Comment les dockers de Gênes ont refusé de charger des armes pour la guerre (IO.fr-8/07/23)

Le 25 février, 10 000 personnes ont manifesté sur le port de Gênes contre la guerre, contre l’Otan et l’envoi d’armes en Ukraine (photo correspondant).

Josè Nivoi, porte-parole du collectif autonome des portuaires et dockers de Gênes (Calp) et représentant syndical de la coordination portuaire nationale de l’Union des syndicats de base, a pris la parole lors d’une réunion « Halte à la guerre ! », le 28 juin.

Par Josè NIVOI,

Josè Nivoi, porte-parole du collectif autonome des portuaires et dockers de Gênes (Calp) et représentant syndical de la coordination portuaire nationale de l’Union des syndicats de base, a participé à une rencontre autour de l’appel « Halte à la guerre ! » organisée dans la ville d’Antibes, dans le sud de la France. Voici ce qu’il a expliqué lors de sa prise de parole le 28 juin dernier du combat qu’il mène avec ses camarades portuaires du port de Gênes en Italie.

« En 2014, les travailleurs du port ont remarqué des pickups blancs Toyota, chose assez inhabituelle sur le port de Gênes. Ils ont essayé de comprendre d’où venaient ces marchandises. En regardant les étiquettes posées sur les véhicules, ils se sont aperçus qu’ils allaient à Tanger. Ils ne savaient pas que c’était du matériel à destination de zones de guerre. Ils ont compris par hasard, en lisant un article d’un journaliste local, que ces véhicules étaient renvoyés de Libye pour réparation. Six mois plus tard, un camarade du Calp nous a montré une vidéo avec un de ces véhicules équipé d’une mitrailleuse en Libye.

À partir de ce moment, nous avons contrôlé les marchandises qui passaient sur le port. Jusqu’en 2019, nous avons eu connaissance par nos camarades du Havre qu’un navire affrété par la compagnie Bari faisait la route Le Havre-Bilbao-Gênes, chargé de matériel militaire pour l’Arabie saoudite, afin d’alimenter la guerre au Yémen.

Nous avons décidé de contrôler ce navire et son chargement. Nous avons organisé une grande réunion dans une salle ouvrière de Gênes en disant que si ce navire arrivait à Gênes, nous pourrions empêcher la manutention du matériel de guerre, y compris par la grève si nécessaire.

Nous avons continué à contrôler les marchandises sur le port et nous avons découvert des générateurs de courant qui servent à l’assistance des drones militaires sur les théâtres de guerre. Il ne s’agissait plus d’une question éthique mais d’un problème pratique lié à la chaîne d’approvisionnement, qui part de l’université avec les ingénieurs qui conçoivent les armes pour arriver jusqu’au port où ces armes sont chargées sur les navires. Nous avons demandé aux travailleurs de refuser de charger ces armements. Et nous avons commencé à identifier les matériels militaires grâce aux étiquettes qui doivent déclarer les pays de production et l’usage civil ou militaire. Nous avons réussi à documenter que ce matériel était destiné au port de Djeddha, en Arabie saoudite, pour la garde civile qui, malgré son nom plutôt sympathique, reste une armée.

Lorsque nous avons alerté l’autorité portuaire, elle a répondu que ce matériel était pour un usage civil. On s’est aperçu que c’était une arnaque à la loi italienne car les frais d’expédition du matériel civil sont quatre ou cinq fois inférieurs aux frais d’expédition du matériel militaire. Nous avons ainsi mis l’autorité portuaire de notre côté, pas pour des raisons éthique ou antiguerre mais parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils se faisaient rouler. Malgré cela, l’autorité portuaire n’a pas été jusqu’à empêcher l’amarrage de ce navire.

Nous avons retardé l’amarrage du navire et son déchargement jusqu’à 6 heures, heure du début de la grève. Puis nous sommes entrés en négociation avec le capitaine du navire, le responsable du quai et l’autorité portuaire et nous avons dit que ces marchandises ne seraient pas chargées.

Nous avons fait durer la situation pour augmenter les frais d’accostage au port pour que le navire préfère repartir sans son chargement. Et le navire a effectivement décidé de repartir sans la marchandise qui est restée sur le quai. La discussion avec l’autorité portuaire a conduit à la décision de ne plus charger du matériel de guerre à partir du port de Gênes pour ces guerres « sales ».

