Corruption, détournement de fonds publics, favoritisme : les atteintes à la probité ont augmenté de 28 % entre 2016 et 2021. ( Mediapart – 27/10/22 )

Au siège de la direction centrale de la police judiciaire, à Nanterre. © Photo Dominique Faget / AFP

D’après les données collectées par un service de statistiques du ministère de l’intérieur et par l’Agence française anticorruption, le profil des mis en cause est celui, très majoritairement, d’hommes (78 %), dont 95 % sont de nationalité française. 

Les atteintes à la probité constatées par les forces de police et de gendarmerie ont augmenté, en France, de 28 % entre 2016 et 2021, selon une étude statistique officielle rendue publique jeudi 27 octobre. D’après les données collectées par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) et l’Agence française anticorruption (AFA), le tiers de ces atteintes à la probité relève du délit de corruption.

Cet examen statistique, qui s’inscrit dans une tentative de cartographie nationale du risque corruptif en France, s’est aussi intéressé au profil des mis en cause. Résultat : ce sont très majoritairement des hommes (78 %), entre 45 et 54 ans, dont 95 % sont de nationalité française.

Une donnée qui permet d’objectiver le fait que l’origine ou la nationalité ne protège pas de la délinquance, à l’heure où, avec l’affaire du meurtre de la petite Lola, le débat politique et médiatique est saturé de considérations sur le lien supposé entre immigration et criminalité.

« Entre 2016 et 2021, les procédures clôturées comptent en moyenne chaque année 700 infractions d’atteinte à la probité. Ces infractions ont connu un taux de croissance annuel moyen de 5 %. Elles ont fortement augmenté en 2018 (+ 20 %) avant d’atteindre un plateau jusqu’en 2020. Leur nombre augmente à nouveau en 2021, passant de 702 infractions à 801 infractions (+ 14 %) », analyse l’étude, qui relève que les territoires d’outre-mer sont « fortement concernés » par le phénomène.

Cette hausse des infractions constatées est analysée comme une possible traduction a posteriori – les enquêtes financières sont par essence longues – du regain d’une politique pénale anticorruption dès 2014, sous le quinquennat Hollande, après la création du Parquet national financier (PNF), de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), de l’Office central anticorruption (OCLCIFF) de la police judiciaire et de l’Agence française anticorruption (AFA), et la promulgation d’une nouvelle loi de moralisation de la vie publique.

Il est à noter que toutes ces avancées institutionnelles n’ont pas été la conséquence du programme présidentiel de François Hollande, mais celle de la révélation, par Mediapart, de l’affaire Cahuzac, du nom du ministre socialiste du budget fraudeur fiscal.

Ces nouveaux dispositifs ont par exemple permis d’accentuer les contrôles et signalements, et de multiplier les enquêtes. Dans son dernier rapport d’activités rendu public en juin 2022, la HATVP indique par exemple avoir transmis à la justice 178 dossiers d’élu·es dont les déclarations d’intérêts ou de patrimoine étaient suspectes, ou non conformes aux exigences fixées par la loi. 

Parmi les mis en cause : le ministre de la justice en exercice

D’après les données recueillies par la Haute Autorité, sur ces 178 signalements à la justice, 127 font toujours l’objet d’investigations et 28 ont fait l’objet de condamnations ou de mesures alternatives aux poursuites. Tandis que 16 dossiers ont été classés sans suite et sept d’entre eux ont donné lieu à un rappel à la loi.

L’augmentation des atteintes à la probité analysée aujourd’hui est donc, comme toute étude statistique, à appréhender dans son contexte. De fait, une statistique n’est pas toujours le reflet d’une réalité mais, parfois, avant tout celui de sa meilleure visibilité.

L’étude rendue publique par les services du ministère de l’intérieur ne le dit pas – ce n’est pas l’objectif –, mais parmi les mis en cause pour des atteintes à la probité de ces dernières années figurent quelques noms célèbres de la majorité présidentielle, comme le ministre de la justice en exercice, Éric Dupond-Moretti, mis en examen pour « prise illégale d’intérêts » et renvoyé devant la Cour de justice de la République (CJR) pour un futur procès. 

Dans un rapport publié en décembre 2021 sur la lutte contre la corruption, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’était félicitée que la France « a[it] introduit des changements législatifs et institutionnels importants avec, en particulier, la création du PNF en 2013 et la loi Sapin 2 », ayant notamment permis depuis 2016 « de revoir son approche de la lutte contre la corruption d’agent public étranger ».

Tout en estimant que l’État français « doit désormais consolider les acquis récents, qui sont fragilisés par des problèmes structurels de ressources qui affectent l’ensemble de la chaîne pénale, ainsi que par des réformes ou projets de réforme ».

Les rapporteurs insistent aussi, comme ils l’ont déjà fait par le passé, sur l’insuffisance des moyens alloués par les autorités aux magistrat·es, enquêteurs et enquêtrices travaillant sur ce dossier : « Les juges, comme les autres maillons de la chaîne pénale en matière économique et financière, n’ont toujours pas les moyens nécessaires pour traiter dans des délais raisonnables et avec le degré de spécialisation adéquat ces affaires complexes »

Avant de recommander « instamment » à la France de prendre, « de toute urgence », les mesures nécessaires pour que des « ressources suffisantes soient affectées aux services d’enquête spécialisés » et pour « renforcer » les effectifs du Parquet national financier, qui croule sous les dossiers.

Auteur : Fabrice Arfi et Antton Rouget

Source : Corruption, détournement de fonds publics, favoritisme : les attein… | Mediapart

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