
© Fourmy Mario/ABACA
Plusieurs réacteurs sont régulièrement forcés de s’arrêter pour protéger la biodiversité fluviale. Si les coupures en période de fortes chaleurs ont encore un impact très limité sur l’approvisionnement, l’électrification des usages et le changement climatique pourraient changer la donne.
Par Marie TOULGOAT.
Quand la nature paralyse le parc nucléaire français. Quatre unités de la centrale nucléaire de Gravelines (Nord) sont à l’arrêt lundi 11 août en raison de la « présence massive et non prévisible de méduses », dans les stations de pompage de l’eau servant au refroidissement des réacteurs, a annoncé EDF.
Ces arrêts automatiques des unités 2, 3, 4 et 6 « n’ont pas eu de conséquence sur la sûreté des installations, la sécurité du personnel ou sur l’environnement », assure EDF sur son site. La centrale est ainsi provisoirement complètement à l’arrêt, car ses deux autres unités de production 1 et 5 sont actuellement en maintenance.
Le dimanche 29 juin, plus aucune volute de vapeur ne s’échappait des cheminées de la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne). En raison de l’intense vague de chaleur que traversait la France, le réacteur en activité du site a été mis à l’arrêt. Au cœur de l’été 2024, la centrale nucléaire avait déjà été contrainte à réduire sa production.
À chaque fois, la même explication : la température de la Garonne, nécessairement impactée par un thermostat en hausse, dépasse 28 degrés. Or là est la limite fixée en Tarn-et-Garonne par arrêté préfectoral.
Canicule et nucléaire : un risque pour le refroidissement des centrales
Passé cette température, le CNPE (centre nucléaire de production d’électricité) n’a plus le droit, sauf dérogation, de rejeter des eaux dans le fleuve. Alors que les épisodes de canicule sont de plus en plus fréquents et que les tensions sur les ressources hydriques se multiplient, la question se pose : le nucléaire peut-il continuer à fournir de l’énergie de manière fiable ?
Le réchauffement de l’air, dans un premier temps, pourrait menacer la sûreté des infrastructures nucléaires. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN, depuis fusionné avec l’autorité de sûreté nucléaire), dans un avis rendu en 2020 consécutif aux épisodes caniculaires de 2019, assurait ainsi que « de nombreux matériels importants pour la sûreté présentent de faibles marges entre leur température maximale admissible et la température calculée dans les locaux qui les abritent ».
L’organisme concluait toutefois qu’aucune anomalie n’avait été constatée. Olivier Delbos, coanimateur du collectif nucléaire de la FNME-CGT, nuance ces craintes. « Dans les locaux sensibles, nous fonctionnons déjà avec de l’air climatisé, filtré, contrôlé. À moins que les températures dépassent les 60 degrés dehors, quelques degrés ne vont pas changer l’équation », rassure-t-il.
L’impact des rejets d’eau sur la température du Rhône et de la Garonne
Le problème n’est ainsi pas – encore – la sûreté du parc, mais l’état des rivières. En effet, les centrales nucléaires ont besoin d’eau pour leur système de refroidissement. Celle-ci est injectée dans les réseaux pour refroidir les circuits, puis rejetée dans le milieu naturel, intégralement pour ce qui concerne les circuits ouverts, et en partie pour les circuits fermés, le reste s’évaporant des cheminées aéroréfrigérantes.
En présence de ces tours, l’eau est elle-même refroidie par l’air, n’est rejetée dans les fleuves qu’à quelques dixièmes de degrés de plus que la température en amont de la centrale nucléaire. Selon les chiffres communiqués par EDF, à Golfech en effet, la température de la Garonne serait en moyenne plus chaude de 0,2 degré en aval du CNPE.
L’histoire est toutefois tout autre en ce qui concerne les centrales à circuits ouverts. Sans refroidissement à l’air, l’eau rejetée dans la mer ou dans le Rhône, pour les centrales nucléaires de Tricastin (Drôme) et du Bugey (Ain), est bien plus chaude.
Le nucléaire amplifie le réchauffement thermique des eaux
Une note d’analyse réalisée par EDF en 2016 précise ainsi qu’entre 1920 et 2010, l’eau du Rhône s’est réchauffée de plus de 2 degrés vers l’aval. Selon le même document, si le réchauffement climatique a évidemment un rôle à jouer, le réchauffement de l’eau aurait été bien moindre sans les CNPE.
Ainsi, en moyenne annuelle à Aramon (Gard) à proximité de l’embouchure du fleuve, sur les 2,3 degrés d’augmentation constatés, 1,2 est à mettre au compte de l’activité nucléaire, estime l’établissement.
Or ce rehaussement des températures n’est pas sans conséquence sur l’écosystème : les espèces de poissons préférant les eaux fraîches déclinent au profit d’autres, les algues prolifèrent. Une eau plus chaude est aussi moins bien oxygénée, menaçant tout bonnement la survie de certains animaux.
0,37 % de production électrique perdue
Certains réacteurs, lorsque leurs activités menacent de trop échauder les fleuves, sont ainsi condamnés à être ralentis, voire complètement arrêtés. Celui de Chooz (Ardennes), dont l’activité dépend d’un accord conclu avec la Belgique sur les usages de l’eau de la Meuse, ou les installations rhodaniennes de Tricastin et du Bugey représentent plus de 90 % de la puissance perdue entre 2015 et 2020, selon les chiffres de RTE (Réseau de transport d’électricité).
Ces données interpellent d’autant plus que la campagne de développement des EPR prévoit le déploiement de nouveaux réacteurs nucléaires, notamment au Bugey, en amont d’un fleuve déjà réchauffé. Ces arrêts de plus en plus récurrents peuvent-ils avoir un impact important sur la production d’électricité ? Les données dont dispose le gestionnaire du réseau nuancent l’alerte.
À en croire une étude de RTE en 2021, seule 0,37 % de la production annuelle du parc nucléaire (1,4 térawattheure par an) a été perdue en raison de ces arrêts entre 2015 et 2020. L’impact est donc encore particulièrement minime. Mais qu’en sera-t-il dans plusieurs décennies ?
La donne pourrait changer à mesure que les vagues de chaleur se multiplient, notamment du fait de l’augmentation de l’usage de la climatisation. « À l’horizon 2050, les consommations d’électricité pour le chauffage et la climatisation, qui dépendent fortement des températures, seront largement modifiées par rapport à aujourd’hui. La demande associée à la climatisation lors des pointes estivales est en nette hausse, (…) passant d’environ 15 gigawatts (GW) aujourd’hui à près de 30 GW à l’horizon 2050 », note ainsi RTE dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 ».
Olivier Delbos, de la FNME-CGT, abonde : « Si l’on veut décarboner l’industrie de la seule Aquitaine, il faudra l’équivalent de quatre réacteurs du Blayais (Gironde), soit un doublement de l’énergie aujourd’hui consommée. » Le nucléaire est-il condamné à devenir une énergie intermittente et dépendante du climat, au même titre que certaines énergies renouvelables ?
« Ce sont précisément les défaillances du parc nucléaire français (anomalies graves, arrêts fréquents subis) qui contraignent la France à consommer du charbon mais aussi à en importer », alerte Greenpeace dans un communiqué, en juillet. « À considérer le seul nucléaire, peut-être va-t-il devenir une énergie intermittente », concède le syndicaliste. « Mais c’est une erreur de penser la production électrique en la réduisant au nucléaire. Il faut un mix énergétique équilibré, qui nous permette de basculer sur des énergies renouvelables lorsque les CNPE produisent moins », conclut-il.
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