A propos de prisonniers allemands de la Résistance. ( IC.fr – 20/05/23 )

Monument aux Martyrs de Tulle sur le lieux de l’inhumation des 99 pendus par la division SS Das Reich à Tulle

Jean-Pierre Combe, le 17 mai 2023

            Dans le numéro du quotidien La Montagne du 16 mai 2023, les journalistes Pierre Vignaud et Franck Lagier publient le compte-rendu d’un entretien que leur a accordé Edmond Réveil, membre de l’ANACR ; Edmond Réveil y relate l’exécution « de quarante-sept soldats allemands prisonniers et d’une femme proche de la Gestapo ».

            Quoique démentis par un encadré inséré en bas et à droite de la page trois, ces deux journalistes font semblant de croire qu’ils révèlent un vieux scandale longtemps étouffé : mais la vérité est que les faits évoqués par Edmond Réveil n’ont jamais été tenus secrets par les FTP ; ils sont traités dans les troisième, quatrième et cinquième éditions de « Maquis de Corrèze », ainsi que dans l’œuvre monumentale que Bruno Kartheuser a consacrée aux pendaisons commises à Tulle par la division « Das Reich » le 9 juin 1944 : dès 1975, la relation de ces évènements était largement diffusée dans le public en France et à l’étranger.

A consulter : les massacrés de 1040-1944

            Rien dans cet article ne nous permet de nous faire une idée exacte de la guerre dont le Limousin était alors le théâtre : il est rédigé comme si le territoire corrézien était alors en paix, ce qui est absolument faux.

            Rappelons les faits :

            Les Ecoles normales ont été fermées et leurs fonctions supprimées par Philippe Pétain dès sa prise de pouvoir en juillet 1940 : dès lors, leurs bâtiments ne servaient plus à enseigner les futures institutrices et instituteurs.

            Lorsqu’en novembre 1942 l’armée allemande, la Wehrmacht, envahit la zone dite libre de la France, elle prend possession à Tulle du bâtiment de l’Ecole normale de filles pour y installer un point d’appui de la garnison avec un siège de la Gestapo, laquelle utilise les sous-sols pour enfermer et torturer les femmes et les hommes qu’elle capture.

            En mai et juin 1944, la France en guerre attend le débarquement allié qui doit ouvrir le front ouest, le second front de la guerre antifasciste et antinazie : Le Grand Etat-Major de la Wehrmacht (OKW) planifie la défense de l’empire hitlérien selon trois hypothèses : l’ouverture du second front peut résulter soit d’un débarquement allié sur les côtes de la Manche (en Normandie), soit sur les côtes de l’Atlantique (avec peut-être une diversion en Manche), soit enfin d’une opération aéroportée massive dans les montagnes du centre de la France.

            Le cinq juin 1944, toute la Résistance française est lancée dans la bataille par les « messages personnels » de la radio de Londres ; les premières péniches de débarquement accostent en Normandie au matin du six juin.

            Le sept juin 1944, le commandement corrézien des FTP décide d’attaquer la garnison de Tulle, en vue de libérer cette ville ; le 8 juin 1944, les FTP réduisent le point d’appui placé dans le bâtiment de l’Ecole normale de filles au prix de durs combats et de l’incendie du bâtiment ; il est clair à leurs yeux que les soldats allemands de ce point d’appui sont certainement complices, voire membres de la Gestapo : pour en avoir le cœur net, il faut les vaincre et les faire prisonniers.

            Edmond Réveil mentionne aujourd’hui ce siège et cet incendie ; il rapporte qu’une colonne de soldats allemands sort du bâtiment, que l’un d’entre eux, qui tente de fuir, est tué dans sa fuite par les assiégeants alors que les autres se rendent ; ces soldats sont faits prisonniers ; une trentaine de résistants les emmènent par Allassac, Treignac, le Lonzac, enfin Meymac ; « quelques Tchèques ou Polonais » sont confiés à la MOI, quarante-huit prisonniers parvenant enfin à Meymac au bout de quatre jours et de quarante kilomètres.

            Le 8 juin 1944, deux jours après le commencement du débarquement proprement dit, l’OKW ne s’estimait pas encore en mesure de décider si l’ouverture du second front avait lieu en Normandie ou si le débarquement de Normandie était une simple diversion destinée à faciliter un débarquement en Atlantique qui, lui, ouvrirait vraiment le second front.

