« Ce 29 janvier 1943, je ne l’oublierai jamais… » : il y a 80 ans, Morlaix était bombardée. ( LT.fr – 28/01/23 )

Photo de gauche : l’arche endommagée du viaduc immortalisée par un officier allemand. Le cliché fut développé par M. Normandière, photographe place Thiers (aujourd’hui place des Otages), qui en fit un
Photo de gauche : l’arche endommagée du viaduc immortalisée par un officier allemand. Le cliché fut développé par M. Normandière, photographe place Thiers (aujourd’hui place des Otages), qui en fit un tirage pour lui. Photo de droite : les rails flottant dans le vide après le bombardement. (DR)

Il y a tout juste 80 ans, le 29 janvier 1943, Morlaix était bombardée par les alliés. Un drame qui fera plus de 70 victimes dans toute la ville, dont la moitié d’enfants. Après toutes ces années, rescapés et proches n’ont de cesse de témoigner. Pour ne pas oublier.

« Ce 29 janvier 1943, je ne l’oublierai jamais. Nous étions en cours de musique, avec sœur Agnès. J’entends encore les bruits des avions qui approchent. On a vu la bombe tomber sur le viaduc… » Madeleine Caroff avait 11 ans quand Morlaix a été bombardée. Quatre-vingts ans plus tard, elle a les larmes aux yeux en remontant le fil de sa mémoire.

BOMBARDEMENT DU 29 JANVIER 1943 SUR MORLAIX
Le bombardement du 29 janvier 1943 vue du ciel. (K125A)

La cible : le viaduc

Il est 14 h 15. Le ciel est bleu et clair en ce jour d’hiver. Morlaix connaissait déjà les bombardements : l’aérodrome de Ploujean, base allemande, était régulièrement visé par les alliés. Mais ce jour-là, la cible, c’est le viaduc, pour couper la ligne de chemin de fer entre Paris et Brest. Nom de l’opération : « Iramrod ». Douze avions Boston de la Royal Air Force, qui ont décollé de Swanton Morley dans le Norfolk, lâchent 43 bombes sur la ville.

Je me souviens de la sœur qui nous a dit de nous mettre sous nos petits bureaux. Et après, de me réveiller avec plein de terre sur moi…

Le bilan est terrible : estimé à 73 morts (67 sur le coup, et au moins six des suites de leurs blessures) dans toute la ville dont 39 enfants âgés de 4 à 7 ans et leur institutrice, sœur Saint-Cyr (Herveline Laurent). Car l’une des bombes est tombée sur la classe des « grands » de maternelle de l’école Notre-Dame-de-Lourdes.

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Les élèves des deux classes de maternelle de l'école Notre-Dame-de-Lourdes pris en photo à la rentrée 1942.
Les élèves des deux classes de maternelle de l’école Notre-Dame-de-Lourdes pris en photo à la rentrée 1942. (Le Télégramme/Monique Kéromnès)

« Je me suis réveillée pleine de terre »

« J’aurais dû être dans cette classe mais comme j’arrivais à peine à l’école, on m’a mise avec mes deux cousins, raconte Annick Raoul (épouse Madec), aujourd’hui âgée de 85 ans. Je me souviens de la sœur qui nous a dit de nous mettre sous nos petits bureaux. Et après, de me réveiller avec plein de terre sur moi… »

Photo prise au lendemain du bombardement du viaduc de Morlaix, le 30 janvier 1943.
Photo prise au lendemain du bombardement du viaduc de Morlaix, le 30 janvier 1943. (DR)

À l’école, comme dans toute la ville, c’est l’affolement, la confusion. Les rescapés, nombreux à avoir témoigné au fil des années, racontent les cris de désespoir alors que parents et proches accourent vers l’école. « Quand ma mère m’a vue, elle s’est littéralement effondrée », se souvient Madeleine Caroff, saine et sauve, comme ses trois sœurs. Pour d’autres, ce qu’ils découvrent reste indescriptible. « Certains n’ont rien retrouvé de leur enfant… Ou alors, grâce à un morceau de blouse », raconte Annick Raoul qui, elle, sera blessée aux deux pieds.

