Arrêts maladie : le pavé dans la mare d’un sociologue finistérien. ( LT.fr – 28/09/22 – 07h00 )

Alain Vilbrod, sociologue et professeur émérite de sociologie à l’Université de Bretagne Occidentale.
Alain Vilbrod, sociologue et professeur émérite de sociologie à l’Université de Bretagne Occidentale.

Sociologue et professeur émérite de sociologie à l’Université de Bretagne Occidentale, Alain Vilbrod vient de sortir son 18e livre, intitulé « Travailler en étant malade ». Un ouvrage dans lequel il prend le contre-pied des débats sur l’absentéisme au travail, en pointant les problèmes générés par le présentéisme.

« Il y en a pas mal qui viennent quand même au travail, même malade. Ce n’est pas très intelligent de venir quand on a une gastro. Moi, j’ai vu des collègues en train de vomir dans chaque chambre ». Ces propos, ce sont ceux d’Ingrid (*), aide-soignante dans un Ehpad finistérien. Elle est l’une des vingtaines de salariés du secteur sanitaire et social à avoir livré son témoignage à Alain Vilbrod, sociologue douarneniste et professeur émérite de sociologie à l’Université de Bretagne Occidentale, dans le cadre de son 18e livre intitulé « Travailler en étant malade ». Celui-ci aborde un thème méconnu : le présentéisme au travail. « C’est le contre-pied de tous les discours sur les abus d’arrêt maladie qui, en fait, représentent une très petite part d’entre eux, mais font régulièrement les gorges chaudes, là où, dans des proportions qui n’ont absolument rien à voir, nombre de salariés restent à leur poste alors qu’ils gagneraient à se mettre en arrêt », présente Alain Vilbrod.

28 % d’arrêts maladie non respectés

Une étude, menée par le groupe de protection sociale Malakoff Médéric Humanis en 2019, corrobore les propos du sociologue : à l’époque, 65 % des salariés déclaraient avoir déjà travaillé en étant souffrants, tandis que 28 % des arrêts maladie prescrits en 2019 n’avaient pas été respectés. « La France est l’un des pays d’Europe où le présentéisme est le plus développé », assure Alain Vilbrod. Dans le cadre de son enquête, menée en 2020 et 2021, il a décidé de se concentrer sur les métiers liés à la santé et au social. Il a donc rencontré des salariés et cadres d’hôpitaux, d’IME, d’Esat, des entreprises de service d’accompagnement à domicile, ainsi que des médecins du travail.

« L’attachement très fort à leur métier »

Si cette approche, « délibérément qualitative », ne permet pas de tirer de conclusions sur le plan statistique, elle sert néanmoins à expliquer les causes de ce phénomène. « La difficulté à se faire remplacer est l’une des principales raisons pour lesquelles les salariés de ces secteurs ne s’arrêtent pas », note le sociologue, rappelant le contexte de très forte tension depuis plusieurs années sur des métiers comme ceux d’infirmiers ou aides-soignants. « Quand on a des situations précaires, des CDD, et c’est le lot commun dans le secteur de la santé et des hôpitaux, on n’a pas envie de se faire remarquer parce qu’on a peur de ne pas voir son contrat renouvelé », poursuit celui qui met aussi en avant « l’attachement très fort de ces salariés à leur métier. Ce sont des secteurs où l’on donne beaucoup de soi-même ».

« Perdre trois jours de salaire n’est pas envisageable »

Alain Vilbrod évoque également les effets indésirables des jours de carence, conduisant certains et, surtout, certaines à trop tirer sur la corde pour ne pas grever un salaire déjà faible. « Perdre trois jours dans un mois lorsque l’on perçoit un salaire déjà en dessous du Smic, ce n’est pas envisageable. Quand on regarde qui travaille dans les services d’aide à domicile ou dans les Ehpad, ce sont très souvent des femmes en seconde carrière après le décès du mari, un divorce ou le départ des enfants, et pour qui ce n’est pas rien de perdre du salaire. Par ailleurs, la médecine du travail n’a pas toujours bonne presse auprès des salariés en proie à des problèmes physiques, car ils ont peur d’être déclassés, voire licenciés, faute de poste adapté », décrit le sociologue. Quitte à aggraver se mettre en danger et, lorsque la corde finit par céder, devoir prendre un arrêt maladie dont personne ne saurait contester la légitimité…

Pratique

« Travailler en étant malade », d’Alain Vilbrod, aux éditions L’Harmattan. 238 pages, 24 €.

Auteur : Dimitri L’Hours

Source : Arrêts maladie : le pavé dans la mare d’un sociologue finistérien – Bretagne – Le Télégramme (letelegramme.fr)

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