Cinq leçons de Mao Zedong, par Igor MAKAROV, membre du comité central du KPRF (H&S-9/01/24)

L’ennemi de la pensée de ce qu’est le socialisme, l’apport et les erreurs de ceux qui ont osé l’imposer est incontestablement la paresse intellectuelle, celle qui se conforme à ce qu’a réussi à imposer la bourgeoisie mais ce qui est peut-être pire, les citations en trois lignes, les résumés hasardeux, l’incapacité à travailler et à confronter une expérience à des conditions concrètes va dans le même sens. Si la France en est arrivée au grotesque, à la caricature de tous les stéréotypes de l’inculture, même la Russie, les communistes russes ont du mal à se dégager de cette gangue et l’article ci-dessous traduit par Marianne Dunlop en est l’illustration. (note de Danielle Bleitrach dans histoire et société)

Source originale: https://gazeta-pravda.ru/issue/141-31490-2225-dekabrya-2023-goda/pyat-urokov-mao-tszeduna/

On célèbre cette année le 130ème anniversaire de la naissance de Mao Zedong. Malgré la formule chinoise bien connue : “70% de victoires et 30% d’erreurs”, la pensée de gauche étrangère n’a pas encore développé une vision objective et équilibrée de son rôle et de sa place dans l’histoire du mouvement communiste mondial. À ce jour, les extrêmes prévalent : de l’apologétique primitive au déni aveugle.

La situation n’est pas meilleure dans notre pays. Apparemment, l’inertie des années précédentes est à l’œuvre : les polémiques acrimonieuses entre le PCUS et le PCC dans la première moitié des années 1960, ainsi que les événements dramatiques qui ont suivi, ont laissé des traces. Même si les camarades chinois eux-mêmes estiment aujourd’hui qu’il s’agissait d’un conflit au cours duquel les deux parties ont prononcé beaucoup de paroles creuses. Le paradoxe est évident : les succès indéniables de la République populaire de Chine obtenus au cours du dernier quart de siècle sont reconnus par tous, il faut simplement analyser et apprendre de leur exemple, mais c’est une tâche ingrate que d’essayer de comprendre d’une manière ou d’une autre la période de trente ans associée au nom de son fondateur.

L’intérêt croissant pour la personnalité de Mao, provoqué par le leadership mondial de l’État qu’il a créé, se manifeste aujourd’hui, malheureusement, non pas tant par l’étude réfléchie de ses œuvres et de son expérience politique unique, que par la reproduction des images du “Grand Timonier” sur toute une série de souvenirs pour touristes. Toute la richesse de sa pensée théorique est réduite à deux ou trois citations éculées tirées du petit livre rouge, telles que : “Le pouvoir est au bout du fusil”.

À l’heure où ce nom sera prononcé encore et encore dans des centaines de langues à travers le monde, il est nécessaire de tirer de lui quelques leçons qui nous paraissent d’une importance durable.

S’appuyer sur la classe

Dans les années 1960 et 1970, des critiques peu intelligents ont souvent tenté de qualifier Mao Zedong de dogmatique et de doctrinaire. Cependant, sa vie entière et ses luttes réfutent clairement ce genre d’absurdité. L’essence de sa vie est succinctement exprimée par ses propres vers :

En son temps, Gengis Khan était

caressé par le destin.

Que savait-il faire ?

Percer des aigles avec une flèche.

Tout a disparu.

Pour connaître les vrais gens,

il faut regarder dans le présent !

Mao avait l’œil vif non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir lointain. Il avait l’art inégalé d’identifier la force principale de toutes les forces sociales et de s’appuyer audacieusement sur elle, sans tenir compte des dogmes et des prédestinations “sacrées”, pour résoudre les problèmes clés de l’époque. C’est peut-être avant tout ce qui l’a distingué des autres dirigeants du marxisme chinois naissant.

En son temps, Li Dazhao, que l’on peut à juste titre qualifier de fondateur du parti communiste chinois, écrivait, à propos des différences essentielles entre les civilisations du monde : “Dans la vie quotidienne d’un homme de l’Orient, le repos est la règle et le mouvement est l’exception ; dans la vie quotidienne d’un homme de l’Occodent, le mouvement est la règle et le repos est l’exception”.

Au XXe siècle, Mao est devenu l’un de ceux qui ont impitoyablement brisé des milliers d’années de mythologie sur le calme et la passivité des peuples orientaux. Ne souhaitant pas rejoindre la “queue” qui attend éternellement que le prolétariat occidental s’organise et crée un avenir communiste radieux pour toute l’humanité, le jeune dirigeant chinois a misé sur une autre classe sociale. En travaillant sur la question paysanne, il se révèle non seulement un praticien révolutionnaire, mais aussi un chercheur scientifique de talent. Suivant les traces de F. Engels, qui avait laissé une brillante analyse sociologique basée sur des observations personnelles, La situation de la classe ouvrière en Angleterre, il résuma théoriquement son expérience de l’étude de l’arrière-pays rural dans son Rapport sur le mouvement paysan dans la province du Hunan (1927).

Bientôt, prédit Mao, des centaines de millions de paysans se soulèveront dans toutes les provinces de Chine. Ils seront rapides et irrésistibles, comme un ouragan, et aucune force ne pourra les retenir. Ils briseront les liens qui les lient et se précipiteront vers la libération. Ce sont eux qui creuseront la tombe des impérialistes, des militaristes et des fonctionnaires détourneurs de fonds. Enfin, “ils examineront tous les partis et groupes révolutionnaires, tous les révolutionnaires pour les accepter ou les rejeter”.

D’ailleurs, Sun Yatsen, le premier dirigeant de la Chine républicaine, a tenté de s’appuyer entièrement sur la paysannerie. Après avoir formulé trois principes directeurs du nouvel État : “le nationalisme, le pouvoir du peuple et le bien-être du peuple”, il souligne : “La question de savoir si nous sommes capables ou non de mettre en œuvre le principe du bien-être du peuple ne peut être tranchée que par les paysans”. Mais le parti Kuomintang, qu’il a fondé, a ignoré ce testament et est devenu le centre de la bureaucratie paramilitaire et des intellectuels nationalistes bourgeois.

Il en va tout autrement du parti communiste qui, sous la pression de Mao, déplace le centre de gravité de sa lutte vers les campagnes dès la fin des années 1920 et y accumule intensément des forces pour “encercler” les villes contre-révolutionnaires. “La révolution chinoise”, note-t-il dans le texte “Sur la nouvelle démocratie”, “est essentiellement une révolution paysanne… Le système politique de la nouvelle démocratie est essentiellement l’octroi du pouvoir à la paysannerie. Le pouvoir de la paysannerie est la force principale de la révolution chinoise”.

À première vue, Mao proposait quelque chose d’inouï et de clairement contraire à la théorie et à la pratique marxistes classiques. Cependant, les “vrais disciples” n’ont jamais compris Marx, pour qui il était évident, même au 19e siècle, qu’en la personne des pauvres des campagnes, la révolution prolétarienne “obtiendra ce chœur sans lequel son solo dans tous les pays de paysannerie se transformera en un chant du cygne”. Les disciples “exemplaires” comme K. Kautsky ne tenaient pas compte de ces jugements, les considérant comme des égarements de leur grand mentor. D’ailleurs, lorsque la première vague révolutionnaire du vingtième siècle a frappé la vaste Russie paysanne, Kautsky n’a pas du tout conseillé aux ouvriers révoltés de se mêler des affaires villageoises : “Le mouvement révolutionnaire urbain doit rester neutre dans la question des relations entre paysans et propriétaires”.

Le “socialisme pur” de Kautsky, atteignable par des chicanes parlementaires et des tractations sans principes, est resté un mythe. Mao a suivi d’autres exemples : Lénine et Staline. Après avoir commencé son premier congrès en juillet 1921 avec douze délégués, le parti communiste chinois comptait plus de 2 millions 700 mille membres lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1949. Dans le même temps, près de 90 % de ses militants étaient des paysans pauvres.

Certains “eurocommunistes” du siècle dernier, qui qualifiaient avec arrogance Mao de “Meneur des campagnes déshéritées”, sont restés à jamais en marge de l’histoire réelle. Leurs “vieux refrains” ne sont-ils pas repris aujourd’hui par certains partis communistes d’Europe occidentale, puissants et influents il y a quarante ans ? Apparemment, en vertu de leurs anciens mérites, ils tentent à nouveau d’enseigner la vie aux quelque 100 millions de PCC, mais, après avoir emprunté la voie manifestement vouée à l’échec du populisme bavard, ils se transforment imperceptiblement en sectes plutôt étranges. Il existe aujourd’hui de nombreuses “interprétations” de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, mais la couleur rouge, l’idéologie de classe, pour laquelle ces partis ont été conçus et créés, est pratiquement absente. Leur base sociale actuelle est constituée par les couches marginalisées. Le problème de la subjectivité politique a complètement disparu du “discours” théorique et des pages de la presse de ces “partis”. Il a disparu parce qu’aucun d’entre eux n’a sérieusement l’intention de changer la réalité sociale de son pays. Après tout, ils en font partie intégrante, ils sont l’un des “soutiens” du monde qui ne cesse de glisser vers l’abîme.

Rester proche des “racines”

L’une des questions fondamentales posées par Mao Zedong dans les années 1930 était la suivante : “Un communiste, en tant qu’internationaliste, peut-il être en même temps un patriote ? La réponse à cette question, qui n’était pas évidente pour beaucoup à l’époque, était sans équivoque : “Nous pensons que non seulement il le peut, mais qu’il le doit”.

L’envergure internationale de sa personnalité, l’énorme influence qu’il a exercée sur le cours des événements mondiaux ne démentent pas, mais soulignent les racines nationales les plus profondes de Mao. En cela, il contraste directement avec un autre Chinois célèbre du vingtième siècle, Tchang Kai-shek, chauvin Grand Han en paroles et homme de main des Américains en actes. Comme on pouvait le lire à l’époque dans les documents du PCC, “le Mouvement de Tchang Kai-shek a été créé en Chine par les compradores des grandes entreprises étrangères et les grands serfs féodaux sur les os de millions de victimes du peuple révolutionnaire”.

À la fin des années 1940, Mao et Tchang sont devenus les symboles de l’affrontement séculaire entre le patriotisme populaire authentique et le pseudo-nationalisme entretenu par les hommes d’affaires étrangers. Dès la défaite du Japon militariste, pour soutenir la dictature militaire de Tchang Kai-shek en Chine (en fait, pour poursuivre le massacre fratricide), le gouvernement américain a dépensé la somme astronomique de 4 milliards de dollars pour l’époque, a équipé et entraîné 67 divisions du “Kuomintang”, soit un total de 770 000 personnes. Les parrains de Washington de la clique de Tchang Kai-shek, comme aujourd’hui en Ukraine, comptaient se battre “jusqu’au dernier Chinois”. L’agence Associated Press rapportait au début de 1946 : “L’armée américaine a découvert que dans ce pays à fort taux de natalité, la vie humaine est très bon marché… À Tianjin, une “compensation” de 100 000 yuans a été fixée pour le meurtre d’un Chinois par un soldat américain, et de 135 000 yuans pour le meurtre d’un âne”. En contrepartie, le régime fantoche reconnaît avec une obéissance totale la “souveraineté exclusive” du maître sur l’Empire du Milieu.

“L’agression impérialiste a brisé les illusions chinoises sur l’apprentissage auprès de l’Occident”, écrivait Mao Zedong. – La civilisation bourgeoise de l’Occident, la démocratie bourgeoise, les projets d’établissement d’une république bourgeoise, tout cela a fait faillite aux yeux du peuple chinois.

“Une grande montagne est faite de petits cailloux, et un grand arbre pousse à partir de la racine”, dit un ancien proverbe chinois. La victoire de la Nouvelle Révolution Démocratique, qui a donné un exemple visible à toute l’Asie du Sud-Est, a initié le grand rassemblement d’un peuple socialement divisé et dispersé dans un Front Démocratique Populaire Uni. Sur le plan intérieur, sa politique visait à consolider les partis politiques, les syndicats, les diasporas nationales, les associations religieuses et les personnalités de la science et de la culture nationales autour de la plate-forme idéologique du PCC.

Sur la scène internationale, le principe fondamental des activités du Front patriotique était que tous les Chinois, où qu’ils soient nés et où qu’ils vivent, devaient considérer la RPC comme leur patrie. Une fois de plus, on ne peut s’empêcher de penser à l’expérience soviétique. En 1961, l’invitation au Kremlin, pour le XXIIe congrès du PCUS, de V.V. Choulguine, député scandaleusement célèbre de la Douma tsariste et plus tard émigré blanc, a fait sensation. Ses pensées, exprimées à l’époque dans des lettres à ses camarades d’infortune, rejoignaient les aspirations d’une partie du peuple russe détaché de la Russie : “Ce que font les communistes aujourd’hui, c’est-à-dire dans la seconde moitié du XXe siècle, n’est pas seulement utile, mais absolument nécessaire pour les 220 millions de personnes qu’ils dirigent. Et non seulement ça, c’est salutaire pour l’ensemble de l’humanité”.

Et il ne s’agissait pas de “surdité” politique des autorités soviétiques à l’égard des fils qui avaient quitté la patrie. L’écrasante majorité d’entre eux étaient devenus des “émigrants internes” bien avant la révolution d’octobre. Ce n’est pas un hasard si Lénine parlait de deux nations et de deux cultures au sein d’une unité nationale imaginaire. L’élite en fuite ne pouvait coexister avec la majeure partie de la population qu’en tant que travailleurs esclaves.

La situation était différente en Chine. Lors de la première convocation de l’organe législatif suprême – le Congrès national du peuple – 30 mandats ont été réservés par la loi à des compatriotes étrangers. Jusqu’en 1960, environ 40 000 compatriotes ont été rapatriés de l’étranger vers la Chine chaque année. À leur retour, ils (pour la plupart des petits entrepreneurs et des artisans) se sentaient parmi leurs compatriotes, d’égal à égal, sans perdre le contact avec les très nombreux parents et amis restés à l’étranger.

Les envois de fonds et les dons à la famille, ainsi que les investissements directs des Chinois d’outre-mer dans l’économie de la RPC, sont restés la principale source de recettes en devises pendant plusieurs décennies. En 1978, le revenu total de l’État provenant de l’utilisation des liens avec les diasporas nationales à l’étranger s’élevait à environ 400 millions de dollars par an. Ainsi, pas à pas, le peuple, épuisé par des siècles de pauvreté et de privation de droits, s’est rapproché de son objectif le plus cher : une société d’égalité des chances et de “prospérité moyenne”, la société du “rêve chinois”.

Exploiter le capitalisme

En 1960, une rencontre historique s’est tenue à Pékin. Les futures idoles de la jeunesse rebelle du monde – Mao Zedong et Ernesto Che Guevara – se sont retrouvés pour un dialogue de plusieurs heures. Toutefois, la discussion n’a pas porté sur l’embrasement d’un feu révolutionnaire mondial, mais sur les méthodes de transfert des économies nationales sur des rails socialistes. Voici un fragment de la conversation qui a eu lieu :

“MAO : Vous avez, en principe, exproprié tout le capital américain.

CHE : Pas en principe, mais en totalité. Peut-être qu’une partie du capital s’est mise à l’abri [de l’expropriation]. Mais cela ne signifie pas que nous n’allons pas [l’exproprier].

MAO : Avez-vous offert une compensation à l’occasion des expropriations ?

CHE : Si [une société sucrière] nous achetait plus de trois millions de tonnes de sucre [avant l’expropriation], [nous] offrions une compensation de 5 à 25 % [de la valeur du sucre acheté]. [Les personnes] qui ne connaissent pas la situation à Cuba auraient du mal à comprendre l’ironie de cette politique.

<…>

MAO : Il est stratégiquement acceptable de tolérer temporairement la présence de certaines entreprises impérialistes. Nous avons quelques [monopoles impérialistes] ici aussi”.

Aujourd’hui encore, l’opinion naïve selon laquelle les conditions préalables à l’actuel “miracle économique chinois” ne sont apparues qu’au cours de la première moitié des années 1980 est extrêmement répandue. En réalité, la généralisation des mécanismes capitalistes dans l’économie a commencé bien avant l’arrivée de Deng Xiaoping et de son équipe de réformateurs. En accédant au pouvoir, le PCC a clairement identifié son ennemi de classe sous la forme d’un “dragon à trois têtes” : la bureaucratie coloniale, les propriétaires terriens et le capital compradore. Mais en même temps, le jeune État, qui a choisi la voie du développement socialiste, avait besoin d’une alliance avec la bourgeoisie patriotique.

Les communistes chinois étudient en détail la nouvelle politique économique de Lénine et débattent vivement des limites de son application. Les “gauchistes”, comme d’habitude, poussaient à l’expropriation totale, en fait au “communisme de guerre”. Mais dans les conditions concrètes d’un pays semi-féodal, cela risquait d’entraîner, selon l’expression consacrée de K. Marx, “la généralisation de la pauvreté”. Les têtes brûlées ont été refroidies par le deuxième plénum du comité central du PCC de la septième convocation, qui s’est tenu en mars 1949 et qui a souligné que, pendant assez longtemps, plusieurs modes économiques devraient exister en Chine : l’État, les coopératives, les exploitations agricoles individuelles, le capitalisme privé et, enfin, le capitalisme d’État. Ces modes correspondent aux forces sociales au nom desquelles doit s’exercer la “dictature de la démocratie populaire” : les ouvriers, les paysans, la petite bourgeoisie urbaine et le capital à orientation nationale. Depuis lors, cinq étoiles ont été coulées en or sur le tissu écarlate du drapeau national de la République populaire de Chine, symbolisant l’alliance solide entre le parti communiste et les quatre classes de la société chinoise, unies par la notion succincte de “peuple”.

Il convient de souligner que l’exigence de diversification économique n’est pas restée une simple directive du Parti ; elle a été inscrite dans la Constitution. L’article 10 de la première Constitution de la République populaire de Chine (1954), entre autres, stipulait : “L’État, conformément à la loi, protège le droit de propriété des capitalistes sur les moyens de production et les autres capitaux”. Un peu plus tard, Mao Zedong a expliqué l’essentiel de la situation de la manière suivante : “Le système socialiste dans notre pays n’a été établi que récemment, sa formation n’est pas encore achevée, il n’est pas encore pleinement consolidé. Dans les entreprises mixtes public-privé de l’industrie et du commerce, les capitalistes reçoivent encore un pourcentage intangible, en d’autres termes, il y a encore de l’exploitation”.

Que signifiait en pratique le terme mystérieux de “pourcentage intangible” ? La “NEP à la chinoise” reposait sur une formule surprenante et presque oubliée de F. Engels : “Que cette expropriation ait lieu avec ou sans rachat dépendra pour l’essentiel non pas de nous, mais des circonstances dans lesquelles nous arriverons au pouvoir …. Nous ne pensons pas du tout que le rachat soit inadmissible en toutes circonstances ; Marx m’a exprimé – et combien de fois ! – qu’il serait plus économique pour nous de racheter toute la bande”.

Ainsi, depuis le début des années 1950, dans le cadre de la réorganisation sectorielle de l’industrie et du commerce chinois, une politique de rachat des entreprises privées, qui étaient plus de 133 000 au total, par l’État a été mise en œuvre. Transformant progressivement les entreprises capitalistes en entreprises mixtes (public-privé), le gouvernement a versé des dividendes à la bourgeoisie selon un “pourcentage déterminé” fixé au fil des ans. Avant la réorganisation, la part de l’ancien propriétaire à part entière était fixée à un maximum de ¼ de l’ensemble des bénéfices de l’entreprise. Après la réorganisation, les anciens propriétaires ne pouvaient plus utiliser le capital de manière indépendante et étaient privés de la possibilité d’extraire la plus-value dérivée de l’exploitation de la force de travail.

Dans l’un de ses discours, Mao a littéralement repris la pensée d’Engels : “Avec ce peu d’argent, nous achetons toute une classe de 8 millions de personnes, y compris ses intellectuels, ses partis et ses groupes démocratiques. C’est une classe qui est très instruite”. Au total, une somme non négligeable de 1,7 milliard de yuans a été versée aux capitalistes chinois à partir des caisses de l’État au cours des années 1950 et 1960. L’objectif principal, à savoir jeter les bases des futures “quatre modernisations” (dans l’industrie, l’agriculture, la science et la technologie, et l’armée), a toutefois été atteint.

La combinaison souple des principes socialistes et capitalistes privés dans l’économie a déjà eu un impact sur les résultats du premier plan quinquennal (1953-1957). Le revenu national du pays a été multiplié par 1,53, les dépenses de l’État pour les besoins sociaux et culturels se sont élevées à 19,3 milliards de yuans, soit 14,5 % des dépenses budgétaires, le salaire moyen des ouvriers et des employés a augmenté de 42,8 %, le revenu de la paysannerie de 27,9 % et le chiffre d’affaires du commerce de détail de 71,3 %. Les jeunes ont commencé à sortir de la pauvreté et de l’analphabétisme qui semblaient inexpugnables : le nombre d’écoliers a été multiplié par 2,5, celui des élèves des écoles techniques par 122,4 % et celui des étudiants universitaires a plus que doublé.

“Certains, notait à l’époque l’économiste chinois Wu Jiang, désapprouvaient la politique de rachat du Parti et demandaient à l’État d’appliquer à la bourgeoisie nationale des mesures telles que la confiscation et l’expulsion. Ce point de vue reflétait l’incompréhension de la petite bourgeoisie face à la réalité révolutionnaire et son goût pour les extrêmes”.

Nombre d’entre eux, qui ne tolèrent aucune propriété privée et aucune initiative commerciale, qui n’admettent aucun compromis avec le capital, figurent encore aujourd’hui parmi les partisans des idées de gauche. C’est l’une des raisons profondes de la division du mouvement communiste, notamment dans notre pays.

Rester fidèle à ses principes

À la fin de l’année 1969, le mécanisme idéologique apparemment bien huilé du Comité central du PCUS a connu un raté mémorable. L’atteinte à sa réputation a été multipliée par deux circonstances. Au centre de l’attention des forces de gauche de la planète se trouvait l’approche du centenaire de Lénine. En outre, la confrontation idéologique et politique irréconciliable entre les deux plus grands États socialistes – l’URSS et la Chine – avait atteint son apogée.

Le numéro de décembre du magazine de propagande “Le Communiste” a publié les thèses du comité central du parti “À l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Vladimir Lénine”. Entre autres choses, sur la base d’un document d’archive jusqu’alors inconnu – l’ébauche d’un rapport au Congrès du Komintern – les thèses reflètent la prétendue “doctrine léniniste” des “cinq facteurs sociaux de la force de la classe ouvrière” : “1) le nombre, 2) l’organisation, 3) la place dans le processus de production et de distribution, 4) l’activité, 5) l’éducation”. La réaction à cette “découverte” théorique à l’étranger ne s’est pas fait attendre.

Le Parti socialiste unifié d’Allemagne et le Parti communiste chinois, au pouvoir dans leurs pays respectifs, signalent presque simultanément à Moscou que ce qui est attribué à Lénine appartient en réalité au social-démocrate autrichien Otto Bauer. Cet ennemi juré du léninisme refusait aux bolcheviks le droit à la transformation socialiste, précisément parce que les fameux “facteurs sociaux” de force du prolétariat russe n’avaient pas encore mûri. Et l’esquisse retrouvée dans les archives du Parti n’est rien d’autre qu’un mémo rédigé par le leader de la Révolution d’Octobre pour dénoncer les élucubrations de son adversaire politique.

L’agence de presse pékinoise Xinhua a publié à ce sujet un article très ironique, précédé d’une citation de Mao Zedong : “Le peuple chinois a un proverbe qui dit : ‘Celui qui soulève une pierre la fera retomber sur ses pieds’, ce qui dénonce les agissements de certains imbéciles”. Cependant, quelle que soit la dureté des propos du président de la République populaire de Chine, il a malgré tout souligné : “L’Union soviétique est le premier État socialiste, et le PCUS est le parti fondé par Lénine. Bien que la direction du parti et de l’État en URSS ait été usurpée par des révisionnistes, je conseille néanmoins aux camarades de croire fermement que la grande masse du peuple, la grande masse des communistes et des cadres de l’Union soviétique sont des gens honorables et qui veulent la révolution, et que la domination du révisionnisme ne durera pas longtemps dans ce pays”.

Il est difficile de nier qu’une telle attitude négligente à l’égard de la théorie a été l’une des raisons qui ont plongé le parti dirigeant (et avec lui le grand pays) dans la “Katastroïka” de Gorbatchev. Les idéologues du parti communiste de l’Union soviétique n’ont pas été les seuls à subir les foudres de Mao. Dans de rudes batailles idéologiques, ce dernier s’en est pris à des marxistes majeurs de la seconde moitié du vingtième siècle tels que Palmiro Togliatti, Luigi Longo, Enver Hoxha et Josip Broz Tito. Pour ne prendre que deux des déclarations de programme adoptées par le Xe congrès du parti communiste italien en décembre 1962 : “En Europe, il est nécessaire de développer une initiative commune afin de jeter les bases d’une coopération économique européenne, même entre des États ayant des structures sociales différentes”. Et plus loin : “Il est nécessaire d’exiger le déploiement d’activités systématiques qui conduiraient à l’élimination de la division de l’Europe et du monde entier en blocs, en brisant les obstacles politiques et militaires sur lesquels cette division est basée, et … de recréer, de cette façon, un marché mondial unique”.

Ainsi, tous les maux du monde proviennent de “la présence et de l’affrontement des deux plus grands blocs militaires”. Vingt ans avant que l’on ne parle de “nouvelle pensée politique”, les dirigeants de l’un des partis communistes les plus anciens et les plus influents d’Europe poussaient sans vergogne l’illusion rose bonbon d’un “monde de coopération pacifique” universel dans un “discours communiste” renouvelé. En réalité, au nom de la paix et de la stabilité dans le monde, seule l’Organisation du Pacte de Varsovie devait être dissoute. Le nouveau secrétaire général du PCE, E. Berlinguer, ne tarde pas à déclarer directement : nous n’exigerons plus le retrait de l’Italie de l’OTAN, non seulement pour ne pas rompre l’équilibre international et ne pas saper la détente naissante, mais aussi pour protéger la “voie italienne vers le socialisme” contre le “scénario tchécoslovaque” de 1968.

L’histoire du 20ème siècle est à jamais marquée par la page honteuse de la façon dont l’Italien Berlinguer, le Français Marchais, l’Espagnol Carrillo et d’autres, tombés dans le bourbier de l’”eurocommunisme”, ont dilapidé l’héritage de leurs grands prédécesseurs : Gramsci, Thorez, Ibarruri. Les partisans du “socialisme antisoviétique” n’ont jamais compris que l’impérialisme ne protège les communistes que lorsqu’il les contrôle. La voie “italienne” (ainsi que “française”, “espagnole”, etc.) vers le socialisme sous le convoi de l’OTAN n’avait pour ces partis qu’une seule direction : le ghetto social [ou, selon l’original, la “réserve d’Indiens”, NdT].

Déjà à l’époque, le PCC, dirigé par Mao, avait sévèrement averti que l’érosion lente des idées se terminerait misérablement : “De telles idées ne peuvent en fait que conduire à l’abandon ou à l’élimination du pouvoir de défense des États socialistes, conduire à la soi-disant ‘évolution pacifique’ ou ‘évolution spontanée’ du système socialiste vers la libéralisation capitaliste, ce qui est ce que les impérialistes ont toujours espéré”. Malgré la très récente “leçon hongroise” de 1956, à l’époque, peu de gens auraient pu imaginer à quel point ces paroles allaient s’avérer prophétiques.

Ne pas se laisser “statufier”

En visitant le complexe commémoratif sur le site de la base révolutionnaire de Sibaipo, d’où l’Armée populaire de libération a effectué en 1949 sa ruée victorieuse vers Pékin, l’attention de l’auteur de ces lignes a été attirée par un panneau portant des caractères faits de la main de Mao. Le fac-similé nous permet de juger, entre autres, ce que le futur dirigeant du pays a pensé à la veille d’accéder aux pleins pouvoirs : “Méfiez-vous de l’arrogance… Interdisez de célébrer les anniversaires des dirigeants du Parti. Interdisez l’attribution de leurs noms à des villes, des rues et des entreprises. Maintenez un style caractérisé par la simplicité dans la vie et l’abnégation dans la lutte, supprimez toute glorification”.

La compréhension de la menace de dégénérescence du parti au pouvoir occupe une des places centrales dans l’héritage idéologique et théorique de Mao Zedong. Si, dans les années 1950, ce thème est évoqué de manière ponctuelle, dans les années 1960, il devient le refrain de presque tous les articles et discours publics de Mao Zedong. En mai 1963, le président du parti instaure la participation obligatoire des fonctionnaires au travail physique. Un mois plus tard, lors d’une réunion sur le développement du mouvement “Pour les quatre purges”, il fait à nouveau une remarque cinglante sur les travailleurs cadres, non seulement ceux qui ont l’habitude de “manger de la bonne nourriture et de se remplir les poches”, mais aussi ceux qui “fricotent avec les filles des propriétaires terriens et des paysans riches”.

Dans son article “Contre le bureaucratisme”, paru la même année, Mao exhorte le PCC à “s’opposer résolument à l’idéologie et au style de travail inhérents aux classes exploiteuses”. L’objet de son attention particulière est “un type de bureaucratisme de grand seigneur” qui reproduit les mœurs de la “Cité interdite” impériale. “L’orgueil bureaucratique, la vénération de soi, l’amour des escortes honorables, l’isolement, le désir d’inspirer la crainte aux autres, l’incapacité à traiter d’égal à égal avec les subordonnés, l’impolitesse, le refus de considérer les autres comme égaux à eux-mêmes”.

Voitures personnelles avec fauteuils moelleux, domestiques, “dîners et chasses royales” – ces attributs et bien d’autres de l’”oligarchie” incontrôlée du parti nous sont familiers… C’est cette oligarchie, s’éloignant de la masse principale des communistes ordinaires, qui a ruiné les germes peu solides du socialisme dans plus d’un pays. Même le “pur et dur” V.M. Molotov a dû l’admettre : “Bien sûr, nous avons tous eu de telles faiblesses – la barbarie. Nous nous y sommes habitués, c’est indéniable. Tout est préparé pour nous, mis à notre disposition, pour notre confort”.

La “noblesse” soviétique naissante, avec son triomphalisme écœurant et sa servilité, a été la cible de Lénine dans une lutte sans merci jusqu’à sa mort. Prévoyant les problèmes, N.K. Kroupskaya, dès les jours de deuil du leader disparu, mettait en garde contre le désir de basculer “vers un hommage extérieur à sa personnalité” : “N’érigez pas de monuments en son honneur, ne créez pas de palais à son nom, ne faites pas de fêtes somptueuses en sa mémoire, etc. – Il accordait si peu d’importance à ce décorum de son vivant, tant il était accablé par tout cela”.

Mais le premier communiste chinois a-t-il été cohérent dans sa lutte pour la modestie et la retenue ? Le phénomène auquel on a donné le nom peu explicite de “culte de la personnalité” est devenu caractéristique de tous les premiers États socialistes à un degré ou à un autre. Quoi qu’il en soit, dans un entretien accordé en 1980 à la journaliste italienne O. Fallaci, en 1980, Deng Xiaoping a témoigné : “Certaines choses … sont allées à l’encontre des souhaits du président Mao Zedong, comme l’érection d’un panthéon pour lui”.

À travers le prisme de la “catastrophe artificielle” de 1989-1991, qui a détruit l’URSS et la communauté mondiale des pays socialistes, la signification historique et les conséquences de la “Grande révolution culturelle prolétarienne” apparaissent différemment. Autrefois, elle n’était considérée que comme l’un des “vils rejetons du culte de la personnalité”. Aujourd’hui, il y a lieu de croire que les bouleversements chinois des années 60 traduisaient la “neuvième vague” de l’indignation populaire contre les nouveaux “mandarins à téléphone”. Parallèlement, le fameux “problème des générations” y a trouvé son expression la plus féroce.

Voici ce que Mao Zedong a écrit à ce sujet : “La question de la préparation d’une succession qui poursuivra la cause de la révolution prolétarienne est, au fond, la question de savoir si nous aurons des successeurs à la cause révolutionnaire du marxisme-léninisme, commencée par l’ancienne génération de révolutionnaires prolétariens… Les oracles impérialistes, se basant sur les changements en Union soviétique, s’attendaient à ce qu’en Chine aussi, l’”évolution pacifique” se produise avec la troisième ou la quatrième génération de communistes. Nous devons faire en sorte que ces visionnaires impérialistes soient complètement démentis”.

Qui sait, si le PCC n’avait pas traversé cette étape extrêmement difficile et dramatique de son parcours, aurait-il survécu à l’assaut contre-révolutionnaire de 1989 ?

Il a fallu près d’un demi-siècle pour redresser le dos servilement courbé d’une grande nation. La nation qui a donné à l’humanité l’imprimerie, la porcelaine, la boussole, le premier calendrier et la carte du ciel étoilé. D’interminables querelles féodales, les invasions dévastatrices des Mongols, des Turcs et des Mandchous, suivies de l’invasion des “Européens éclairés” avec leurs “guerres de l’opium”, les conflits civils sanglants, les occupations japonaises et américaines ont transformé la plus ancienne civilisation de la planète, autrefois très développée, en un immense espace de violence et de pillage impunis, un hommage éternel à l’”Occident collectif”. La mission historique de débarrasser l’Empire céleste de la domination étrangère n’est pas revenue à un empereur “solaire”, ni à un sage se targuant d’une grande sagesse, ni à un marchand soucieux de son chiffre d’affaires, mais à un paysan qui a pris le fusil et inscrit sur la bannière rouge le slogan de Mao Zedong : “Notre nation ne sera plus jamais humiliée. Nous nous sommes déjà redressés de toute notre stature”.

En 1948, un envoyé spécial de la “China Weekly Review” a rapporté du Yunnan : “80 à 90 % de la population de la province se promène complètement nue, sans aucune apparence de vêtement… En raison du manque de tissu, la population ne dort pas sur des lits, elle n’a rien pour se couvrir, mais se blottit autour de l’âtre, dans une hutte, avec les animaux domestiques”. Sept décennies plus tard, la Chine a mis en service le plus grand radiotélescope de la planète, d’un diamètre d’un demi-kilomètre. Grâce à lui, la science mondiale étudie la formation et l’évolution des galaxies, la “matière noire” et bien d’autres phénomènes de l’Univers.

Il semble que cette distance révèle pleinement le sens des paroles du professeur Li Junzhu de l’École centrale du Comité central du PCC : “Si vous me demandez quand la Chine retirera le portrait de Mao Zedong de la Porte de la place Tiananmen, ma réponse sera : “Jamais !”.

Source :https://histoireetsociete.com/2024/01/09/cinq-lecons-de-mao-zedong-par-igor-makarov-membre-du-comite-central-du-kprf/

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