Au procès des manifestants arrêtés, pas de “factieux” mais de très jeunes adultes au casier vierge, Marianne (23/03/23)

« Marianne » s’est rendu aux comparutions immédiates des manifestants interpellés ces derniers jours dans la capitale, et contre lesquels Éric Dupond-Moretti a réclamé une « réponse pénale systématique et rapide ». Face aux juges, se présentent des jeunes âgés d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, inconnus des services de police.

Dans le box des accusés, des gamins épuisés. Sofiane, Yann, Antoine et Jeanne, tous les quatre 22 ans, sont les premiers à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris, chargé ce jeudi 23 mars, de juger des manifestants soupçonnés d’avoir commis des troubles à l’ordre public dans la capitale lors des manifestations sauvages contre la réforme des retraites de lundi et mardi dernier. Ils ont un casier judiciaire vierge. Ils sont jugés en comparution immédiate. Éric Dupond-Moretti a demandé au parquet une « réponse pénale systématique et rapide » contre les manifestants arrêtés, et appelé à ne réserver les alternatives aux procès qu’aux « faits les moins graves et les plus isolés ».

Sofiane est le premier à se présenter devant les juges. Son bras droit est soutenu par une écharpe médicale. Originaire de Marseille, il est poursuivi pour avoir insulté les forces de l’ordre – ce qu’il reconnaît – (« Fils de chiens, je baise vos mères » dans le texte) et pour des violences – qu’il nie – commises contre deux policiers. L’un dit avoir été agrippé par le dos, l’autre aurait reçu un coup de poing. Au contraire, Sofiane explique que ce sont les policiers qui l’ont frappé vers 1 h 25 du matin, alors qu’il « était parti manger un kebab avec son frère » aux alentours de la place de la Bastille.

Peu de condamnations

Aucune preuve vidéo n’a été versée au dossier. Les accusations de violence portées contre Sofiane sont étayées par le témoignage d’un policier. L’avocate du jeune homme regrette le manque d’éléments disponibles pour éclaircir les circonstances dans lesquelles le jeune homme a été blessé. Tout au long de l’audience, plusieurs prévenus indiqueront aussi avoir été frappés par des policiers au moment de leur arrestation, puis lors de leur transfert vers le commissariat. À la fin de son audition, Sofiane, chauffeur poids lourd au chômage, présente benoîtement ses excuses aux policiers qu’il reconnaît avoir insultés. Suivant les réquisitions du parquet, le tribunal le condamne à 150 heures de travaux d’intérêt général et au versement de 400 euros aux policiers victimes, en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi.

Une avocate glisse à Sofiane qu’il peut faire appel. « Je dois de l’argent à des policiers qui me frappent, bien sûr que je vais contester », grince-t-il, hébété. « Bon courage » s’écrie le public, majoritairement composé de proches et notamment des parents des jeunes prévenus, sous les réprobations du président du tribunal. Il sera l’un des seuls à être jugé ce jeudi, avec Thomas, 26 ans, employé en alternance en tant que chef de rayon dans un Franprix, condamné à des travaux d’intérêt général pour avoir jeté des bouteilles sur les forces de l’ordre (en verre selon la police, en plastique selon lui), et Clément, 32 ans, poursuivi pour avoir attisé un feu de poubelle avec un tube en PVC sur la place de la République.

Les juges n’ont pas interdit de manifester

Comme la loi les y autorise, les autres prévenus ont demandé un délai pour préparer leur défense, ce qui leur a été accordé. Ils seront donc jugés mi-avril. Parmi eux, Jeanne, 22 ans, surveillante dans un lycée, comparaît pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement de ses empreintes digitales, ce qui l’expose à une peine d’un an de prison. Ou Yann, 22 ans lui aussi, étudiant en master en sciences sociales, après avoir suivi une classe préparatoire et obtenu un Bac S avec mention Bien. Son père est ouvrier qualifié dans une imprimerie, sa mère est cadre dirigeante à la Sécurité sociale. Il est lui aussi poursuivi pour des violences commises contre des policiers. En l’occurrence, il est soupçonné d’avoir fait chuter un policier au sol en tirant sur son casque. Son avocate a réuni des témoignages élogieux « d’une dizaine de professeurs », dont l’un, maître de conférences en sciences économiques, lui a donné la meilleure note de sa promotion pour un devoir sur « les enjeux de la réforme du système des retraites en France ». La salle sourit.

Puisqu’aucun n’a de casier judiciaire, la procureur écarte le mandat de dépôt qui les enverrait directement en prison, mais demande toutefois que tous les prévenus soient soumis à un contrôle judiciaire avant leur jugement, avec un pointage hebdomadaire au commissariat le plus proche de chez eux, et surtout une interdiction de paraître aux futures manifestations. Prononcées contre des présumés innocents, ces réquisitions sonnent aux oreilles des avocats de la défense comme une manière « scandaleuse d’empêcher les gens de manifester, ce qui est un droit constitutionnel ». Ces derniers appellent donc les magistrats du siège à exercer leur rôle de garants des libertés publiques. Dans son délibéré, le tribunal ne suivra pas le parquet sur l’interdiction de se rendre aux futures manifestations, estimant qu’aucun élément ne laissait penser que ces prévenus s’étaient rendus aux manifestations « dans l’unique dessein de commettre des infractions ». Comme s’ils n’étaient peut-être pas les « factieux » que le sommet de l’État appelle à réprimer.

Par Pierre Lann

Source: https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/au-proces-des-manifestants-arretes-pas-de-factieux-mais-de-tres-jeunes-adultes-au-casier-vierge

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