            Dans ces circonstances, l’OKW a donné à la division Das Reich la mission d’attendre sa décision dans la région de Limoges, en profitant des quelques jours de stationnement pour réparer les chenilles de son artillerie mécanisée.

            La division Das Reich devait donc s’assurer une semaine de tranquillité autour de Nieul, choisi pour y effectuer les réparations nécessaires, (Nieul est en Haute-Vienne, à dix kilomètres d’Oradour sur Glane) et se couvrir face aux directions de Guéret et de Clermont-Ferrand.

            A cette fin, son Etat-Major divisionnaire définit une zone englobant Tulle Egletons, Ussel, les hauteurs dominant Guéret à l’ouest, La Souterraine, Bellac, Saint-Junien.

            La méthode règlementaire des SS pour assurer la tranquillité de leurs cantonnements est de terroriser les populations : le massacre de tous les habitants d’un village, la pendaison spectaculaire de quelques dizaines d’habitants d’une ville, le massacre de groupes d’hommes désarmés font partie des méthodes terroristes de leurs manuels.

            Donc, ses compagnies et sections motorisées parcourent cette zone en répandant la mort, le plus souvent au hasard : Les premiers crimes de la division sont les pendaisons de Tulle, le génocide d’Oradour sur Glane et, en Creuse, le massacre des jeunes gens désarmés à Combeauvert ; ces trois premiers crimes sont commis aux limites du territoire que la Das Reich doit contrôler, et dans lequel ses compagnies et sections circulent jusqu’à ce que l’OKW lui donne l’ordre de mouvement : cet ordre lui parvient lorsque la remise en état des chenilles de son régiment d’artillerie est achevée, presque une semaine après son arrivée à Nieul…

            Les localités d’Allassac, de Treignac, du Lonzac, de Meymac sont incluses dans la zone assignée aux opérations terroristes de la division Das Reich : par conséquent, tout soldat allemand prisonnier de la Résistance est une menace de mort pour quiconque le détient ; telle est la guerre terroriste des SS (et avec eux, de la Wehrmacht).

            A la vérité, tant que la division SS Das Reich et toutes les autres troupes allemandes n’ont pas quitté le Limousin, les Résistants ne peuvent se protéger de leur terrorisme qu’en tuant ou en retournant tous les soldats allemands qu’ils gardent prisonniers.

            Marcel Godefroy, alias Colonel Rivière dans la Résistance, témoigne des circonstances qui l’ont amené à prendre une décision extrêmement grave : « La garde des prisonniers pose aux officiers du sous-secteur A (la Haute-Corrèze) des FTP de grandes difficultés et inquiétudes : immobilisation pour cette garde d’un détachement entier du cinquième bataillon et surtout les dangers pour les hameaux et la population avoisinant le camp, proies toutes désignées en cas d’expédition répressive si un prisonnier vient à s’échapper ou si l’armée allemande découvre le camp et la présence des prisonniers. » Godefroy assume alors d’avoir « donné l’ordre suivant : il sera demandé à chaque prisonnier qui se déclare opposé à Hitler s’il est prêt à se joindre à nous, à se battre avec nous contre les nazis. Ceux qui accepteront seront intégrés isolément et sous surveillance dans nos unités. Les autres devront être passés par les armes. » Plusieurs soldats, Polonais et Tchèques, font alors le choix de rejoindre les rangs de la résistance où ils participent aux combats de la Libération. Les autres, refusant de renier leur allégeance à Hitler, sont exécutés.

             Ce témoignage est publié dès 1975 dans l’ouvrage Maquis de Corrèze.

            En vérité, pour considérer l’exécution des prisonniers allemands par les résistants comme des crimes de guerre, il faudrait passer tout cela sous silence : le premier véritable crime de cette guerre a été commis par ceux qui ont voulu et organisé la défaite de l’Armée française en 1940, et qui ensuite ont porté au pouvoir en France un maréchal sympathisant de Mussolini entouré de politiciens tarés qui, déjà, kollaboraient avec le nazisme hitlérien, et qui ont organisé avec cette équipe l’occupation de la France par les armées de l’Allemagne nazie ! Les Résistants, eux, ne faisaient que défendre leur propre vie avec leurs pauvres moyens, et en même temps l’honneur et la possibilité de survie de notre pays : en même temps, ils défendaient la paix qu’ils voulaient voir succéder à cette guerre :

            Les Résistants sont le contraire de criminels de guerre !…


Le Collectif Maquis de Corrèze communique

Le 17 mai 2023

Pierre Pranchère, ancien résistant FTPF,

cofondateur et secrétaire général du Collectif Maquis de Corrèze, ancien député de la Corrèze,

Jean-Pierre Combe, président délégué.

