À qui profitent les derniers accords entre patronats et syndicats ? (IO.fr – 14/07/23)

Elisabeth Borne et Olivier Dussopt recevant, le 22 mai dernier, les représentants du Medef (photo Emmanuel Dunand / AFP)

Par Nicole Bernard

Les confédérations syndicales et les organisations patronales étaient conviées à Matignon, le 12 juillet. Auparavant, elles avaient conclu ensemble un « agenda social », prévoyant la négociation de plusieurs accords. D’autres ont même déjà été signés.

Selon l’édito du journal Les Échos du 5 juillet : « L’accord entre le patronat et les syndicats apporte une bouffée d’oxygène. » Il s’agit de l’accord paraphé par quatre confédérations syndicales et les organisations patronales pour un « programme de négociation » répondant à la sollicitation de Borne en mai dernier de « bâtir un agenda social » .

On comprend que, dans le contexte où la brutalité du gouvernement contre tous les droits étend la colère dans tout le pays, le patronat se félicite des accords déjà signés avec tout ou partie des confédérations syndicales et anticipe les futures discussions.

Trois accords nationaux interprofessionnels (Ani) ont d’ores et déjà été paraphés par tout ou partie des confédérations syndicales :

– L’accord « accidents du travail/maladies professionnelles » qui appelle à modifier l’organisation de la Sécurité sociale en séparant la gestion des accidents du travail de l’assurance maladie (signé par toutes les confédérations).

– L’accord sur le partage de la valeur qui consacre la primauté des mécanismes de participation et d’intéressement qui sont exonérés de charges et ne rentrent aucunement dans le calcul des prestations (invalidité, retraite, arrêts de travail maladie), accord signé par toutes, sauf la CGT.

– L’accord sur la transition écologique (signé par la CFDT et la CFTC).

Deux sur trois ont une incidence directe sur la Sécurité sociale. Deux autres sont annoncés pour l’avenir :

– un accord sur la gouvernance des groupes de protection sociale ;

– un accord sur l’Agirc-Arrco.

Ils ont également un rapport étroit avec les prestations sociales et plus particulièrement avec la frontière entre la Sécurité sociale et les assurances complémentaires (retraites, prévoyance).

UN PROJET DE LONGUE DATE DES PATRONS

Le patronat qui soutient la réforme des retraites est donc candidat à jouer un rôle en matière de protection sociale ?

Rappelons qu’en 1945, le patronat s’élevait contre « le caractère totalitaire du projet, absolument contraire aux idées de liberté, notamment en matière d’association, que la Libération a restaurées en France » .

« Adieu, 1945… » , disait feu Denis Kessler ! Et le Medef continue d’opposer à l’unité de la Sécurité sociale la « liberté des branches et des entreprises ».

En novembre 2003, le Medef a publié sa vision d’une « nouvelle architecture » de la Sécurité sociale.

La « nouvelle architecture » consiste à privatiser la Sécurité sociale en brisant son unité1.

– Les soins seraient confiés à « de véritables opérateurs qui couvriraient un certain nombre d’assurés en négociant avec les différents fournisseurs de soins (sic !), médecins, laboratoires, industrie pharmaceutique et hôpitaux » . Ces opérateurs assureraient un panier de soins défini par l’État et recevraient un forfait par assuré.

– L’indemnisation des accidents du travail serait confiée aux partenaires sociaux (donc aux employeurs) « pour une meilleure adéquation de la politique de prévention à chaque situation particulière ».

C’est l’inverse de la Sécurité sociale.

L’article 1 er de l’ordonnance du 4 octobre 1945 affirme : « Il est institué UNE organisation de la Sécurité sociale qui garantit les travailleurs et leur famille CONTRE LES RISQUES DE TOUTE NATURE, susceptible de réduire ou supprimer leur capacité de gain. » 

Le patronat et le gouvernement veulent instaurer une mosaïque de systèmes ouvrant la voie à la privatisation, comme on l’a vu pour les retraites.

Il n’est pas question de prétendre que ce plan est, actuellement, en cours d’achèvement. L’attachement du peuple à la Sécurité sociale est tel que les fondations tiennent encore bon. Mais, pour autant, il est grave de ne pas s’apercevoir que le patronat et le gouvernement avancent directement leurs plans.

