Alors que 160 millions de filles et de garçons travaillent dans le monde selon l’OIT, le travail voire l’exploitation de mineurs fait polémique, en Australie, en Italie et aux États-Unis.
Savez-vous qui a préparé votre confiture ou empaqueté vos céréales ? La question peut sembler incongrue, mais elle est pertinente en Australie, en Italie ou aux États-Unis. Dans un article paru sur ABC News, le service public australien d’informations, l’on apprend qu’en Australie, « la pénurie de main-d’œuvre à laquelle était confrontée l’usine de confiture de Jugiong s’est résolue en embauchant des enfants de la campagne environnante ». Jugiong, petite ville située entre Sydney et Melbourne, contournée par une grande autoroute, était comme rayée de la carte, précise le Sydney Morning Herald. On y compte « 222 habitants. Jusqu’au week-end, jusqu’à ce qu’on ait l’impression qu’il y a 3 millions d’habitants », écrit le journal australien, car Jugiong est devenu une sorte de « parc d’attractions pour les gourmands » depuis 2006, année où l’ancien magasin général a fait peau neuve pour devenir « The Long Pantry », qu’on pourrait traduire par « Le Grand Garde-manger ». C’est donc dans ce café, doté d’une petite usine, que l’on trouve des conserves faites par des enfants, rapporte ABC News. A peine plus hauts que leur plan de travail en inox, de petits Australiens épépinent des poivrons, les mains protégées par des gants en plastique, comme on peut le voir dans le reportage d’ABC News, assorti de photos. On y voit également des enfants en T-shirt noir et casquette rouge, aux couleurs de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Ils s’amusent à tirer la langue, comme un signe d’épanouissement et de jeu, dans l’environnement professionnel.
Mais pourquoi employer des enfants ? Les propriétaires du « Long Pantry » expliquent qu’avec une population d’environ 200 personnes à Jugiong, « nous avons réalisé qu’il était peu probable d’attirer des compétences et des talents hors de la ville vers un lieu régional comme Jugiong, nous devions donc constituer notre équipe à partir de rien ». Et de se tourner vers les « vastes propriétés agricoles des cantons environnants », où se trouve, selon ABC News, « une main-d’œuvre potentielle – des enfants de la campagne. Aujourd’hui, les écoliers constituent la majorité de la centaine d’employés du ‘Long Pantry' ». Une responsable du « bien-être et de la culture », – c’est son titre, – précise que le personnel doit être âgé « de 11 ans et plus ». « Ils travaillent dur mais c’est vraiment amusant », déclare-t-elle au service public australien d’informations. Sachant que dans l’état de Nouvelle-Galles du Sud, il n’y a pas d’âge minimum pour travailler, « vous devez avoir 11 ans avant de pouvoir recevoir un numéro de dossier fiscal », précise ABC News. Et de noter une progression de carrière possible : de la plonge à la préparation des aliments, avant d’être « au contact de la clientèle ».
ABC News a surtout interrogé des adolescentes qui expliquent que par ce travail, elles « échappent à l’ennui, le week-end », qu’elles gagnent de l’argent et qu’elles ont « un sentiment de fierté ». Mais cet article a été jugé beaucoup trop élogieux, par des Internautes, dénonçant un retour au XIXe siècle. « Tumulte sur les réseaux sociaux », souligne le Guardian, ce matin. Le journal britannique indique que le gouvernement fédéral australien envisage de fixer l’âge minimum pour travailler à 15 ans, ou 13 ans pour des « travaux considérés comme légers ». Une commission parlementaire recommande à l’Australie de ratifier la convention de l’Organisation internationale du travail, concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi, car, hormis quelques heures par semaine, « le travail des enfants et des jeunes nuit au développement, à la réussite scolaire et à la santé », conclut ce rapport parlementaire, cité par le Guardian.
« L’Italie des petits esclaves »
Le travail des enfants inquiète aussi des journaux, en Italie : le journal La Stampa titre ainsi sur « l’Italie des petits esclaves : 336 000 mineurs sont au travail, en dehors de l’école », après une alerte de l’ONG Save The Children. Ainsi, en Italie, près d’un mineur sur quinze travaille. Dans une vidéo accessible sur le site de La Stampa, des enfants disent avoir travaillé dans des campings ou comme serveur. La restauration est le premier secteur à employer des mineurs en Italie, suivi de la vente au détail, en boutiques et des tâches agricoles, note La Repubblica. « Pour beaucoup de garçons et de filles en Italie, entrer trop tôt dans le monde du travail a un impact négatif sur la croissance et alimente le phénomène de décrochage scolaire », explique le responsable italien de Save the Children, à La Stampa. « Ce sont des jeunes qui risquent de rester piégés dans le cercle vicieux de la pauvreté éducative, bloquant effectivement les aspirations pour l’avenir », affirme-t-il. Et d’établir un lien entre le « travail trop précoce et l’implication dans le circuit pénal. Près de 40% des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par la justice », en Italie, « déclarent avoir exercé des activités professionnelles avant l’âge légal » note le quotidien italien. Inadmissible pour Annalisa Cozzocrea, la rédactrice en chef adjointe de La Stampa fustige « l’hypocrisie classiste des politiques ». Dans un podcast, elle explique que « la classe politique ne devrait pas appeler des jeunes de 13 ans à travailler, elle devrait plutôt les aider », mais ces décideurs préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles très chères, y compris à l’étranger.
