Au procès de l’affaire Théo : « Depuis ce jour, je suis devenu un truc, une agression, une vidéo »(H.fr-16/01/24)

Théo Luhaka, à droite, le 9 janvier 2024, au tribunal de Bobigny, lors du premier jour du procès des trois policiers poursuivis pour leur interpellation violente, le 2 février 2017. © Thomas SAMSON / AFP

Interrogé lundi 15 janvier au tribunal de Bobigny, le jeune habitant d’Aulnay-sous-Bois est revenu sur les circonstances du contrôle policier violent dont il a été victime en février 2017 et son impact délétère sur sa vie.

Par Alexandre FACHE

Pantalon couleur crème, une grosse doudoune rouge sur le dos, Théo Luhaka s’est avancé à la barre, ce lundi 15 janvier, en fin d’après-midi. Après une semaine de procès, c’est la première fois que la partie civile avait la parole, après plusieurs jours pendant lesquels ont défilé des experts de la police des polices, des médecins, des psychologues…

Aujourd’hui âgé de 29 ans, le colosse d’1,94 m a raconté les circonstances de l’interpellation du 2 février 2017 qui valent à trois policiers d’Aulnay-sous-Bois d’être traduits devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis, et les conséquences de ces faits. « Depuis ce jour, je suis devenu un truc, une agression, une vidéo. Si vous cherchez « Théo « (sur Internet), vous trouverez » matraque dans les fesses «, pas autre chose », a relevé le jeune homme, visiblement traumatisé, assurant qu’il ne se voyait « aucun avenir ».

Théo Luhaka a aussi raconté les minutes qui ont suivi le « coup d’estoc » fatal, quand il a été ramené dans la voiture des policiers vers le commissariat. Les nouveaux coups, les insultes racistes, le fonctionnaire qui lance : « Ça mérite un snap, ça ! » « Ils étaient très contents d’eux, j’étais comme un trophée… »

« “Je suis mort”, voilà ce que dit Théo aujourd’hui, sept ans après les faits »

Plus tôt lors de l’audience, une experte psychologue avait décrit l’impact délétère de cette interpellation violente sur la victime, avec une dégradation manifeste constatée entre leurs deux rendez-vous, en 2018 et 2020. « Lors de notre première entrevue, il disait ne pas être impacté par les faits, se présentait comme combatif, a raconté Mélanie Debonnaire. Mais il y avait sans doute une part de déni dans cette attitude. Deux ans et demi plus tard, j’ai constaté un laisser-aller significatif, un fatalisme, un élan vital fortement touché, une absence de motivation à se soigner… »

En un mot comme en cent, une dépression manifeste. « Il se voyait comme un mort-vivant, quelqu’un qui n’existe plus sur le plan corporel, mais essaie simplement de survivre sur le plan psychique », complète l’experte. Interrogée par la présidente Caroline Jadis-Pommeau sur « l’évolution possible » de Théo Luhaka, sans suivi psychologique, l’experte a évoqué le « rôle du procès » en cours. « Chaque mot prononcé devant cette cour d’assises aura un impact », prévient-elle.

Psychologue clinicienne, Frédérique Raymond-Lahourde est la dernière à avoir expertisé la victime, en décembre 2023. Elle aussi confirme sa très grande fragilité, son état « dépressif + + », amplifié par « les images véhiculées sur les réseaux sociaux, celle d’un homme violé, avec une matraque dans les fesses ».

« « Je suis mort », voilà ce que dit Théo aujourd’hui, sept ans après les faits. Il n’a plus de copains – à l’exception d’un seul –, plus de projet professionnel, ne peut plus sortir dans son quartier sans être renvoyé à cette image de victime violée », énumère l’experte. Une situation sans espoir d’amélioration ? Pas tout à fait, selon Frédérique Raymond-Lahourde, qui note que la victime « n’a pas d’idées noires ». « S’il combinait soins physiques et psychologiques, il pourrait y avoir une amélioration ? » questionne l’avocat de Théo, Me Antoine Vey. « Oui, tranche l’experte. Il peut ne pas en rester là ! »

Source: https://www.humanite.fr/societe/affaire-theo/au-proces-de-laffaire-theo-depuis-ce-jour-je-suis-devenu-un-truc-une-agression-une-video

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