Brest. Procès du Mediator : « Cathy ne verra jamais Servier condamné, et ça me bouleverse » ( OF.fr – 23/01/23 )

Irène Frachon, pneumologue au centre hospitalier régional et universitaire de Brest, joue un rôle décisif dans l’affaire du Mediator. Le 14 décembre 2022, elle présentait à Ouest France sa BD « Mediator, un crime chimiquement pur », écrite avec l’auteur de polars Éric Giacometti.
Irène Frachon, pneumologue au centre hospitalier régional et universitaire de Brest, joue un rôle décisif dans l’affaire du Mediator. Le 14 décembre 2022, elle présentait à Ouest France sa BD « Mediator, un crime chimiquement pur », écrite avec l’auteur de polars Éric Giacometti.

Irène Frachon, la pneumologue au centre hospitalier régional et universitaire de Brest, joue, depuis 30 ans, un rôle décisif dans l’affaire du Mediator et la dénonciation de ce scandale sanitaire. Alors que débute le procès en appel à Paris, la médecin et lanceuse d’alerte se confie : « On continue à se battre, et à pleurer, ensemble. »


Entretien avec Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui, depuis 30 ans, joue un rôle décisif dans l’affaire du Mediator et la dénonciation de ce scandale sanitaire. Alors que débute le procès en appel à Paris, la médecin et lanceuse d’alerte se confie.

Qu’attendez-vous du procès en appel qui, débuté ce lundi 9 janvier, doit durer jusqu’au 28 juin 2023 ?

Mis sur le marché en 1976, interdit en France en novembre 2009, le Mediator est la raison pour laquelle des patients continuent à mourir encore aujourd’hui. Selon des analyses épidémiologiques récentes, le bilan national pourrait atteindre 2 000 décès. On a donc affaire à un labo qui a vendu un poison mortel, en toute connaissance de cause, avec des milliers de morts à la clé. Cela mérite des condamnations exemplaires, je pense.

Pourquoi parle-t-on de « polar » quand on évoque l’affaire du Mediator ?

Cette affaire possède tous les ingrédients d’un polar, très noir, sauf que … tout est vrai ! Parce qu’ils étaient des produits extrêmement rentables, Servier a tout mis en œuvre pour empêcher le retrait de ces coupe-faim. En authentiques délinquants, les laboratoires Servier et leur fondateur, Jacques Servier lui-même, n’ont hésité devant rien pour cacher la présence de cette molécule extraordinairement dangereuse : ils ont intimidé des médecins, espionné des journalistes, lancé des procès en diffamation, usé de méthodes de barbouzes… Ils pouvaient compter sur leurs soutiens haut placés : même l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, a, elle aussi, choisi d’ignorer les alertes répétées.

Jacques Servier est mort à 92 ans en 2014. Il n’aura jamais été condamné. Comment l’expliquez-vous ?

Servier était tellement protégé. Et ça continue aujourd’hui, comme l’a montré le premier procès : la justice s’est révélée ultra tolérante. Exactement comme mes pairs, les mandarins, les sociétés savantes, l’académie de médecine, etc. Tous ont continué et continuent à accueillir, sur tapis rouge, les laboratoires Servier comme si de rien n’était. Mégalomane, Jacques Servier se sentait investi d’une mission sur le marché du médicament. J’ai lu tous les livres de ce gourou paranoïaque et, franchement, il aurait mérité la camisole de force !

Quand cette affaire a-t-elle commencé, pour vous ?

Au début de ma carrière, à 27 ans, j’étais alors interne dans le service pneumologie de l’hôpital Necker. C’est là que j’ai croisé pour la première fois l’Isoméride. C’est là que j’ai commencé à prendre en charge les victimes du laboratoire Servier. Je n’ai jamais arrêté depuis. On ne peut séparer l’histoire du Mediator de celle, toute aussi cruciale, de cet autre médicament interdit dans les années 90, l’Isoméride, les deux étant fabriqués par les laboratoires Servier. En découvrant la similitude du Mediator avec l’Isoméride, en établissant le lien entre les médicaments et de très graves pathologies cardiaques, je me suis rendue compte de leur dangerosité. Le scandale de l’Isoméride, retiré du marché en 1997, a fait grand bruit aux États-Unis. Mais en France, l’affaire a fait un flop. Au grand dépit d’Éric Giacometti, qui, alors journaliste au Parisien, avait mené une enquête sur l’Isoméride aussi inédite qu’approfondie.

Vous avez l’un des premiers rôles de l’histoire. Comment le vivez-vous ?

Ça dure depuis 30 ans. Ma vie et mon combat se confondent. Ma carrière reste influencée, marquée, parfois trop, par le Mediator. J’ai failli craquer, tout laisser tomber. Et je n’aurais jamais pu tenir le coup si je n’avais pas eu tout le soutien de mes équipes, de mon entourage et des victimes, cette aide inconditionnelle des Brestois et de ces patientes devenues mes amies… Sans oublier cette énergie puisée dans mon environnement, au bord de la mer, dans le Finistère. C’était très difficile à vivre. Ils se sont longtemps moqués de la « plouc », cette petite toubib de Bretagne qui osait les confronter…

Vous semblez un peu blasée ?

De nombreuses victimes vivent avec des complications très graves. Beaucoup d’entre elles ont entamé des démarches indemnitaires qui n’ont toujours pas abouti. Quelques jours avant la sortie de la BD, l’une de mes patientes, Cathy, une survivante, est décédée. Comme Céférina Cordoba, grand symbole des victimes du Mediator, elle ne lira jamais la BD ; et ça me bouleverse. Cathy ne verra jamais Servier condamné ; et ça me révolte. Quoi qu’il arrive, les victimes ont pris perpète. C’est monstrueux. La visibilité des victimes reste mon obsession. Alors, on continue à se battre, et à pleurer, ensemble.

Propos recueillis par Frédérique GUIZIOU.

Source : Brest. Procès du Mediator : « Cathy ne verra jamais Servier condamné, et ça me bouleverse » (ouest-france.fr)

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