États-Unis : offensive républicaine pour affaiblir les protections contre le travail des enfants
Le New York Times a publié une longue enquête de la journaliste Hannah Dreier, sur les enfants migrants « seuls et exilés », contraints d’exercer des métiers pénibles. « 250.000 mineurs non accompagnés sont entrés aux Etats-Unis, ces deux dernières années ». Devant payer leur loyer, leur nourriture, rembourser des passeurs, parfois, et ils ont la pression d’envoyer de l’argent dans leur pays d’origine, ces enfants se retrouvent « dans les abattoirs du Delaware ou du Mississippi », ou bien à l’âge de 12 ans, comme couvreur sur les toits de Floride et du Tennessee, ou bien à 15 ans, à empaqueter des céréales Cheerios toutes les 10 secondes, sur une chaîne dont « les poulies et engrenages rapides ont arraché les doigts et déchiré le cuir chevelu d’une femme ». Normalement, les mineurs sont exclus d’une longue liste d’emplois dangereux, aux Etats-Unis, la loi fédérale exclut, par exemple, les mineurs de travaux de toiture, de transformation de la viande. Il est également interdit de travailler plus de trois par jour, ou après 19h, les jours d’école, sauf dans les fermes. Mais chez les migrants, mineurs isolés, « en grande partie originaires d’Amérique centrale, les enfants sont poussés par un désespoir économique aggravé par la pandémie. Cette main-d’œuvre croît lentement depuis près d’une décennie, mais elle a explosé depuis 2021, alors que les systèmes censés protéger les enfants se sont effondrés », écrit Hannah Dreier. Pour le New York Times, elle a rencontré une centaine d’enfants, travailleurs migrants dans 20 états différents. « À Los Angeles, les enfants cousent des étiquettes ‘Made in America’ sur les chemises J. Crew. Ils transforment le lait utilisé dans la crème glacée Ben & Jerry’s« , « fabriquent des pièces automobiles utilisées par Ford et General Motors » dans le Michigan ou encore « des chaussettes Fruit of the Loom en Alabama ». « Le gouvernement fédéral sait qu’ils se trouvent aux États-Unis, le ministère de la Santé et des Services sociaux est chargé de s’assurer que les parrains les soutiendront et les protégeront de la traite ou de l’exploitation », écrit Hannah Dreier dans le New York Times.
Mais la réalité est toute autre, presque dickensienne
« La situation va empirer », prévient le démocrate Robert Reich, ancien secrétaire au Travail sous l’administration Clinton. Dans un édito pour le Guardian, il note qu’avec la reprise de la consommation, « après la pandémie, les employeurs ont du mal à trouver des travailleurs […] Plutôt que de les payer plus, ils exploitent les enfants. Et les législateurs des États qui dépendent de ces employeurs pour les dons de campagne politique sont disposés à les laisser faire ». Deuxième raison : « les enfants qui sont exploités sont considérés comme différents ; disproportionnellement pauvres, noirs, hispaniques et immigrés. La honte morale de soumettre « nos » enfants à des conditions de travail inhumaines alors qu’ils devraient être à l’école est discrètement évitée, tandis que les législateurs et les électeurs détournent le regard. » Troisième explication, « certains de ces enfants (ou leurs parents) sont sans papiers. Ils n’osent pas parler. Ils ont besoin d’argent. Cela les rend vulnérables », écrit encore Robert Reich dans le Guardian.
‘Arkansas mène la charge, actuellement, pour affaiblir les protections contre le travail des enfants, avec la gouverneure Sarah Huckabee Sanders, ancienne attachée de presse de la Maison Blanche sous Donald Trump : le Guardian nous explique que la gouverneure républicaine vient de signer un projet de loi qui élimine les exigences de cet état du sud pour vérifier que les enfants ont au moins 16 ans avant de travailler. Dans le Midwest, par ailleurs, l’Iowa veut autoriser les enfants d’au moins 15 ans à vendre de l’alcool, les moins de 14 ans pourraient, aussi, occuper des emplois spécifiques dans des usines de conditionnement de viande. En cas de maladie, de blessure ou même de mort, au travail, ce sont les entreprises qui seraient protégées de « toute responsabilité », note le Guardian. L’Ohio peaufine, lui, un projet de loi qui permettrait aux 14-15 ans de travailler toute l’année, et jusqu’à 21 heures, le soir. Et puis, toujours dans le Midwest, « les législateurs du Minnesota, dirigé par un gouverneur démocrate ont déposé un projet de loi qui permettrait aux enfants de 16 et 17 ans de travailler dans la construction », relève le Guardian. « L’Amérique semble revenir au XIXe siècle, lorsque les travailleurs – y compris les jeunes enfants – étaient traités comme de la bouse de vache et que les barons voleurs régnaient en maîtres. Le public doit exiger que le travail des enfants soit à nouveau relégué aux oubliettes de l’histoire », conclut le démocrate Robert Reich, dans son édito au Guardian. 160 millions de filles et de garçons travaillent encore dans le monde, selon l’OIT. Plus de la moitié, dans des métiers dangereux.