Aux Mureaux, les habitants noyés sous les hausses de factures d’eau (H.fr-24/03/24)

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Dans cette ville des Yvelines, lors du changement de délégataire, de Suez à la Saur, plus d’une centaine de foyers ont vu leurs montants à payer exploser. Un collectif citoyen lutte depuis début février contre le fournisseur, qui évoque un rattrapage.

Par Samuel EYENE.

Fatima-Zahra n’en revient toujours pas. Cette propriétaire d’une maison de 100 m2 a découvert, le 6 février 2024, une facture d’eau d’un total de 851,07, euros, délivrée par son fournisseur d’eau potable, la Saur. Elle aurait usé d’une consommation de 193 mètres cubes contre 71 mètres cubes l’an passé. « C’est une grosse surprise pour moi, d’autant que je ne l’ai découverte qu’en regardant ma dernière facture », confie la mère de quatre enfants.

Une bien mauvaise farce, digne d’un 1er avril. Sauf que la plaisanterie n’en est pas une : elle concerne des centaines d’habitants des Mureaux (Yvelines). Depuis quelques semaines, plusieurs foyers muriautins ont découvert que le montant à payer de leur facture d’eau avait significativement augmenté. Sonia, responsable de lignes de fabrication chez Safran, a reçu de son côté une facture 462,69 euros pour 100 m3 d’eau consommés.

Afin de comprendre l’imbroglio, il faut remonter à la fin 2022. « Jusque-là, tout allait bien. Ma famille et moi avions un abonnement mensuel avoisinant les 130 euros de charges pour l’eau. À chaque fin d’année, nous recevions même une régularisation positive, nous faisant gagner 50 euros », confie Fatima-Zahra.

C’est alors que la Saur remplace Suez Eau France afin d’assurer le service public d’eau potable sur Les Mureaux, pour le compte de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPS & O). « Cette annonce a été une grosse surpriseet je me suis rendu compte que le prix du mètre cube avait augmenté d’une facture à l’autre sans explication », poursuit l’habitante.

« Le besoin de s’organiser collectivement »

Les fluctuations de prix ne sont pas les seuls préjudices. « Par exemple, en lisant les factures, je me suis aperçue que la Saur réalisait les régularisations de charges par semestre et non annuellement, comme avant le changement de délégataire. Ce sont des détails. Mais quand on ne fait pas attention, on ne prévoit pas forcément de l’argent de côté pour anticiper un paiement six mois plus tard », souligne Fatima-Zahra.

Autant d’éléments qui conduisent à un choc lors des régularisations. Face à ces incompréhensions, des citoyens s’estimant lésés se sont organisés. Le collectif Les Mur’eau s’est lancé le 12 février 2024. Il regroupe près de 106 membres, au travers d’une discussion WhatsApp. « Notre première action a été d’envoyer un courrier recommandé au prestataire en lui demandant des explications. Nous voulions comprendre la situation. Pourquoi ce doublement des factures ? explique Thibaud de Fleury-Fagnère, cofondateur du groupe et porte-parole du Parti communiste français (PCF) des Mureaux. Par la suite, nous avons interpellé le maire des Mureaux et la présidente de la communauté urbaine, responsable de la délégation de service public. Seule la municipalité a fait un retour, auprès de moi, sans toutefois souhaiter rencontrer les habitants. »

Sollicitée, la municipalité confirme effectivement avoir été alertée « par le collectif d’un souci de factures d’eau » et qu’elle « s’est rapprochée de la Saur pour savoir comment rattraper la situation ». Également joint par l’Humanité, le délégataire de service public, la Saur, précise que ces factures s’expliqueraient par « une saisie erronée lors du changement de délégataire, fin 2022 ». Selon le fournisseur, cela a « entraîné une sous-estimation des mensualités de l’année 2023 qui entraîne une facture de régularisation plus élevée qu’habituellement ».

