À l’Ifremer de Brest, une délocalisation en trompe-l’œil ? ( LT.fr – 28/01/23 )

Le siège social de l’Ifremer a été transféré d’Issy-les-Moulineaux au Technopôle Brest-Iroise, à Plouzané en 2019.
Le siège social de l’Ifremer a été transféré d’Issy-les-Moulineaux au Technopôle Brest-Iroise, à Plouzané en 2019. (Photos archives Claude Prigent)

Le transfert, en 2019, du siège social de l’Ifremer à Brest, serait-il un mirage ? Les syndicats mettent en doute l’assiduité des plus hauts dirigeants dans les locaux de l’institut à Plouzané (29). Ils demandent au ministère de tutelle un audit financier.

Plus de trois ans après le déménagement du siège social à Plouzané, le sommet de la direction générale est dans ses petits souliers après la mise au jour, à l’automne dernier, par les syndicats, de comportements suspects sur les remboursements de frais de déplacement de la directrice de la communication. Il apparaît que cette dernière aurait été défrayée pour plusieurs déplacements injustifiés à Paris, alors que sa résidence administrative est à Brest. Dans un e-mail adressé à son équipe après l’éclatement de l’affaire, l’intéressée a reconnu avoir effectué une centaine de missions à Paris depuis sa prise de fonction à Brest en 2019, « dont 14 n’auraient pas dû être réglées par l’Ifremer ».

Un outil de gestion de frais sans garde-fous

Sous la pression syndicale, le P-DG, François Houllier, a fini par effectuer un signalement au procureur de la République de Brest, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, en fin d’année dernière. Lequel a débouché sur l’ouverture d’une enquête préliminaire confiée à la police judiciaire de Brest. Tout en arguant de sa bonne foi, la cadre, qui s’est engagée à rembourser les sommes indues, a été mise à pied à titre conservatoire.

Franck Jacqueline, Ifremer,
Délégué syndical central CFDT, Franck Jacqueline a constaté qu’il n’y avait aucun garde-fou pour valider les ordres de mission permanents des directeurs de l’institut. (Le Télégramme/Jean-Luc Padellec)

Mais s’agit-il d’une dérive individuelle ou d’un comportement plus systémique ? L’instruction conduite en interne n’est pas très rassurante sur ce point. Elle semble démontrer que la validation des ordres de mission permanents des directeurs échappait à tout contrôle. « Il n’y avait aucun garde-fou. C’était open bar. Les directeurs pouvaient engager des dépenses de leur propre chef, et les valider pour paiement sans aucun contrôle d’un tiers », accablent les délégués syndicaux centraux, Franck Jacqueline (CGT) et Jean-Bernard Donou (CFDT).

Le député demande une mission d’inspection à la ministre

Le binôme a adressé un courrier au cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, pour demander l’ouverture d’une enquête financière. « Seule une telle mesure permettra de ramener la confiance en interne », écrivent-ils, en suspectant « un grave dysfonctionnement, allant à l’encontre des règles d’utilisation de l’argent public ». Alerté, le député brestois Jean-Charles Larsonneur (Horizons) leur a emboîté le pas en suggérant à la ministre de diligenter une mission d’inspection « afin d’évaluer l’ampleur des dysfonctionnements ».

14 conseils d’administration, seulement trois à Brest

En interne, le bruit court que les cadres de direction seraient très peu présents au siège flambant neuf de Plouzané. Le P-DG, lui-même, aurait sa résidence principale dans l’Hérault ; le DRH, à Paris, et le directeur financier, à Besançon. Une chose est sûre : sur les 14 conseils d’administration que l’organisme a tenus depuis le transfert du siège, seulement trois se sont déroulés à Plouzané. Deux autres ont été délocalisés à Nantes et La Seyne-sur-Mer (Var), et les neuf restants dans la capitale.

Les syndicats notent aussi que l’institut loue, pour 18 892 € par mois, des bureaux, rue de Rennes, à Paris. « S’agissant d’un organisme au rayonnement international, je ne vois pas où est le problème. Les interlocuteurs des tutelles, les prestataires, les centres de culture scientifique avec lesquels nous travaillons sont tous à Paris », tente de désamorcer un proche de la direction, de façon anonyme.

En complément

Thierry Charpentier

Depuis le début de l’année, François Houllier, P-DG d’Ifremer, s’astreint à un numéro d’équilibriste. À chaque cérémonie de vœux qu’il préside, il lui faut évoquer la mise à pied conservatoire de sa directrice de communication. Mais, à ce jour, jamais l’affaire n’a été doublée d’un communiqué ou d’une note écrite. « La lettre interne de l’Ifremer, c’est le Télégramme », ironisent plusieurs salariés, qui s’interrogent sur « ce choix de ne laisser aucune trace ». Le délégué CGT Franck Jacqueline enfonce le clou : « Le ministère peut-il le maintenir en place ? »

« Peut-être légal, mais révoltant ! »

Mardi dernier, le sujet a sans doute été abordé, mezza voce, à La Seyne-sur-Mer, où l‘Ifremer accueillait 55 institutions scientifiques. La directrice de la communication n’en était donc pas. Elle a retrouvé Paris pour de bon. Elle aurait été aperçue dans les locaux du CNRS, institution dont elle était détachée depuis début 2019. Selon nos informations, elle aurait réintégré son organisme d’origine. « Si ça se confirme, ce serait peut-être légal, mais révoltant ! », estiment des salariés. Interrogé, Patrick Vincent, directeur général délégué, s’en tient à préciser que « son détachement n’a pas été renouvelé ».

« Chacun habite où il le souhaite »

Cet élément apparaîtra-t-il dans l’enquête interne ouverte au sein d’Ifremer ? « Elle est en cours et se poursuit. Elle concerne la directrice de la communication. Nous sommes en train de parcourir ses frais de mission et d’en faire l’instruction. Nous remontons jusqu’à l’année 2019 », commente Patrick Vincent. Et d’ajouter : « Nous sommes en train d’améliorer tous nos contrôles internes ». Pressé de tourner la page, il bat enfin en brèche les griefs des syndicats sur une délocalisation en trompe-l’œil. « Cette délocalisation est véritable. Ensuite, chacun habite où il le souhaite ».

Auteur : Jean-Luc Padellec

Source : À l’Ifremer de Brest, une délocalisation en trompe-l’œil ? – Bretagne – Le Télégramme (letelegramme.fr)

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