À Nantes, la dérive de jeunes militants d’extrême droite vers l’ultraviolence (OF.fr-27/09/23)

La nuit du 7 au 8 mai 2017, cinq militants ou sympathisants du groupuscule d’extrême droite, le GUD, avaient tendu un guet-apens à deux jeunes hommes de 16 et 18 ans, qu’ils avaient assimilés à des antifas.

Par Nathalie HAMON

Comment cinq hommes âgés de 18 à 27 ans, auteurs d’une agression ultraviolente à l’arrêt de tram Du Chaffault, le 8 mai 2017, à Nantes, dont quatre ont été jugés entre le 18 et le 22 septembre 2023 devant la cour d’assises d’appel du Morbihan, se sont-ils rencontrés ? Qu’ont-ils en commun ? Comment ont-ils été amenés à graviter ou militer dans des groupuscules d’extrême droite ?

Il est le repenti du groupe. Sincère, laissent penser son récit et son attitude. En mai 2017, l’étudiant a déserté la fac d’anglais « gauchiste ». Il a 18 ans, l’âge de deux autres membres d’une virée mortifère. Ce soir du 7 mai où Emmanuel Macron a battu Marine Le Pen, au second tour de l’élection présidentielle, il croise, au local du Front National (le FN, devenu Rassemblement national), à Nantes, des amis et des connaissances, dont quatre autres militants et sympathisants de groupuscules d’extrême droite.

Certains, comme lui, viennent y boire du rosé gratos ; d’autres, proposer leurs services pour du collage ou du service d’ordre. Vers 1 h, à hauteur de l’arrêt de tramway Du Chaffault, le groupe basculera dans l’ultraviolence, infligée à deux inconnus à vélo de 16 et 18 ans, assimilés à des antifas.

« Je n’étais pas un bon à rien »

Visage de poupon, lunettes en métal sur le nez, une épaisse chevelure bouclée, le « repenti », aujourd’hui menuisier, en couple, n’a plus l’allure du Gudard, ces jeunes extrêmistes de l’ultradroite qui militent au sein du Groupe union défense (GUD). Fini les cheveux coupés ras.

Retour sur son parcours. En 2013, il commence à fricoter avec l’extrême droite, au Prytanée national militaire de La Flèche (Sarthe). Un lycée auquel il a accédé grâce à des parents dans l’Armée de terre durant seize ans. La mère, ancienne parachutiste, a embrassé une carrière civile dans le secteur de la santé ; le père, « dans les troupes de marine », est devenu chauffeur routier.

Ce choix, « c’était l’occasion de me rapprocher de lui, de coller à son standard ». Et d’attirer son attention, espérait vainement le garçon rempli de colère. « Je voulais lui montrer que je n’étais pas un bon à rien, comme il me le disait tout le temps ! » Ce père aux méthodes éducatives « humiliantes », ouvertement « raciste et homophobe », n’hésitait pas à railler son fils sur son surpoids ou ses larmes de gosse.

Là, au Prytanée, l’adolescent découvre un univers où « on casse les personnes pour les faire rentrer dans un moule ». Contre mauvaise fortune, bon cœur. Un jour, un camarade d’internat laisse s’échapper d’une poche un patch marqué d’une croix gammée. De fil en aiguille, une amitié se noue, une adhésion progressive au discours lui ouvre les portes des milieux nationalistes.

« Prendre des coups, ça réveille… »

Le jeune homme en recherche de fraternité et de reconnaissance multiplie les rencontres et intègre le GUD, cette organisation étudiante d’extrême droite connue pour ses actions violentes et racistes décomplexées. « On y entre soit en donnant de l’argent, soit en amenant de la bière aux réunions. » Il y trouve une atmosphère qui lui convient. « On pratiquait un humour sans limites, déplacé. On parlait, on buvait. »

Il participe à « des manifestations de défense des commerces ou contre l’immigration », des collages, des tractages. Les idées nauséabondes infusent, comme une drogue lente. L’imprégnation de valeurs identitaires et fascistes se double de bagarres testostéronées aux sensations fortes. Des réponses à un fort besoin « d’exister, d’être vivant. Prendre des coups, ça réveille… C’est exaltant ! »

