Après les émeutes à Nantes et Saint-Herblain, ils hésitent entre crainte et empathie (OF.fr-11/07/23)

Amine et Thibaud travaillent, en juillet, avec la coopérative jeunesse des services, lancée par les Villes de Nantes et Saint-Herblain. Au service des habitants, ces lycéens, impliqués, reviennent sur les nuits d’émeute qui ont suivi la mort de Nahel, 17 ans, tué par un tir policier à Nanterre, le 27 juin.

Par Agnès MÉTAYER.

Ces lycéens travaillent, cet été, à Nantes et Saint-Herblain, pour le confort des habitants, en nettoyant les immeubles ou en assurant l’animation dans les quartiers. Presque quinze jours après les nuits d’émeute qui ont suivi la mort de Nahel, tué par un tir policier à Nanterre, le 27 juin, ces jeunes de Saint-Herblain, Nantes ou Orvault reviennent sur ces épisodes de violence.

Ce vendredi-là, Amine (1), Cathan et Thibaud allaient prendre le tram et se souviennent des châssis de voitures carbonisés et d’une atmosphère lunaire à Saint-Herblain.

Mairie annexe incendiée, magasin Centrakor en cendres : au lendemain de la nuit d’émeutes, après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier à Nanterre, le 27 juin, des habitants de l’agglomération nantaise se réveillaient hagards de l’embrasement des quartiers.

Ce 30 juin, les trois lycéens, eux, partaient bosser à la coopérative jeunesse de services (CJS), une initiative créée voilà neuf ans par les villes de Saint-Herblain et de Nantes.

Pendant le mois de juillet, tous les trois vont nettoyer des immeubles, monter des stands ou encore assurer l’animation dans des centres socioculturels. Une première immersion autant professionnelle que citoyenne.

Quinze jours après les faits, ces jeunes, qui vont donner de leur temps tout en gagnant leurs premiers sous, livrent leur regard nuancé sur ces nuits d’émeutes.

« Le lendemain, j’ai pris conscience »

« Sur le moment, quand j’ai regardé la vidéo du Lidl défoncé, j’ai rigolé, avoue Amine (1) . Mais le lendemain, quand j’ai vu les dégâts, j’ai pris conscience de ce qui s’était passé. Des gens allaient au boulot et se retrouvaient devant leur bagnole cramée : ce sont eux qui se retrouvaient punis. »

Casquette vissée sur la tête, le gamin de Bellevue vient de décrocher son bac et se prépare à un CAP menuiserie. Lui qui a passé son après-midi à installer des chaises pour un concert pour des personnes âgées, dans un joli square à Nantes, dit « comprendre la colère ». Tout en rajoutant dans la foulée : « Ce n’est pas la bonne manière. »

Avec son franc-parler percutant, Amine évoque d’incessantes patrouilles de police, « les regards insistants » des forces de l’ordre qui le mettent toujours mal à l’aise. « Je ne me suis jamais fait contrôler, mais comme je n’ai rien à me reprocher, ça ne m’inquiète pas. »

Entendre la colère sans la cautionner, ni l’excuser : ce sont aussi les mots d’Idy, 18 ans, en terminale, à Clemenceau. La jeune fille, qui n’a pas pu trouver de baby-sitting « à cause de son voile », va, elle aussi travailler, tout le mois de juillet avec la CJS.

« Je comprends l’énervement »

Ce lundi de juillet, cette jeune Orvaltaise nous parle, tout en passant la serpillère dans le hall d’un immeuble, géré par Harmonie habitat, rue de Charente, à Saint-Herblain. « Des gens ont détruit, volé, ils ont abusé. Mais je comprends qu’ils soient énervés. On ne peut pas faire comme si les bavures policières n’existaient pas. »

À ses côtés, Dalloba, 17 ans, n’oubliera jamais son effroi. Elle habite le Sillon, étudie au lycée Carcouët en 1re et espère gagner entre 400 et 600 € avec la CJS. Tout en attrapant le chariot de produits ménagers pour nettoyer l’entrée de l’immeuble, elle se remémore les incendies et se souvient de sa peur. « Peur que les flammes ne se propagent à tout moment » à la tour de vingt-huit étages. Un lieu que ses parents cherchent désespérément « à quitter depuis un an ».

Assis dans une des salles du Carré des services, à Saint-Herblain, Cathan, 16 ans, et Thibaud, 17 ans, se rappellent les actes de vandalisme dans ce bâtiment et les tirs de mortier à proximité. Les deux lycéens, qui résident eux-mêmes dans la ville, se désolent pour le personnel qui travaille dans ce lieu précieux pour les habitants de Bellevue. Ceux-ci y viennent remplir leurs démarches administratives. Ce lundi 10 juillet, de nouveaux feux d’artifice ont été tirés à proximité, en plein jour, obligeant le personnel à sortir en trombe. « Ces agents sont au service des autres, insiste Cathan, en 1re au lycée Camus. Saccager ces locaux, c’est pénaliser des familles et ce n’est pas rendre justice à Nahel. »

Habitant le quartier du Tertre, Thibaud, en 1re à l’Externat des Enfants-Nantais, hoche la tête et renchérit. « Certains ont juste profité de son décès pour faire n’importe quoi. »

Même s’ils ont envie de passer à autre chose, ces jeunes dévoilent un besoin d’exprimer leur ressenti. Au lendemain des émeutes, l’équipe d’animateurs les a incités à poser des mots sur cette violence. Un passage indispensable pour ces grands ados qui constatent qu’après ces nuits-là, « les médias en ont parlé en boucle », comme le remarque Idy.

La violence leur paraît-elle un mode d’action légitime pour obtenir gain de cause ? Assez pessimiste, Amine hésite entre résignation et stoïcisme. « Les manifestations, les réunions, est-ce que ça fait avancer les choses ? Les Gilets jaunes, les manifs pour les retraites : ça n’a pas fait bouger la politique du gouvernement. »

« La vidéo du Lidl a fait le tour du monde »

Du haut de ses 17 ans, Amine doute que cette violence « change la donne ». Il n’empêche, glisse-t-il, que « ça a fait du bruit. La vidéo du Lidl avec la voiture bélier a fait le tour du monde sur les réseaux sociaux ».

À l’approche du 14 Juillet, le lycéen, un peu provocateur, ose même un parallèle avec la Révolution française en 1789. « L’histoire nous montre qu’il faut parfois se rebeller. Il y a eu la prise de la Bastille. Là, ils ont pris le Lidl. Il y avait d’autres façons de montrer la colère, c’est indéniable et choquant. Ce n’est pas un bon comportement, ça ne sert pas l’image de nos quartiers, mais ces jeunes ont choisi ce moyen violent pour se faire entendre. »

(1) Prénom d’emprunt.

Source: https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/temoignage-apres-les-emeutes-a-nantes-et-saint-herblain-ils-hesitent-entre-crainte-et-empathie-e8465cca-1f31-11ee-990b-509b31c26799

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/apres-les-emeutes-a-nantes-et-saint-herblain-ils-hesitent-entre-crainte-et-empathie-of-fr-11-07-23/

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