Chantiers des JO : Amara Dioumassy est mort dans l’indifférence générale. (Mediapart – 06/07/23)

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Amara Dioumassy est mort au travail le 16 juin 2023, à l’âge de 51 ans. © DR

Un ouvrier de 51 ans est mort mi-juin sur le bassin d’Austerlitz à Paris, un chantier visant à rendre la Seine plus propre en vue des JO 2024. Un syndicaliste dénonce une série de manquements à la sécurité et entend faire reconnaître « le premier mort sur un chantier des JO ».

lIl s’appelait Amara Dioumassy et il est mort au travail le 16 juin dernier, à l’âge de 51 ans. Il s’apprêtait à quitter le chantier, situé le long de la Seine, face à la gare d’Austerlitz, quand il a été percuté par une camionnette qui faisait marche arrière.

Amara Dioumassy était maçon et chef d’équipe. Il avait cinq enfants âgés de neuf mois à neuf ans et habitait Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Il était employé en CDI depuis plusieurs années dans une filiale de la société Urbaine de travaux.

« Il est mort juste en dessous de l’institut médico-légal », souffle Lyes Chouai, délégué syndical central CGT de la Sade, filiale de Veolia et entreprise du chauffeur de la camionnette. « Il marchait sur la voie de circulation la plus à gauche, neutralisée pour les travaux. Il était dos à la camionnette. Elle l’a écrasé… », poursuit le syndicaliste, insistant sur l’aspect « très exigu de l’emprise de chantier », sans possibilité de faire demi-tour.

Au total, trois sociétés sont missionnées sur ce chantier du bassin d’Austerlitz, dont la mairie de Paris est la maîtresse d’ouvrage. L’objectif est de stocker les eaux de pluie dans un gigantesque bassin, au lieu de les laisser se déverser, mélangées aux eaux usées, dans la Seine. Plus propre, le fleuve deviendra ouvert à la baignade.

À l’été 2024, les athlètes des Jeux olympiques seront les premières et premiers à y nager. Un an plus tard, trois sites de baignade devraient être ouverts au grand public. « La promesse d’une Seine baignable, ça se prépare et ça avance ! »s’est d’ailleurs félicitée Anne Hidalgo sur Twitter. La maire de Paris a visité le chantier d’Austerlitz, avec la presse, le 13 juin… soit trois jours avant la mort d’Amara Dioumassy.

Ce chantier, Lyes Chouai, de la CGT Sade, l’a aussi arpenté de long en large après le drame. Et il a relevé « de nombreux manquements à la sécurité ». Le premier d’entre eux « et le plus grave » : la camionnette ne disposait pas, selon lui, de bip de recul, permettant aux engins de signaler une marche arrière. « Il n’y avait pas non plus d’homme trafic pour guider le véhicule et assurer la sécurité autour », poursuit le délégué syndical. « Avec la circulation des voitures à côté du chantier, le pauvre Amara… Il n’a rien entendu. »

Des mises aux normes après le drame

Ce n’est pas tout. Comme le démontrent des photos prises sur place, à quelques jours d’intervalle, aucune signalisation ou délimitation pour les piétons n’était en place. Sur le cliché de droite, daté du 27 juin, un tapis rouge et un panneau « piétons » indiquent clairement la zone, à la différence de la photo de gauche, prise le 23 juin. « Il n’y avait pas non plus de fléchage sur la voirie », indique Lyes Chouai, qui a minutieusement légendé toutes ses photos. « Les flèches que l’on distingue datent du temps où la voie n’était pas neutralisée. » Il précise aussi que des glissières de sécurité ont été ajoutées, à d’autres endroits du site.

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Des photos prises avant et après la mise aux normes démontrent l’absence de signalisation pour les piétons. © Lyes Chouai

Après la mort d’Amara Dioumassy, le chantier a été interrompu et a rouvert le 28 juin, comme le rapporte Le Monde.Les mises aux normes ont été ordonnées par l’inspection du travail. « Cela fait un an et demi qu’ils travaillaient comme ça, sans signalisation !, tempête Lyes Chouai. Si le chantier avait ouvert une semaine plus tôt, d’accord… mais là, c’est dingue ! Rien n’était fait, il n’y a que le rendement qui compte. »

Sollicitée par Mediapart, la mairie de Paris, maîtresse d’ouvrage, n’a pas répondu à nos questions sur ces manquements à la sécurité. Elle nous a adressé un communiqué affirmant que « la suspension du chantier a permis de faciliter les mesures d’enquête, de vérifier et d’adapter le cas échéant les mesures de prévention en santé-sécurité au travail en lien avec les instances représentatives du personnel et l’inspection du travail ».

Selon elle, « le chantier a repris après une réunion de l’instance de coordination […] et validation des mesures de prévention par l’inspection du travail ». Le communiqué se conclut ainsi : « L’enquête judiciaire est encore en cours et la Ville y apporte tout son concours afin que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cet accident ».

Lyes Chouai enrage. Pas un mot pour Amara qui est selon lui « le premier mort sur un chantier des JO mais personne ne veut le dire. Politiquement, la mairie de Paris ne veut pas le dire, il ne faut surtout pas qu’il y ait de morts, d’accidents… ».

Ce chantier du bassin d’Austerlitz ne compte officiellement pas parmi les soixante-quatre sites des travaux des Jeux olympiques de Paris 2024, comme le précise Bernard Thibault qui copréside le comité de suivi de la charte sociale des JO (voir notre entretien). Cette charte, qui contient seize engagements environnementaux, économiques et sociaux, a été signée par toutes les organisations syndicales et patronales françaises en 2018.

La moindre des choses serait que le nom d’Amara soit prononcé aux Jeux olympiques.

Lyes Chouai, délégué syndical central CGT chez Sade

En matière de sécurité au travail, elle renforce considérablement, selon l’ex-leader de la CGT, les contrôles et la prévention sur les chantiers des JO. Les résultats sont là, se félicite Bernard Thibault : « Nous avons quatre fois moins d’accidents du travail que sur un chantier classique en France, au même nombre d’heures travaillées. » Lyes Chouai abonde : « J’ai visité un chantier couvert par la charte. C’était nickel, propre, au cordeau. Ça montre bien que quand on veut mettre les moyens, on les trouve », ironise-t-il.

Le site du bassin d’Austerlitz, lui, n’est pas engagé dans cette charte sociale même s’il est en lien avec les JO. « C’est un chantier en relation avec les JO mais les JO n’avaient pas forcément besoin de cette installation pour se dérouler. C’est un plus, décidé par la Ville de Paris », dit Bernard Thibault. Un « plus » dont se félicite grandement la maire de Paris. « Les JO ont été un accélérateur extraordinaire. Sans ça, on aurait mis dix ans de plus à rendre la Seine propre », s’était-elle exclamée face aux journalistes, lors de sa visite du chantier.

« La moindre des choses serait que le nom d’Amara soit prononcé aux Jeux olympiques,soupire Lyes Chouai. Que sa mémoire soit honorée. Parce que là, clairement, tout le monde s’en fout. »

Auteur : Cécile Hautefeuille

Source : Chantiers des JO : Amara Dioumassy est mort dans l’indifférence générale | Mediapart

URL de cet article : Chantiers des JO : Amara Dioumassy est mort dans l’indifférence générale. (Médiapart – 06/07/23) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)

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