Six établissements de soins pluridisciplinaires vont fermer leurs portes en Île-de-France cet été. La CGT dénonce « un gâchis absolu » tant pour les patients que pour les salariés : tous se retrouveront sur le carreau.
Par Cécile ROUSSEAU.
Un anniversaire au goût amer. Alors que la Croix-Rouge française fêtait ses 160 ans, le 25 mai, vantant ses 15 000 bénévoles supplémentaires en deux ans, en interne, un plan social est en cours. Si 228 postes vont être supprimés dans l’association d’aide humanitaire, l’offre de soins va également se réduire avec la fermeture de six centres de santé en Île-de-France (dont deux parisiens), d’un centre de formation et du centre de réadaptation pour enfants du Bois-Larris dans l’Oise (dont les locaux sont déjà fermés).
Avec 4,3 millions de pertes estimées pour 2024 rien que pour les centres de santé et 48 millions en cumulé, la situation est qualifiée « d’insoutenable » par la Croix-Rouge, qui estime que « ces décisions difficiles » sont censées permettre « de préserver notre capacité à servir efficacement les milliers de personnes que nous accompagnons, à garantir l’emploi de plus de 17 000 salariés et à rester fidèle aux principes qui guident notre action ».
Un mode de financement bancal
Mais, pour Renaud Mandel, travailleur social et représentant de la CGT, l’argument de la survie même de la Croix-Rouge ne tient pas. « On nous dit que la situation est catastrophique, mais si on nous présente en CSE central un déficit de 9 millions, c’est parce qu’on y a intégré le coût du plan social ! Sinon, nous serions en excédent. Ils ont donc fait un choix. »
Partout, les centres de santé à but non lucratif connaissent une crise profonde, en grande partie liée au mode de financement, la tarification à l’activité (T2A), qui contribue à grever les comptes. « Cela ne couvre que les soins et encore, explique Renaud Mandel. Les pouvoirs publics ne financent pas assez ces structures, notamment la partie administrative et le recouvrement de créances. Dans nos centres, les patients sont souvent en grande précarité et avec des pathologies chroniques. Les médecins devraient enchaîner les consultations toutes les dix minutes pour arriver à une rentabilité, mais c’est impossible ! »
Si la Croix-Rouge assure travailler « d’arrache-pied pour mettre en place des solutions », cet été, plus de 40 000 patients suivis par ces établissements risquent bien de se retrouver le bec dans l’eau. Au centre de santé Haxo, dans le 20e arrondissement, qui accueille plus de 9 000 patients, dont 4 500 ont leur médecin traitant sur place : « L’information a juste été affichée sur un panneau, constate Anne-Sophie Verrons, dentiste depuis seize ans et élue CGT. Les patients ont été mis devant le fait accompli tout comme les salariés qui ont le moral au plus bas. Nous avons le droit à un PSE au rabais, avec un peu plus que le minimum légal. » La CGT mais aussi la CFE-CGC, FO, la CFDT et la CFTC ont d’ailleurs refusé de signer le projet d’accord du plan social.
« Un rôle crucial dans la réduction des inégalités »
À Paris, où 80 % des médecins spécialistes et 30 % des généralistes pratiquent des dépassements d’honoraires, ces centres pluriprofessionnels jouent un rôle crucial dans la réduction des inégalités. « C’est de la maltraitance de laisser ce lieu fermer dans un quartier populaire, souligne Josée Pépin, usagère de 77 ans du centre de santé Haxo, qui milite pour son maintien 1. Il y a aussi beaucoup de personnes âgées comme moi. Dans le 20e arrondissement, l’hôpital Tenon et les généralistes, qui ne prennent plus de nouveaux patients, seront dans l’incapacité de nous accueillir. Je soignais mes problèmes de dents là-bas. Je ne sais pas comment je vais retrouver une dentiste aussi compétente et au même prix (les tarifs sont conventionnés secteur 1 dans les centres de la Croix-Rouge – NDLR). »
Dentiste depuis trente ans et représentante de la CGT, Jocelyne Sarrazin a vu l’état d’esprit changer ces dernières années. « Nous sommes là pour être à l’écoute des populations en difficulté. Mais, depuis cinq ou six ans, j’entends de plus en plus l’association parler de « compétitivité » et de « performance », ce qui n’est pas vraiment compatible avec ses valeurs. » Pour la soignante, ultra-investie dans sa mission, ce qui se passe est « un gâchis absolu. J’essaie d’aiguiller mes patients vers d’autres établissements qui ont une déontologie. Cette semaine, certains avaient les larmes aux yeux en nous disant au revoir… Quand on sait que la Croix-Rouge a 400 millions d’euros de trésorerie, on peut se demander pourquoi cet argent n’a pas été fléché vers les centres de santé ? »
Alors que 60 % des habitants d’Île-de-France vivent dans un désert médical, dans les Hauts-de-Seine, le PCF avait dénoncé la fermeture à venir des centres de santé de Boulogne, Meudon, Antony et Villeneuve-la-Garenne, « au détriment des malades et au profit des établissements privés qui appliquent des tarifs exorbitants ». Rien que dans la capitale, le nombre de structures privées a triplé en dix ans.
Du sabotage selon la CGT
Victime collatérale de la disparition du centre de santé de Villeneuve-la-Garenne, l’espace santé jeunes qui y est accolé, où les 11-25 ans parmi les plus exclus peuvent bénéficier d’un accompagnement, va également mettre la clé sous la porte malgré un financement assuré. « Pourtant, Philippe Da Costa, le président de la Croix-Rouge avait déclaré que la santé mentale des jeunes était une priorité », pointe Anne-Sophie Verrons.
Ce n’est pas la première fois que l’organisation tente de se débarrasser de ses centres de santé. En 2022, elle avait essayé de les vendre au géant de la santé privée, Ramsay, avant que ce dernier ne rétropédale. En 2023, les salariés avaient ensuite été sollicités pour participer à des groupes de travail afin de réfléchir à des pistes pour retrouver l’équilibre financier. « Il en était ressorti qu’il fallait embaucher, remonter les salaires trop bas des secrétaires médicales et des assistantes dentaires, pour faire venir plus de patients. Et voilà le résultat ! La Croix-Rouge n’a jamais voulu valoriser ces structures, considérées comme des vilains petits canards », estime la cégétiste.
Si une recherche de repreneurs est en cours, la Mairie de Paris envisagerait la municipalisation des deux centres de la capitale, mais dans un délai trop court avant les fermetures prévues pour le mois de juillet. « La Croix-Rouge est censée œuvrer pour l’accès aux soins, c’est dans son ADN, rappelle Renaud Mandel, là, c’est du sabotage. On leur demande de renoncer à ce projet. »
- La pétition a recueilli plus de 8 000 signatures. Une réunion publique est prévue le 5 juin. ↩︎
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