            Le 16 mai 2023, France 2 a diffusé à l’occasion de son journal de 20h un reportage intitulé « Un résistant révèle un massacre », portant sur l’exécution en juin 1 944 par la compagnie FTPF de Meymac de soldats allemands faits prisonniers quelques jours plus tôt à l’occasion de l’attaque de Tulle par les résistants FTPF (7-8 juin 1 944). Le même jour, et après la Vie Corrézienne du 12 mai, plusieurs journaux locaux (La Montagne) et nationaux (Le Parisien) reprenaient les mêmes éléments.

            Ce matin, c’était au tour de France Bleu de se mettre au diapason. Le Collectif Maquis de Corrèze tient à rétablir deux vérités concernant les faits relatés dans ces différentes occasions.

            En premier lieu, cet événement est publiquement connu depuis plusieurs décennies, il n’y a là nulle révélation ou découverte. En second lieu, la décision n’émane en aucune façon du commandement allié qui n’a jamais eu d’autorité sur la Résistance intérieure.

            La décision qui a mené à cette exécution a été prise par le commissaire aux opérations de l’interrégion B des FTPF, Marcel Godefroy, alias Colonel Rivière dans la Résistance. Il témoigne, dans l’ouvrage Maquis de Corrèze, après avoir rappelé les pendaisons de Tulle (9 juin), le massacre d’Oradour-sur-Glane (10 juin) et le massacre de 47 résistants FTPF à Ussel (10 juin) : « C’est dans cette disposition d’esprit, peu de jours après, que je suis amené à prendre une décision extrêmement grave. » La garde des prisonniers pose aux officiers du sous-secteur FTP A (Haute-Corrèze) de grandes difficultés et inquiétudes : immobilisation d’un détachement entier du 5è bataillon pour cette garde et surtout « les dangers pour les hameaux et la population avoisinant le camp, proies toutes désignées en cas d’expédition répressive » si un prisonnier vient à s’échapper ou si l’armée allemande découvre le camp et la présence des prisonniers. Godefroy poursuit alors en assumant d’avoir « donné l’ordre suivant : il sera demandé à chaque prisonnier qui se déclare opposé à Hitler s’il est prêt à se joindre à nous, à se battre avec nous contre les nazis. Ceux qui accepteront seront intégrés isolément et sous surveillance dans nos unités. Les autres devront être passés par les armes. » Plusieurs soldats, Polonais et Tchèques, font alors le choix de rejoindre les rangs de la résistance où ils participent aux combats de la Libération. Les autres, refusant de renier leur allégeance à Hitler, sont exécutés.

            Cet événement a été rendu public dès la troisième édition de l’ouvrage Maquis de Corrèze en 1975 (p. 408-409, Paris, éditions Sociales). Les résistants FTPF, et Marcel Godefroy au premier chef, ont choisi, par la publication de ce témoignage dans un ouvrage tiré à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, de le faire connaître et d’assumer cette décision dans le contexte tragique où elle a été prise. Cela n’a jamais été un secret, encore moins dans la commune de Meymac.             Le Collectif Maquis de Corrèze refuse que la Résistance soit tenue comptable du choix des autorités de ne pas procéder aux recherches des corps en vue de leur restitution aux familles des soldats en Allemagne au cours des dernières décennies. Le Collectif Maquis de Corrèze comprend la décision de procéder aux exhumations et aux identifications, il n’admet pas en revanche que cette décision devienne le prétexte à salir la mémoire de la Résistance, à passer sous silence la réalité tragique des premiers jours de juin 1 =944 en Corrèze et l’engagement au péril de leur vie de dizaines de milliers de résistants corréziens pour la lutte contre l’occupant, contre l’idéologie mortifère nazie et pour la Libération de la France


Comment salir (volontairement ou pas) la mémoire de la Résistance !