En juin 2017, le jour où les enquêteurs de la police judiciaire perquisitionnent son studio de 17 m², dans le quartier Dalby, à Nantes, ils tombent sur un poing américain, une panoplie de tracts, d’affiches et d’autocollants de groupuscules d’extrême droite, tels que l’Action française, mouvement nationaliste et royaliste, Defend Naoned (Nantes, en breton), un collectif créé en 2016 en marge des manifestations contre la loi Travail, ou encore Bloc identitaire…

Sur un tableau de son appart est écrit : Love fascist action et Sieg Heil. Le salut de la victoire utilisé sous le régime nazi voisine avec une croix gammée. Après l’épisode Du Chaffault, il n’efface rien. « C’était devenu quelque chose de banal, tout ça, à mes yeux ! »

« Un tremplin pour moi »

Sur le banc des accusés, se trouve aussi Joyce Burkart (1). Il s’en défend mais, à bord de sa 306 qui emmène le groupe le 7-8 mai 2017, il est considéré comme le « chef ». Son âge mûr, sa maîtrise de soi, certainement son charisme, son passé de hooligan parisien condamné pour des violences, à Rennes et à Barcelone, font de lui un leader. Il représente aussi celui qui a constitué le GUD Bretagne, fin 2016, à la demande de responsables parisiens et lyonnais. « Un tremplin pour moi. Pas pour être une espèce de mâle alpha ! »

Cet homme tatoué de 34 ans a grandi sans avoir été reconnu par son père. « Je n’ai pas de souvenirs agréables avec mes beaux-pères, des conjoints violents. » Il grandit dans une famille politisée avec des origines allemandes, au centre de laquelle compte un grand-père, ex-candidat FN dans le Sud-Ouest. « Un parti dont je n’ai jamais été proche. »

Aussi droit dans ses bottes que pointilleux sur la sémantique. Selon l’ancien skinhead (« pour la musique »), qui voue une croyance au culte ancestral païen, il n’est ni nationaliste ni d’extrême droite, n’a rien de suprémaciste, mais identitaire, anticapitaliste, autonomiste breton. « La défense de l’identité européenne, du peuple, me tient à cœur. J’estime que la Bretagne est une nation. »

Se battre, « une activité comme une autre »

L’agression des deux jeunes hommes, âgés de 16 et 18 ans, a eu lieu à hauteur de l’arrêt Du Chaffault, à Nantes, dans la nuit du 7 au 8 mai 2017.

Autre noyau dur du GUD Bretagne, un Nantais qualifié de « chien fou », au caractère impulsif et provocateur, restera le grand absent des deux procès d’assises. Mort accidentellement à l’âge de 23 ans au cours de l’été 2020, en sautant de 30 mètres de haut dans un lac glacé, il n’a pas été jugé et ne sera donc jamais reconnu coupable d’une « manchette » et de coups de semelle de chaussures noires coquées données en pleine tête.

Sujet à des « conduites impulsives, agressives et addictives », il aime se battre. « Entre nous, c’était une activité comme une autre. Comme quelqu’un qui a envie de manger un steak », éclaire le « repenti », son ami.

En 2017 et 2018, le Nantais disparu a été condamné pour des violences aggravées, provocation à la haine ou à la violence en raison de l’origine, injures à caractère racial, à Angers (Maine-et-Loire) et à Nantes. Sur son profil Facebook, il utilisait le pseudo de Theodor Eicke, un membre de la SS, organisateur et créateur de camps de concentration lors de la Seconde Guerre mondiale.