Mais cette erreur coûte cher aux usagers. « Mon compte bancaire, au 15 mars, est actuellement à -153 euros. Je n’ai jamais autant attendu mon salaire, confie Fatima-Zahra. J’ai 37 ans, j’avais mis de côté avec mon mari. Nous avons réussi à acheter une maison mais au final nous nous retrouvons sans économies. »

Une facture de 8 341,54 euros

Malika se retrouve également dans une situation préoccupante. Pour cette aide-soignante, muriautine depuis août 2019, la facture reçue par mail mi-février affiche un montant de 8 341,54 euros net à payer. « Je suis actuellement en plein divorce. La justice m’a accordé le droit de reprendre le pavillon où j’habite aujourd’hui. Il appartenait avant à mon ex-mari, mais il a quitté le territoire et tous les prélèvements liés aux charges étaient sur son compte. J’ai dû tout reprendre à zéro. Le fournisseur d’eau ne pouvait pas réaliser directement de prélèvements sur mon compte car je n’avais pas donné mon RIB. Je payais les factures quand elles arrivaient. C’était un cumul de factures que je payais », confie cette mère de trois enfants.

Mais comment expliquer cette somme exorbitante ? Dans cette situation de divorce, les factures d’eau du logement étaient expédiées… à Nîmes. « L’adresse a sans doute été déclarée par mon mari. Je pense que les factures étaient envoyées là-bas, mais je n’en avais pas connaissance auparavant », souffle Malika. Créant ainsi un solde antérieur de 2 185,01 euros. Mais pas de quoi justifier l’entièreté de la somme réclamée.

« Au départ, je me suis dit que c’était une erreur. Après, je me suis souvenue qu’en décembre, un tuyau d’arrivée d’eau s’était cassé dans le jardin, poursuit-elle. Je me suis renseignée, lorsqu’une fuite d’eau n’est pas visible, le fournisseur a l’obligation d’avertir l’usager en cas de consommation anormale. Or je n’ai reçu aucun courrier, aucun mail, aucun coup de téléphone. »

Entrée en vigueur en 2013, la loi dite Warsmann a installé un régime de protection financière des usagers contre des changements anormaux de leurs factures d’eau. Elle permet aussi aux abonnés d’être avertis par le gestionnaire du service de distribution de l’eau en cas d’augmentation anormale de leur consommation. Le GPS & O a d’ailleurs formulé une demande en ce sens auprès du délégataire.

Dans un communiqué du 29 février 2024, l’intercommunalité précise qu’elle réclame « également la suspension de toute relance et la mise en place d’un dispositif d’accompagnement des abonnés pour traiter, dans la plus stricte application de la loi Warsmann, les factures qui font l’objet de contestation et proposer des échéanciers de paiement si nécessaire ».

Vers une régie publique de l’eau ?

Pour Malika, il est d’ailleurs question d’urgence :« Je gagne environ 1 800 euros. J’ai déjà du mal à joindre les deux bouts avec trois enfants, dont une avec un handicap. Mon ex-conjoint ne contribue à rien. J’assume un crédit de 1 200 euros seule. Franchement, je ne peux pas suivre. »

De son côté, le collectif Les Mur’eau entend pousser les actions revendicatives. Certains membres plaident pour obtenir une suspension des factures lors des six prochains mois. Mais la Saur s’y oppose, jugeant qu’un « gel des prélèvements entraînerait un report de facturation qui n’est pas la solution la plus adaptée ». D’autres participants du groupe préconisent un échelonnement des paiements, pour pousser la Saur à plus de transparence.

« La Saur a commencé à contacter des gens individuellement. Certaines familles ont reçu un courrier leur expliquant les démarches à suivre pour bénéficier d’un échelonnement des paiements. C’est une bonne chose mais ça n’est pas encore totalement satisfaisant », avance Thibaud de Fleury-Fagnère, du collectif citoyen.

Le porte-parole du PCF des Mureaux estime qu’un retour à une régie publique de l’eau devrait être discuté avec la communauté urbaine. Une remunicipalisation de l’eau déjà mise en place les communes du Grand-Orly Seine Bièvre (Val-de-Marne) et d’Est Ensemble (Seine-Saint-Denis).

« On n’est pas obligé de passer par une délégation de service public. Soit on décide de déléguer au secteur privé, mais en négociant correctement le contrat pour que ce genre d’incident ne se reproduise plus. Soit on garde la compétence au niveau de la communauté », soutient Thibaud de Fleury-Fagnère.

Reste que, pour l’heure, en attente d’une réponse collective, les membres des Mur’eau ont lancé une pétition regroupant déjà 3 752 signatures (au 22 mars 2024). Et ils n’excluent pas l’option de battre le pavé, le 23 avril.

Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/eau/aux-mureaux-les-habitants-noyes-sous-les-hausses-de-factures-deau

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