est une véritable star. Pas de celles que l’on côtoie sur le tapis rouge, certes, mais elle n’en fait pas moins la une, et déchaîne les passions, tristes ou révoltées, et leurs cris azimutés.

Depuis son adoption en commission mixte paritaire le 26 mai, la loi du sénateur « Les Républicains » (LR) Laurent Duplomb est au centre des attentions, celles de ses défenseurs forcenés comme de citoyens inquiets.

Au point que deux millions de personnes ont signé, en peu de temps et en plein cœur de l’été, une pétition demandant son abrogation pour le danger qu’elle représente pour la biodiversité, la santé et le monde agricole.

Méga-bassines, pesticides, élevage intensif : l’écologie mis au second plan

Derrière ces points de tension représentés par la réintroduction de pesticides, la facilitation de construction de méga-bassines ou l’accélération de l’élevage intensif, une autre conséquence restée pour l’heure sous les radars est à craindre : l’impunité juridique de l’État face aux recours régulièrement portés (et remportés) par les défenseurs de l’environnement.

« Cela s’inscrit dans l’affaiblissement progressif du droit de l’environnement constaté depuis plusieurs années », se désole l’avocate spécialisée Mathilde Lacaze-Masmonteil. Depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, le droit de l’environnement est peu à peu détricoté, volontairement empêché.

En 2020, son camp pose une première pierre avec la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap). Son but : faciliter l’implantation de sites industriels en permettant aux préfets de dispenser les responsables des projets d’enquête publique ou d’autorisation environnementale tout en réduisant le délai accordé aux citoyens pour demander une consultation de la population.

La loi d’orientation agricole affaiblit encore la justice environnementale

Trois ans plus tard, la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables enfonce le clou, offrant à celles-ci les mêmes dispenses d’enquête et d’autorisation, avec l’octroi du label « raison impérative d’intérêt public majeur ».

Concrètement, qu’importe si certaines implantations d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques engendrent la destruction de la biodiversité ou l’artificialisation de sols sur une zone dite, car leur déploiement primerait sur toute autre considération.

Même sous couvert de développement des énergies vertes, c’est la même logique qui s’applique : le développement économique d’abord, la planète ensuite.

Enfin, en 2025, énième coup dur pour le droit de l’environnement. La loi d’orientation agricole (LOA) acte que désormais seules les atteintes « intentionnelles » peuvent être passibles de poursuites pénales. Or, en droit, l’intentionnalité est très difficilement démontrable. L’objectif poursuivi ? Décourager bien des procureurs à engager des poursuites, dénoncent les associations écologistes, et donc neutraliser les requérants.

L’État protégé des poursuites par la loi Duplomb ?

Aujourd’hui, la loi Duplomb vient couronner l’œuvre globale de la Macronie par plusieurs dispositions sœurs : dérogation pour l’utilisation de pesticides, élévation des méga-bassines au rang de « projet d’intérêt public majeur » et réduction du nombre d’élevages soumis aux règles environnementales.

D’où cette question que se posent bien des défenseurs de l’environnement : dans l’ère Duplomb, l’État pourra-t-il encore être reconnu responsable du préjudice écologique que son action cause au vivant ? En 2023, cette reconnaissance a été arrachée en première instance par les cinq associations de l’affaire « Justice pour le vivant », sur décision du tribunal administratif.

Constatant que les produits phytosanitaires mis sur le marché en France présentaient un risque conséquent pour l’environnement et la biodiversité, celles-ci ont attaqué l’État devant la justice.

« Il lui était notamment reproché d’avoir mis en place des procédures de mise sur le marché des produits phytosanitaires incomplètes, n’évaluant pas suffisamment ni correctement les risques sur l’environnement et les espèces », rappelle l’avocate Mathilde Lacaze-Masmonteil.

Contamination aux pesticides : la justice valide les alertes des associations

Pour certaines molécules autorisées en France et retrouvées dans les champs, les effets cocktails des pesticides (conséquence d’un mélange de substances – NDLR) ainsi que leurs effets sur les « espèces non-cibles » – celles qui ne ravagent pas les cultures, mais fréquentent les parcelles traitées – avaient été sous-évalués.

