Par FK.L. (Avec S. Le. et M. R.-B.)
Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’union départementale Nord de la CGT, a été arrêté vers 6 h chez lui dans le Valenciennois. Entendu à l’hôtel de police de Lille, où des militants sont venus le soutenir, il a été libéré vers 14 h.
« C’est inadmissible. Jean-Paul a été interpellé comme un criminel. Les policiers ont débarqué à dix chez lui ce matin. La plupart étaient cagoulés. » Membre du bureau de l’UD 59, Stéphane Vonthron ne décolère pas. Comme le dit le syndicaliste, les faits ont eu lieu ce vendredi à 6 h 20 dans la commune du Valenciennois où réside le secrétaire départemental de la CGT du Nord. La police est donc arrivée en nombre pour surprendre l’intéressé au saut du lit. Une secrétaire administrative de la CGT a également été interpellée.
« Ils auraient pu être simplement convoqués… »
Rapidement des militants se sont réunis pour manifester devant l’hôtel de police, à Lille Sud, où les deux interpellés ont été placés en garde à vue. À 12 h 30, ils étaient une petite centaine à brandir simultanément des drapeaux palestiniens et cégétistes. Selon eux, ce sont des tracts de l’organisation syndicale appelant au soutien du peuple palestinien qui sont à l’origine de cette double interpellation, qui ne manquera pas d’être abondamment commentée. En effet, Jean-Paul Delescaut et sa collègue se sont vus reprochés d’avoir fait l’apologie du terrorisme.
Ce serait donc certains passages des tracts qui sont visés avec l’utilisation de termes pouvant apparaître comme ambigus. Et notamment une phrase, reprise dans l’arrêté d’interdiction de manifester publié par le préfet du Nord : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées. ». Ce vendredi matin, la CGT appuyait dans un communiqué que « soutenir pacifiquement le droit des Palestiniens ne peut pas être aussi grossièrement caricaturé et criminalisé ».
La phrase qui poserait problème dans le tract serait celle-ci : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées ». Une phrase reprise dans l’arrêté préfectoral d’interdiction de la manifestation de la CGT qui devait se tenir le 13 octobre à Lille. Sarah Kerrich Bernard, 1ère secrétaire fédérale du PS Nord, qui « ne (partage) pas leur entière analyse sur le conflit » mais « ne (peut) pas tolérer l’intimidation judiciaire », s’interrogeait : « Qui peut croire que la CGT Nord fait l’apologie du terrorisme islamiste ? ».
De son côté, Guy Benssoussan, président de la communauté juive de Lille, disait « se réjouir de la réponse forte et rapide » de la police et de la justice suite à ce tract de la CGT. « La liberté de manifester. Mais la violence et l’appel à la haine, en aucun cas. Ce n’est pas une question de conflit israélo-palestinien, c’est une question de République. »
En attendant, sur le parvis du commissariat lillois, c’est le caractère extrêmement coercitif de l’action policière qu’ont dénoncé les militants. « Nos collègues auraient très bien pu être convoqués librement pour être entendus », a stigmatisé Stéphane Vonthron, qui s’interroge sur « l’état de la démocratie en France ». « Ce qu’il s’est passé ce matin, c’est un basculement du pouvoir vers moins de liberté, vers une fascisation de la société, osait Pascal Blindal, également membre du bureau de l’UD. Et ce que vous voyez, c’est une réponse solidaire. »
Les militants se disaient même prêts à « tenir le siège pendant 96 heures de garde à vue », s’il le fallait. Cédric Brun, conseiller régional et militant CGT insistait : « Jamais dans nos communiqués, on a justifié les attentats du Hamas, jamais on a appelé à assassiner. Au contraire, on appelle à la réconciliation des peuples. » Parmi les manifestants, Mireille Gabrelle, au nom de l’antenne régionale de l’Association France-Palestine Solidarité, a fait le déplacement. « Les interpellés sont des camarades parce qu’ils ont toujours été auprès du peuple palestinien, pour demander justice. On ne se taira pas et on restera là », réagissait-elle.
D’autres élus dont les parlementaires LFI David Guiraud et Ugo Bernalicis se sont rendus sur place et sont entrés dans le commissariat au titre de leur droit de visite. « Nous franchissons des seuils extrêmement graves de criminalisation de la parole publique, y compris d’organisations syndicales comme la CGT, estimait ce dernier. C’est une manœuvre d’intimidation, par Gérald Darmanin, à des fins politiciennes pour empêcher toutes prises de positions qui lui seraient défavorables. » L’entourage de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT indiquait que celle-ci a saisi Élisabeth Borne ce vendredi matin.
« Si je ne partage pas le tract qui lui est reproché, je n’accepte pas qu’on traite un syndicaliste comme un terroriste ! Solidarité », a écrit sur X Fabien Roussel, député (PC) du Nord. « D’interdictions en criminalisations et violences d’état de toutes sortes, Borne et Darmanin font de la France une sorte de régime autoritaire de type nouveau », a dit de son côté Jean-Luc Mélenchon.
Contacté par La Voix du Nord, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a indiqué qu’il ne fera pas de commentaires, renvoyant vers la magistrature.
Vers 14 h, Jean-Paul Delescaut, ainsi que la salariée administrative, ont été libérées. Le secrétaire départemental s’est immédiatement exprimé devant le commissariat : « On a rappelé pendant la garde à vue, la position de la CGT depuis 128 ans… le triangle rouge. Ne pas oublier tous les camarades. Aujourd’hui, on les représente et on ne nous fera pas taire. Il y a des conflits dans le monde et la CGT a son mot à dire. On continuera le combat qu’on a besoin de mener, avec ou sans commissariat, avec ou sans justice, avec ou sans tribunal. Si certains dans cette société veulent un tribunal politique, ils l’auront puisqu’on sera convoqué et, qu’à partir de là, on répondra politiquement aux accusations. On a rappelé que l’organisation CGT n’était pas pour le terrorisme et qu’elle était là pour représenter les travailleurs partout dans le monde. »
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