« C’est ancré au fond de moi »

Outre l’agression à Du Chaffault, pour laquelle il a été condamné la semaine passée devant les assises de Vannes, François-Mamès Cosseron de Villenoisy (1) a, lui, été impliqué dans deux autres affaires de violences. Pour l’une d’elles, sur fond de propos suprémacistes et racistes, le 5 mai 2017, dans un bar d’Angers, d’abord condamné, il a finalement été relaxé en appel. Contrairement à son ami décédé. Dans la seconde, quelques mois auparavant, en février, à Nantes, ivre et énervé, gants coqués enfilés, il s’en prend, par-derrière, à un mineur dans la rue… Sous l’œil d’une patrouille de police de la brigade anticriminalité. Les violences ont été retenues à son encontre mais pas la circonstance des raisons raciales.

Le géomètre diplômé, qui occupait un poste en CDI en 2022, a gravité autour de divers groupuscules. « Action française, Renouveau française, GUD… Ce ne sont que des étiquettes, le groupe ou les personnes restaient les mêmes. » Selon lui, « on y trouve une forme de communauté, de fraternité, qu’il n’y a pas forcément dans les grands partis qui fonctionnent de manière pyramidale ».

Son origine familiale s’enracine dans une pratique traditionaliste de la religion catholique. Il connaît « une éducation en accord avec les valeurs que porte sa mère », séparée de son mari royaliste quand lui avait 3 ans.

À 10 ans, en uniforme et à l’internat, il fréquente des écoles privées hors contrat pour garçons. Renvoyé définitivement à quatre reprises parce qu’il « [amusait] la galerie ». L’ex-pratiquant de boxe thaï assume son orientation politique : « patriote français, défenseur des racines culturelles de la France. C’est ancré au fond de moi ». Des actions violentes ? « Je n’en ai jamais vues. » Des idées racistes ? « En 2017, j’étais avec une personne d’origine vietnamienne, donc je ne pense pas… »

L’absence de « figure paternelle »

Coiffure et barbe soignée, le dernier du groupe est un suiveur. Qui s’en remet plutôt à Dieu pour se racheter. Effacé, le souffre-douleur de ses camarades d’école, fragilisé par des problèmes de dyslexie et la maladie de Lyme, ce technicien de maintenance, marié et père de deux enfants, évoque sa mère au foyer, diplômée d’un doctorat, et son père, cadre chez Airbus. « Il n’était pas souvent là, à cause de son travail. Le samedi, il allait couper du bois ; le dimanche, il faisait la sieste… »

Un 8 décembre, lors d’une procession au flambeau de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, le jeune aristocrate sympathise avec des militants de l’Action française. « J’ai adhéré à leurs actions pour le retour du roi, d’une monarchie. » Il y trouve « un groupe d’amis qui se soutient ». Une sorte de palliatif à l’absence de « figure paternelle ». Le point commun aux cinq agresseurs.

À 15 ans, alors qu’il boit une bière avec des sympathisants et le chef local de l’époque, sur une terrasse nantaise, « quinze personnes leur tombent dessus ». Il devient « légèrement paranoïaque » . Le « nationaliste royaliste » soutient ne pas connaître grand-chose du GUD, ne s’y être même jamais investi…

Le 8 mai 2017, la violence sous couvert d’une idéologie dans laquelle ces cinq hommes se sont associés a finalement fait voler en éclats une camaraderie factice. « On prétendait avoir des valeurs, des idées, lâche le « repenti », lors du premier procès d’assises, en 2022, à Nantes, mais tout ça, c’était du vent, un château de sable. »

(1) Joyce Burkart et François-Mamès Cosseron de Villenoisy, 34 et 25 ans, ont été condamnés respectivement à dix ans de prison, dont trois ans avec sursis probatoire, et à six ans de prison ferme, le 22 septembre 2023, devant la cour d’assises d’appel du Morbihan. Âgés de 25 ans, les deux autres hommes, définitivement condamnés pour les faits depuis le premier procès en appel, en mars 2022, aux assises de Loire-Atlantique, sont libres : ils sont condamnés à trois et deux ans de prison avec sursis probatoire.

Source: https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/la-derive-de-jeunes-militants-dextreme-droite-vers-lultraviolence-e171fc68-572d-11ee-b6ba-7dd572906796

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