Pendant longtemps, j’avais du mal à lâcher la main de ma mère…

Un traumatisme à vie

Les rescapés n’ont de cesse de témoigner, depuis quatre-vingts ans. On peut citer Hervé et Pierre Glorennec, les cousins d’Annick Raoul, Michel Bricon, François Normand, Yvon Quitté… Certains sont restés handicapés. Et tous ont été marqués à vie. « Pendant longtemps, j’avais du mal à lâcher la main de ma mère… », dévoile Annick Raoul, qui a confié dans un témoignage n’avoir jamais pris l’avion.

Des bombes sur toute la ville

« C’est une tragédie. Et n’oublions pas toutes les autres victimes en ville », rappelle cette Morlaisienne, qui a perdu son petit frère de 5 ans ce jour-là. Car les bombes sont tombées sur les quartiers des Ursulines, du Créou, du Calvaire, du Carmel, au cimetière Saint-Charles (alors qu’un enterrement s’y déroulait), sur l’église et le presbytère Saint-Melaine, sur la place Thiers (actuelle place des Otages). Et à Penanrue, là où vivaient les Prieur, les grands-parents de Chantal Appriou.

Monique Prieur avait dix ans. Elle a été tuée lors du bombardement de Morlaix, le 29 janvier 1943.
Monique Prieur avait 10 ans. Elle a été tuée lors du bombardement de Morlaix, le 29 janvier 1943. (Photo Famille Prieur)

« Mes tantes, Odile et Monique, étaient sœurs jumelles. Elles avaient 10 ans. Ce jour-là, elles étaient restées à la maison à cause de la rougeole. Une des bombes est tombée sur la maison, derrière l’actuelle sous-préfecture. Odile est sortie seule des décombres. Mais Monique était coincée. Ma grand-mère aussi. Elle a entendu sa fille crier puis de moins en moins puis plus rien du tout… » Le drame marquera la famille pour toujours. Et reste l’un des traumatismes les plus marquants de l’histoire de Morlaix.

Le viaduc après le bombardement allié du 29 janvier 1943.
Le viaduc après le bombardement allié du 29 janvier 1943. (DR)

« Mort pour la France »

Pour les 80 ans de l’événement, dimanche, la liste de l’ensemble des victimes connues du bombardement de Morlaix – toutes déclarées « Mort pour la France » à l’état-civil – sera lue. Rescapés, familles et proches seront là. Notamment grâce à la mobilisation des Amis de l’école Notre-Dame-de-Lourdes qui, d’association de parents née dans les années 90, est devenue association pour la mémoire en 2003. « Au 60e anniversaire, on a inscrit dans nos statuts que notre but était officiellement de faire perdurer le souvenir et commémorer la tragédie du 29 janvier 1943 », explique le président, Dominique Caraës, qui rappelle que l’association est ouverte à tous, même hors de l’école.

Après toutes ces années, une crainte plane : que l’événement tombe dans l’oubli. Au fil des ans, les témoignages ont été recueillis, des documents publiés (notamment celui du journaliste Michel Le Bars), une exposition réalisée par la Ville… Mais aucun travail de recherche historique étayé, qui figerait les connaissances sur le sujet, n’a été réalisé. Sera-t-il réalisé un jour, comme pour le massacre de Gouesnou en 1944 ? Si ça se présente, « nous serions prêts à l’aider », a indiqué le maire de Morlaix, Jean-Paul Vermot.

Rendez-vous

Cérémonie de commémoration des 80 ans du bombardement de Morlaix, le dimanche 29 janvier, à 10 h 40 devant la stèle de la chapelle Notre-Dame-des-Anges (rue du Général-Le-Flô) et à 11 h 40, place des Otages. Messe à 9 h 30, à l’église Saint-Martin. Exposition visible jusqu’au samedi 28 dans le hall de la mairie.

Auteur : Monique Kéromnès

Source : « Ce 29 janvier 1943, je ne l’oublierai jamais… » : il y a 80 ans, Morlaix était bombardée – Morlaix – Le Télégramme (letelegramme.fr)

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