En juin 2023, le tribunal administratif de Paris a donné raison aux cinq associations s’agissant des atteintes à l’environnement.

« Le tribunal a reconnu le préjudice écologique du fait de la contamination généralisée des milieux par les pesticides, de la diminution de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il avait ainsi enjoint à l’État, dans un délai d’un an, de mettre en œuvre des mesures de réduction de l’utilisation des pesticides », détaille l’avocate.

Si l’affaire, en appel, n’est pas encore tranchée, la loi Duplomb devrait permettre à l’État de se mettre en position de ne pas respecter l’injonction qui lui a été faite de réduire les effets néfastes des pesticides.

« Sans enquête, pas de condamnation »

Sur le sujet des méga-bassines, particulièrement brûlant depuis les manifestations écologistes de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) menées notamment par les Soulèvements de la Terre, les mêmes conséquences sont à craindre. Le 8 juillet, le tribunal de La Rochelle a condamné neuf céréaliers pour« délits environnementaux » en lien à leur utilisation des méga-bassines.

Et ce, quelques mois après que la cour administrative de Bordeaux, en décembre 2024, a annulé les autorisations de construction de ces infrastructures délivrées abusivement par l’État. En cause : sa capacité à « détruire tout ou partie » d’une espèce protégée.

Des effets reconnus par la Commission européenne au même moment, qui juge que les projets français en la matière outrepassent six directives.

« Aujourd’hui, bien souvent, pour éviter la construction d’une méga-bassine, notre dernier rempart est le droit européen, rapporte Morgane Piederriere, responsable du plaidoyer chez France Nature Environnement (FNE). Avec la loi Duplomb, qui installe une présomption d’intérêt public majeur, l’État pourra contourner en particulier les directives européennes ”cadre sur l’eau” et ”habitat”, qui interdisent de détruire des espèces protégées sauf… si le projet est reconnu d’intérêt public majeur. »

Un flou juridique qui risque d’encombrer les tribunaux

Reste que les recours ne devraient pas être moins nombreux, selon Dorian Guinard, maître de conférences en droit public et porte-parole de l’association Biodiversité sous nos pieds. La loi Duplomb pourrait même « augmenter le flux contentieux » en raison de sa rédaction hasardeuse.

« Le texte prévoit que ”les ouvrages de stockage d’eau et les prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines qui poursuivent une finalité agricole sont présumés d’intérêt général majeur dans les zones affectées d’un déficit quantitatif pérenne compromettant le potentiel de production agricole lorsqu’ils sont issus d’une démarche territoriale concertée”, énonce-t-il. Sauf que personne ne sait ce que cette suite de mots veut dire, il faudra bien demander l’intervention de juges pour traduire cela, ce qui déterminera si des bassines entrent dans cette définition. Et si oui, lesquelles. »

Même interrogation concernant les élevages. Avec cette loi, l’État élargit le contingent des exploitations pouvant échapper aux contrôles environnementaux. La France pourrait-elle à l’avenir être rappelée à l’ordre pour défaut de contrôles comme cela a été le cas en janvier dernier par la justice administrative ?

C’est pourtant une nécessité alors que « les conséquences néfastes de l’élevage intensif sont nombreuses et reconnues : les rejets polluant les eaux, l’air et les sols contribuent gravement au réchauffement climatique et à la dégradation de la santé publique », rappelle Lorène Jacquet, responsable des campagnes de la fondation 30 Millions d’amis.

« Encore faut-il que l’autorité judiciaire soit prévenue, expose un agent de l’Office français de la biodiversité (OFB) chargé des contrôles et des signalements. Or, la loi Duplomb prévoit que nous devrons désormais d’abord informer le préfet, notre nouvelle tutelle, avant le procureur de la République. Ce qui ouvre la voie à des pressions de la part des préfets, représentants de l’État, pour que ces informations ne soient pas transmises. Et sans enquête, pas de condamnation. » Un verrouillage en règle.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/agriculture/loi-duplomb-comment-letat-organise-son-impunite-judiciaire-face-aux-atteintes-a-lenvironnement

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