Chili. La gauche chilienne perd la bataille du référendum (LH.fr-6/09/22)

Le président Gabriel Boric commente les résultats du référendum au palais La Moneda à Santiago.

La population était amenée à se prononcer pour ou contre la nouvelle loi fondamentale, rompant avec celle rédigée sous la dictature de Pinochet. Le résultat est sans appel. Le président Boric en ressort affaibli mais relance le processus constituant.

Avec 61,9 % de non (rechazo) à la proposition de nouvelle Constitution au Chili, contre seulement 32,1 % de voix favorables (apruebo), la défaite est énorme. C’est un choc. Les pires des sondages donnaient un minimum de 43 % pour l’apruebo. Gabriel Boric, pour être élu président de la République, avait obtenu 4,6 millions de voix au second tour de la présidentielle, en décembre 2021. Avec 4,5 millions de votants en plus, l’apruebo ne recueille que 4,8 millions de voix.

Une utilisation des réseaux sociaux et des médias par la droite

La campagne de la droite, basée sur le mensonge et la peur, a fonctionné. Les conservateurs sont entrés dans le jeu très tôt. Dès l’élection de la première séance de la Convention chargée de l’élaboration d’une nouvelle Constitution. C’était en juillet 2021. Elisa Loncon, mapuche, était élue présidente de cette Convention. C’était un jour de fête. En premier lieu, la droite a dénigré systématiquement la façon dont la Convention menait ses travaux, les comportements des constituants, bien avant que le texte de la Constitution ne soit élaboré. Elle a fait traîner les travaux le plus longtemps possible, a voté contre tous les articles proposés, avant de déclencher l’assaut final contre le texte dans sa totalité. L’utilisation des réseaux sociaux et des médias, totalement acquis à sa cause, a été importante pour diffuser de façon permanente des fake news toujours renouvelées. Sa guerre est victorieuse.

L’inégalité sociale est une des plus élevées au monde

Dans son ensemble, la gauche n’a pas su répondre, convaincre, porter l’espoir que la proposition de nouvelle Constitution était ce dont le Chili avait besoin. Elle a déclenché sa propre campagne très tard. Un an après la droite. La bataille éclair a été belle, dynamique, colorée, mais n’a pas eu le temps d’être efficace. La gauche va devoir s’interroger sérieusement sur sa responsabilité dans cet échec.

Le Chili subit la crise internationale, la montée du dollar, l’inflation, les produits manquants depuis la guerre en Ukraine. En même temps, le pays fait face à sa propre crise. L’inégalité sociale y est une des plus élevées au monde. Il connaît une douzième année consécutive de sécheresse. Il y a eu des négociations positives avec les syndicats pour une forte augmentation du salaire minimum, étalée sur quatre ans. Le gouvernement a également dégagé une aide importante pour répondre aux besoins immédiats de millions de familles. Mais les Chiliens attendaient plus et plus vite.

La marge de manœuvre du gouvernement est considérable-ment réduite

Le gouvernement de Gabriel Boric comptait énormément sur cette nouvelle loi fondamentale. Conséquence immédiate : le Chili reste soumis à la Constitution de Pinochet et à son fameux Tribunal constitutionnel qui défend bec et ongles les principes ultralibéraux. La marge de manœuvre du gouvernement est considérablement réduite. Nombre de ses projets vont devoir attendre des jours meilleurs, comme ceux de réforme du système de retraite et de création d’un système de sécurité sociale. Le sous-sol et ses richesses restent aux mains du privé et l’eau n’est toujours pas un bien commun.

Le gouvernement progressiste ne dispose pas de la majorité au Parlement. Ceci l’oblige à de permanentes négociations avec la démocratie chrétienne pour faire passer chaque loi. Le projet d’amnistie des prisonniers de l’explosion sociale n’a toujours pas été voté et il reste encore une petite centaine de jeunes en prison depuis octobre 2019. De même pour le projet de loi sur les quarante heures. À la suite de la défaite de l’apruebo, les négociations avec la démocratie chrétienne seront certainement plus difficiles. Et cette Chambre des députés et ce Sénat resteront en place jusqu’en mars 2026.

La balle est dans le camp du président Gabriel Boric

Il devait y avoir un changement dans le gouvernement après ce référendum. C’était prévu de longue date, quel que soit le résultat. Les partis regroupés autour du Parti socialiste, avant même le résultat, exigeaient une plus grande présence au sein du gouvernement. Ils vont se sentir plus forts pour tenter de tirer le gouvernement vers sa droite.

Néanmoins, le Chili a déjà voté deux fois en novembre 2020. À cette occasion, il a dit clairement qu’il ne voulait plus de la Constitution de Pinochet et souhaitait qu’une nouvelle soit élaborée démocratiquement. Ces deux votes restent juridiquement valides. Le président, Gabriel Boric, s’était engagé en cas de défaite à relancer immédiatement le processus en faisant procéder à l’élection d’une nouvelle Convention. La balle est dans son camp. Une nouvelle bataille s’engage au Chili, avec un rapport de force beaucoup moins favorable.

Pierre CAPPANERA

source: https://www.humanite.fr/monde/chili/chili-la-gauche-chilienne-perd-la-bataille-du-referendum-762344

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