Blocages de navires en direction d’Israël

Nous avons continué les blocages de navires, dont un qui devait livrer de l’armement à Israël en 2021, au moment où la tension était maximale avec les territoires occupés palestiniens. L’action était conduite en coordination avec les dockers de Livourne et de Naples. Nous avons aussi bloqué un navire à destination d’un port turc au moment de la guerre en Syrie, et notamment à Idlib, pour éviter que les armes ne soient livrées là-bas.

Et puis nous avons commencé à regarder les questions légales avec les avocats, même si cela nous embêtait un peu d’être les défenseurs de la loi italienne. Depuis 1990, une loi interdit le transit des armes en Italie à destination de territoires en guerre. C’est l’application de l’article 11 de la Constitution de 1948, qui dit que l’Italie répudie la guerre.

Évidemment, les fabricants d’armes et l’État italien ne sont pas restés les bras croisés. À partir du 25 février 2021, l’État a déclenché une opération de police avec 70 agents chargés d’enquêter sur les activités du Calp. Ils ont perquisitionné le domicile de cinq personnes pour chercher des indices et établir une accusation d’association de malfaiteurs. Le premier délit retenu a été l’attentat aux marchandises qui s’applique normalement aux produits de première nécessité. Ils ont considéré que les armes étaient des biens de première nécessité. Le deuxième délit était l’instigation à commettre un acte délictueux en raison de la grève et du refus de chargement. Nous avons été arrêtés, la police a réquisitionné les ordinateurs… Nous avons pris cela comme une médaille qui signifiait que nous avions touché le point sensible du capitalisme aujourd’hui.

Résister à la répression de l’État

Pour résister à cette répression d’État, nous avons commencé à réfléchir à construire un rapport de force politique. Nous avons contacté toutes les organisations qui nous félicitaient pendant les périodes de blocage. Nous avons été jusqu’à envoyer une lettre au pape François en lui demandant de nous appuyer et de prendre une photo. En Italie, le Vatican est au-dessus de l’État. Quand on a vu l’État venir nous affronter, on a décidé d’aller au-dessus, c’est-à-dire au Vatican. Ce faisant, nous avons mis la police dans l’embarras. Les « délinquants » qu’ils poursuivaient étaient reçus par le pape.

Un moment après le début de la répression, nous avons cherché à construire un mouvement national et international – mais cela n’a pas bien fonctionné à l’échelle internationale. De plus, c’était l’anniversaire du début de la guerre en Ukraine et en Italie aussi nous avons eu une augmentation du budget militaire à 2 % du PIB (à la demande de l’Otan, Ndlr), passant de 64 millions de dépenses militaires par jour à 114 millions.

Dans ce contexte où les ressources qui devaient aller aux conquêtes sociales étaient aspirées par les dépenses militaires, nous avons lancé un appel en pointant ce qui nous semblait être l’ennemi principal des travailleurs, à savoir l’Otan.

Reconstruire le mouvement anti-guerre

Dans cet appel, nous avons exposé le contexte des neuf dernières années qui a conduit à la guerre en Ukraine aujourd’hui et les conséquences sociales pour les travailleurs italiens. Dix mille personnes ont participé à cette manifestation (le 25 février 2023) avec les dockers en tête et de nombreuses organisations antiguerres d’origines très diverses, et de nombreux jeunes. Pour la première fois, la manifestation s’est déroulée à l’intérieur du port.

L’une des motivations de cette manifestation était aussi de reconstruire le mouvement antiguerre qui avait commencé à apparaître au moment de la guerre en Irak. Le résultat a été la constitution de groupes contre la guerre un peu partout en Italie.

Cela a déclenché aussi la volonté politique de créer un mouvement populaire pour une loi pour empêcher définitivement le transit d’armes en Italie. Cette phase est un moment de reconstruction et d’agitation pour recueillir le nombre de signatures nécessaire pour présenter cette loi au Parlement (100 000 signatures).

L’accusation d’association de malfaiteurs a été abandonnée après deux ans d’enquête, un dossier de 1 700 pages avec des écoutes, des filatures, des regroupements de plus de cinq personnes… Et la dernière nouvelle qui date de quelques jours est que la compagnie qui affrète le navire avec du matériel de guerre refuse désormais de passer par le port de Gênes à cause de la mobilisation. »

Source: https://infos-ouvrieres.fr/2023/07/08/comment-les-dockers-de-genes-ont-refuse-de-charger-des-armes-pour-la-guerre/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/comment-les-dockers-de-genes-ont-refuse-de-charger-des-armes-pour-la-guerre-io-fr-8-07-23/

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