LA PREUVE PAR LES INDEMNITÉS EN CAS D’ARRÊT DE TRAVAIL

En décembre 2021, la Cour des comptes avait commis un rapport pour « résorber le déficit de l’assurance maladie ». Dans ce rapport, outre l’austérité pour les établissements de santé, la Cour s’est penchée sur les arrêts de travail. Avec des chiffres qui ne prouvent rien tant les facteurs sont divers, la Cour des comptes propose des mesures énergiques pour baisser leur coût : « Afin d’inciter plus efficacement les employeurs à adapter les postes, les organisations, les relations de travail, il conviendrait, à niveau inchangé d’indemnisation des salariés, d’accroître la part de l’indemnisation à leur charge directe (des employeurs) et réduire celle de l’assurance maladie. »

En clair, la Sécurité sociale qui verse aujourd’hui À TOUS LES SALARIÉS, quelle que soit leur entreprise, quel que soit leur contrat, 50 % du salaire de référence2, verserait MOINS, à charge pour les employeurs de compléter selon les accords collectifs. Certains experts (hier missionnés par Castex) ont proposé une indemnisation forfaitaire par la Sécurité sociale. Le complément serait négocié par branche, voire par l’entreprise.

QUI PEUT ACCEPTER ?

Et cela au moment où il est question de transférer les indemnités journalières dans une nouvelle branche de la Sécurité sociale qui, à l’instar de ce qui est proposé par l’Ani concernant les accidents du travail, serait « gouvernée » paritairement par le patronat et les organisations syndicales3.

On comprend pourquoi le vice-président de la CPME (patronat) se dit « absolument satisfait de ces accords, en particulier ceux sur le partage de la valeur et sur la branche accidents du travail » . 

Qui peut accepter un tel recul ?

Qui peut accepter l’instauration d’un système dans lequel la protection collective nationale recule au profit des relations contractuelles à différents niveaux ?

Il est nécessaire de réaffirmer qu’il n’y a pas de droits pour tous sans : unité des risques ; universalité des droits ; suppression des exonérations.

LU DANS LA PRESSEL’Opinion, 7 et 8 juillet : « Agenda social : les ambitions secrètes du Medef »« L’élection de Patrick Martin à la tête du Medef (…) bénéficie de circonstances favorables. L’exécutif sans majorité a besoin que les partenaires sociaux signent des accords pour appliquer une partie de sa politique. (…) Président délégué du Medef depuis 2018, il ne découvre pas les sujets. Tous les quinze jours, il a participé à la réunion de coordination sociale instituée à son arrivée par Geoffroy Roux de Bézieux. Le président sortant lui laisse une feuille de route : un agenda social, dont les thèmes ont été négociés entre les trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P) et les cinq centrales syndicales. Seule la CGT a refusé d’y souscrire. “Nous déciderons au cas par cas. Je serais étonné que nous ne participions pas aux sujets importants”, nuance Denis Gravouil, membre du bureau confédéral (…). Le 17 avril, soucieux de montrer qu’il existe une vie après ce douloureux chantier, Emmanuel Macron demande aux partenaires sociaux de négocier un “pacte de la vie au travail” pour parler carrières, emploi des seniors, conditions de travail, etc. La feuille de route adoptée par les syndicats et le patronat, le 4 juillet dernier, reprend notamment ces chantiers (…). “Y’a qu’à demander, on donne”, dit Elisabeth Borne en privé, montrant à quel point l’exécutif souhaite que les partenaires sociaux deviennent faiseurs de loi. (…) (Le Medef) a opposé une fin de non-recevoir à deux questions, essentielles pour les syndicats : la remise en question d’une partie des ordonnances 2017 et la conditionnalité de certaines aides aux entreprises. »n  nEditorial des Echos, 5 juillet : « Un agenda post-retraites malgré tout »« Le gouvernement, déjà en panne de boussole pendant la période des 100 jours fixée par Emmanuel Macron, est en apesanteur depuis les émeutes urbaines qui ont secoué le pays (…). Dans ce contexte, l’accord entre les syndicats et le patronat sur l’agenda social des prochains mois apporte une bouffée d’oxygène bienvenue. (…) En affichant cette feuille de route, les partenaires sociaux entendent montrer au chef de l’Etat qu’il les a trop négligés jusque-là. Et lui signifier à quel point ils sont incontournables dans le contexte de majorité relative à l’Assemblée et de tensions sociales post-retraites qui risquent de perdurer. Le gouvernement ne devrait pas vraiment en prendre ombrage. D’abord, parce que cela nourrit la suite du quinquennat. Ensuite, parce que l’agenda des partenaires sociaux reprend la quasi-totalité des thèmes qui leur avait été soumis par Elisabeth Borne.Une co-construction donc, qui arrange aujourd’hui tout le monde, et qui devrait se concrétiser à Matignon la semaine prochaine. » 

Source : À qui profitent les derniers accords entre patronat et syndicats ? (infos-ouvrieres.fr)

URL de cet article : À qui profitent les derniers accords entre patronats et syndicats ? (IO.fr – 14/07/23) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)

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