Par Camille André
Michel Blin, 73 ans, a été fait prisonnier lors du coup d’État militaire d’Augusto Pinochet survenu le 11 septembre 1973, au Chili. Cinquante ans après, le Lannionnais se bat toujours pour perpétuer la mémoire.
En 1973, vous aviez 24 ans et vous avez été fait prisonnier pendant quinze jours à Santiago, au Chili, à la suite du coup d’État militaire du général Augusto Pinochet. Il aura ensuite fallu attendre 2011 pour que vous soyez reconnu prisonnier politique. Cinquante ans plus tard, quel souvenir gardez-vous de ces événements ?
Celui d’une situation exceptionnelle. J’ai eu une longue période d’oubli, ce devait être traumatique, j’avais totalement occulté. Et puis, quand Augusto Pinochet a été arrêté (à Londres en 1998, NDLR), ça a ravivé des choses. L’aspect négatif, le choc, le traumatisme de ce que j’avais vécu. Parfois, je pleure quand j’en parle aux journalistes. Il y a aussi la sociabilité chilienne que ça a créée en moi depuis, les relations que j’ai nouées avec ce peuple.
Au niveau juridique, vous avez également entamé des démarches. Où en sont-elles et qu’espérez-vous obtenir aujourd’hui ?
Oui, il y aura un procès au civil contre l’État chilien pour lequel plusieurs de mes amis ont apporté leur témoignage. Ironie du sort, au moment où j’ai envoyé le mandat judiciaire, par un service postal allemand, il n’a dans un premier temps pas pu être remis à mon avocat car c’était en octobre 2019, lorsque d’importantes manifestations sociales ont éclaté au Chili. Ce procès, c’est une démarche personnelle et aussi collective, avec l’Association d‘ex-prisonniers politiques chiliens en France (AEPPCF). L’objectif, ce n’est évidemment pas l’argent mais de montrer au peuple chilien actuel la répression de masse qui a existé à cette époque, et en perpétuer la mémoire.
Est-ce que l’on mène facilement ce type de démarche, cinquante ans après et si loin du pays concerné ?
Il y a d’abord eu la reconnaissance officielle de l’atteinte aux droits de l’Homme dont j’ai été victime par la Commission Valech. Ensuite, pour le procès, il faut beaucoup de documents : un bilan psychologique, un certificat médical ainsi que des témoignages de Français et de Chiliens. Tous ces documents doivent être authentifiés en mairie par apostille, ce que j’ignorais. Cela a donc retardé toute la procédure, sachant qu’il faut aussi que tout soit traduit en espagnol avant d’être envoyé au consulat. Je me fais désormais aider par un avocat de Santiago, spécialiste des droits de l’Homme habitué à ces démarches.
Considérez-vous qu’au Chili, la mémoire de cette répression dont vous avez été l’une des nombreuses victimes est reconnue et entendue de tous ?
Non, je ne crois pas que cette mémoire soit assez représentée. Il y a une grosse minorité de Chiliens qui ne la reconnaît pas et qui pense qu’Allende (au pouvoir à ce moment-là, NDLR), a fait des erreurs et que Pinochet est venu rétablir l’ordre dans le pays. Lui-même n’a jamais reconnu sa responsabilité dans la répression. Récemment, j’ai été interviewé sur mon parcours et une cassette va être conservée à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC ; désormais appelée La Contemporaine, NDLR) de Nanterre. Un autre exemplaire va rejoindre le Musée des droits de l’Homme de Santiago. C’est une manière de conserver les témoignages de ceux qui ont vécu ces événements.
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