Dans un livre coécrit avec Anne Jouan, le professeur Christian Riché, médecin pharmacologue à Brest, sort du bois. Sous le surnom de « M. Rungis », il était la principale source d’information de la journaliste, à l’Agence du médicament, notamment lors de l’affaire du Mediator.
La pneumologue Irène Frachon reste le visage du combat contre le Mediator et ses effets secondaires potentiellement graves. Un autre personnage brestois, méconnu, Christian Riché, est aujourd’hui mis en lumière dans le livre « La santé en bande organisée », sorti le 15 septembre. Pour l’heure, ce médecin pharmacologue préfère encore rester dans la pénombre plutôt que de s’agiter sous les projecteurs médiatiques et c’est la coautrice du livre, la journaliste Anne Jouan, qui nous raconte le rôle essentiel de lanceur d’alerte qu’il a tenu, en particulier dans le dossier Mediator.
La rencontre avec Irène Frachon en mai 2009
Médecin spécialisé dans la recherche d’effets secondaires, Christian Riché a été président de la Commission nationale de pharmacovigilance et membre de la Commission d’autorisation de mise sur le marché, deux instances très importantes au sein de l’Agence du médicament. Il travaillait au CHRU de Brest, comme Irène Frachon. Alors, quand elle a disposé d’études de cas brestois ayant pris du Mediator, elle est venue le trouver, en mai 2009, car elle savait qu’il était expert auprès de l’Agence. « Après analyse des cas, il a tout de suite compris que le sort du Mediator allait être scellé puisque c’est un médicament qui présente des effets secondaires potentiellement graves et pour lequel il existait une alternative. Il est donc rentré en contact avec l’Agence. C’était le début des emmerdements… », note Anne Jouan, qui a sorti un bon nombre d’infos exclusives sur ce dossier.
Pourquoi a-t-il accepté d’être l’une de ses sources d’information, à partir de l’automne 2010 et pendant onze ans ? « Je ne sais pas… J’ignore si lui-même le sait véritablement », répond la journaliste, qui a travaillé 20 ans au Figaro. « Pourquoi une source parle ? Il y a toujours une part de mystère. J’ai pour principe de dire que l’essentiel est qu’elle parle. Le fait que M. Rungis (le surnom de Christian Riché pour masquer son identité) décide d’entrer dans le jeu est sans doute lié à un ensemble de choses, une forme d’alchimie : je pense qu’il était étonné de voir qu’il existait des journalistes comme moi au Figaro, loin de l’archétype qu’il avait en tête. Il a aussi pu constater que j’avais déjà beaucoup d’informations. Peut-être l’ai-je aussi un peu amusé… »
Le rapport italien qui le dédouane
Christian Riché n’a jamais été démasqué. Des soupçons ont peut-être pesé sur lui, mais pas au point de l’« outer » (sic) complètement. « Lors de l’écriture de ce livre, M. Rungis m’a raconté que des personnes, dont une très influente à l’Agence, soupçonnaient le rôle qu’il jouait envers Le Figaro. Du coup, elle lui rajoutait des documents dans sa caisse, en se disant : « Il servira peut-être de passeur pour l’extérieur » », rapporte Anne Jouan.
Lorsque l’affaire du Mediator éclate, à la suite de la publication du livre d’Irène Frachon, en 2010, Christian Riché en vient à douter de lui-même et de ses actes passés lorsqu’il occupait de hautes fonctions. Dans le livre, il confie même qu’Anne Jouan lui a « sauvé la vie » en lui transmettant un vieux rapport italien alarmant sur le Mediator, datant de 1999, dont il n’avait pas connaissance. Il a permis de le dédouaner de toute responsabilité et lui a évité tout déshonneur… « En novembre-décembre 2010, j’ai eu peur qu’il se suicide. Lorsqu’il ne répondait pas au téléphone, je m’inquiétais. Une ou deux fois, j’ai contacté un de ses amis pour savoir s’il allait bien. Quand je récupère le rapport italien, je sais qu’il ne l’a pas et je pense qu’il est important qu’il en dispose, notamment pour avoir son avis dessus. Je sais aussi que lorsque je le lui donne, l’idée de suicide passe derrière nous », se remémore Anne Jouan.
Une quinzaine de sources à l’Agence
Christian Riché n’est pas le seul ponte de l’Agence du médicament à avoir choisi de livrer des informations à la journaliste : « Ils étaient une quinzaine à me parler, à des postes très haut placés. Cinq d’entre eux expliquent à la fin du livre pourquoi ils ont souhaité le faire durant toutes ces années et encore aujourd’hui : ils voulaient dire à l’extérieur tout ce qui dysfonctionne à l’intérieur de cette agence dont la mission première est, selon eux, de garantir la sécurité de nos concitoyens en matière de médicaments. Le fait que cette sécurité puisse ne plus être assurée les inquiétait, alors ils se sont décidés à appeler à l’aide ».
Auteur : Frédéric Jacq