ANACR Association Nationale des Anciens Combattants et Amis de la Résistance

Le comité de la Corrèze communique :

Brive la Gaillarde, le 16 06 2023

            Des articles parus ce jour dans la presse locale (La Montagne) et nationale (Le Parisien …), présentent comme une révélation « une affaire sensible qui risque de bousculer le discours mémoriel en Corrèze ». Si les auteurs de ces articles avaient pris la précaution élémentaire de se renseigner sur les travaux historiques réalisés sur le sujet et lu les témoignages largement publiés, cela leur aurait évité de relancer une polémique stérile.

            Nous rappelons que depuis des décennies les différentes éditions du livre « Maquis de Corrèze » (dernière édition en 1 995), le livre de l’historien belge Bruno Kartheuser : « Les pendaisons de Tulle le 9 juin 1944 » en 2 004, et le dernier en date de Paul et Mouny Estrade, historiens universitaires « Léon Lanot premier maquisard de Corrèze » (Editions Le Puy Fraud, juin 2 011, pages 146-147), font état du fait de guerre de Meymac le 12 juin 1944. Tout y est dit et la vérité historique est établie, il n’est donc pas question de « bousculer le discours mémoriel » sauf à vouloir réécrire l’Histoire.

            Aussi, affirmer que « nul ne savait » c’est avouer sa propre ignorance. Utiliser le terme de « charnier » en titre d’une première page du journal, s’il est propre à éveiller une certaine « curiosité » du lecteur, est d’une violence inouïe en renvoyant à des images contemporaines sur les médias et les réseaux sociaux. De même sur cette même page, évoquer « une quarantaine de soldats allemands » à retrouver, alors que dans les pages intérieures, pour qui sait faire une soustraction, on aboutit à une trentaine tout au plus (des exhumations ayant déjà été effectuées dans les années 1 960) c’est mensonger.

            Evoquer avec le témoin, des questions qu’il ne se posait même pas à l’époque, concernant « la convention de Genève » censée règlementer les lois de la guerre entre les armées régulières des Etats belligérants, c’est ignorer que les Résistants étaient, pour l’immense majorité, des civils, devenus combattants de la liberté sans uniformes, considérés par l’armée nazie (qui ne s’embarrassait pas de ces scrupules) comme des « terroristes » à abattre sur place ou à déporter vers les camps de la mort. C’est aussi profiter de l’émotion d’un homme de 98 ans pour en faire un sujet de polémique contemporain.

            Nous rappelons enfin le contexte historique du 12 juin 1 944 : il y a face à face, d’un côté les forces nazies de répression qui massacrent les populations civiles du territoire qu’elles occupent et qu’elles oppriment ; de l’autre, des Résistants qui essaient de sauver leur peau, celle de leurs familles et de libérer leur territoire. Ces jeunes patriotes de 18-20 ans, pour qui la guérilla menée contre l’occupant exigeait une improvisation permanente, se sont trouvés dans une impasse et n’avaient d’autre alternative que d’obéir à un ordre supérieur de l’Etat-Major des Forces Françaises de l’intérieur (FFI), dirigé par le Général Koenig.

            Comment ne pas se souvenir que trois jours plus tôt, le 9 juin 1 944, les soldats nazis de la division SS Das Reich pendaient 99 otages à Tulle, que le 10 et les jours suivants ils en déportaient vers les camps de la mort 149 dont 101 ne reviendraient pas, que le même jour, ils exterminaient la population et brûlaient le village d’Oradour sur Glane : 643 victimes, qu’encore le même jour, les soldats nazis de la garnison d’Ussel, assassinaient 47 jeunes maquisards sans armes (les responsables du maquis en avaient connaissance)… autant de crimes de guerre reconnus par la justice mais restés pour l’essentiel impunis ?

            Nous n’avons pas le droit aujourd’hui de nous ériger en juges; demandons-nous ce que nous aurions fait à leur place, de quel côté nous serions-nous trouvés ? Dans le camp de la Résistance ou dans le déshonneur de la collaboration avec les nazis ?

            Si la restitution des corps de Meymac aux autorités allemandes est légitime, nous ne pouvons accepter qu’elle soit instrumentalisée.

            La vigilance reste d’actualité ; face à la résurgence de groupes néo-nazis, au négationnisme aux fanatismes, qui remettent en cause notre démocratie, nous ne pouvons que dénoncer les dérives

nauséabondes de la recherche d’une audience médiatique. Nous saluons dans le même temps les vrais journalistes d’investigation, qui prennent la peine de s’informer avant de publier leurs reportages écrits ou audiovisuels.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *