Bolloré s’attaque au droit des femmes avec la bénédiction de l’État

Bolloré, milliardaire d’extrême droite et fervent catholique, l’avait promis : «Je me sers de mes médias pour mener mon combat civilisationnel». Il tient ses engagements : son empire médiatique, allant de Cnews au Journal du Dimanche en passant par Paris Match et ses réseaux d’édition, diffusent quotidiennement dans des millions d’esprits les éléments de langage racistes, réactionnaires et misogynes, en toute impunité.
Sur Cnews, une émission hallucinante est diffusée chaque dimanche : «En quête d’esprit», animée par le présentateur Aymeric Pourbaix. Cet homme travaille pour l’hebdomadaire «France Catholique», magazine d’extrême droite religieux fondé en 1924, et dont le dernier numéro est justement consacré au «droit à la vie», c’est-à-dire à dénoncer l’avortement. Il a aussi travaillé chez «Radio Notre Dame» et «Famille Chrétienne».
L’animateur annonce dimanche 25 février : «nous allons nous intéresser à ce que dit l’Église sur l’avortement». En plateau, une série de personnes dénoncent avec virulence le droit à l’IVG, péniblement conquis par les luttes des femmes.
On entend par exemple une certaine Sylvie Lepetit asséner : «avorter, c’est contraire à la mission de la femme» ou encore «ne le savez-vous pas ? Votre corps est le temple sur Saint Esprit nous dit Saint-Paul» et «l’avortement est une blessure de l’âme». Elle est membre de l’association religieuse Agapa qui prétend écouter «les personnes confrontées à un deuil périnatal ou une interruption de grossesse», et autrice d’un livre racontant le regret d’un enfant avorté suite à un viol lorsqu’elle était adolescente.
Puis Lucie Pacherie se plaint de la «libéralisation de l’avortement» et estime qu’«inscrire l’avortement dans la Constitution est une aberration». Lucie Pacherie est juriste pour l’institut Jérôme Lejeune, un lobby anti-IVG. Le 4 janvier 2023, notre nouvelle ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, était justement allée rendre une visite de courtoisie dans cet institut qu’elle avait décrit comme un «lieu de passion et d’énergie».
Une autre intervenante illuminée, Cecylia Rançon, vient de KTOTV – lire : «catho TV» – et autrice de reportages baptisés «Lumière intérieure» ou «Une nuit au monastère».
Après ces débats très pluralistes, qui nous renvoient 150 ans en arrière, l’animateur annonce sans frémir que l’IVG serait «la première cause de mortalité dans le monde», et présente un graphique diffusé à l’antenne, qui prétend que l’IVG «tuerait» 73 millions de personnes dans le monde chaque année. Ce qui serait bien plus que les cancers et autres maladies.
73 millions, c’est le nombre total d’IVG réalisés chaque année sur la planète. Cnews considère donc que toute interruption volontaire de grossesse serait un meurtre et tout embryon un individu. C’est le discours des franges les plus radicales de l’extrême droite intégriste qui veulent interdire ce droit, quitte à mettre en danger la vie et la santé de dizaines de millions de femmes. Une manipulation honteuse des chiffres. Qu’aurait-on dit si un média musulman avait tenu de tels propos ?
Une polémique a soufflé suite à ce graphique mensonger, et des députés Insoumis ont saisi les autorités. Ce lundi soir, deux présentatrices de Cnews présentent leurs excuses : Laurence Ferrari et Christine Kelly. Un rétropédalage bien peu sincère.
En effet, cette émission est coutumière de ce genre de propagande. Le 4 février dernier, «En quête d’Esprit» titrait : «religieux, tout donner pour le Christ». En octobre 2022, une émission était consacrée au combat entre anges et démons, et le présentateur annonçait : «c’est une réalité plus sournoise que tous les virus, plus dangereuse que toutes les épidémies, plus contagieuse, aussi, que toutes les infections. Mais elle est rarement évoquée, et encore moins prise au sérieux. Cette réalité, ce sont les forces du mal sous toutes leurs manifestations», avec un bandeau à l’écran : «ange et démon, le vrai combat».
Le lundi 16 août 2021, Cnews diffusait le film anti-IVG «Unplanned», produit par des évangélistes américains. Il s’agit d’un média trumpiste : cette chaîne lance régulièrement des ballons d’essai dans l’opinion pour voir jusqu’où il est possible d’attaquer le droit des femmes. Et fait mine de s’excuser quand il y a trop de réactions.
Liberté d’expression ? Si l’on considère que le corps des femmes et le recul de droits fondamentaux est un sujet de discussion, peut-être. Dans cette optique, demain, pourra-t-on remettre en cause le droit de vote des femmes en direct ? Prôner le retour d’une théocratie en France ?
Pour des propos infiniment moins polémiques que ceux de Cnews, des fidèles musulmans ont subi des surenchères nationales, des arrestations et des expulsions. Mais Cnews continue d’émettre, et pire, les membres du gouvernement se rendent régulièrement sur le plateau de Bolloré. La «laïcité» affichée par Macron n’est, encore une fois, qu’une farce raciste.
Mais il y a un autre problème : c’est l’État qui offre les fréquences aux chaînes de télévision. Les fréquences dédiées à la TNT permettent à 97% de la population de recevoir ces chaînes gratuitement par une antenne, et sont données par l’Arcom, ex-Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Rien n’oblige l’État a fournir à Bolloré des fréquences qui lui permettent de toucher 70 millions de personnes : en principe, l’Arcom doit s’assurer que les chaînes sont en «capacité de répondre aux attentes d’un large public», qu’elles permettent la «sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels» et qu’elle produisent de l’information. Aucun des critères n’est réuni pour Cnews.
La propagande anti-IVG de l’extrême droite française est donc sponsorisée par les pouvoirs publics.
Source:https://contre-attaque.net/2024/02/26/cnews-en-guerre-contre-le-droit-a-livg/
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