Dans le Finistère, un été fatal pour la faune des rivières. ( Reporterre – 13/09/22 )

Dans le Finistère, un été fatal pour la faune des rivières

Un limnimètre pour mesurer la hauteur de la rivière Isole dans le centre de Quimperlé, le 5 septembre 2022. – © Morgan Bisson / Reporterre

Après un été torride et sec, les cours d’eau bretons n’ont pas fière allure. Dans le Finistère, anguilles et saumons sont morts en masse dans des rivières historiquement basses, au désespoir des garde-pêches locaux.

Quimperlé (Finistère), reportage

Ce matin, l’orage a enfin éclaté à Quimperlé, dans le Finistère Sud. Des trombes d’eau s’abattent sur la ville en ce début septembre et viennent grossir les eaux de l’Isole et l’Ellé, les deux rivières qui s’y rejoignent. Xavier Nicolas, président de l’Association agrégée pour la pêche et la protection du milieu aquatique, ne cache pas son soulagement : « Ça va faire du bien aux cours d’eau. On n’avait jamais vu un niveau aussi bas… »

Quimperlois depuis toujours, le sexagénaire ne se souvient pas non plus d’avoir connu un été aussi sec : « On dit qu’il pleut tout le temps en Bretagne, mais cette année, je peux vous assurer qu’il n’a pas plu une seule goutte de l’été ! »Le bras de décharge de l’Isole le 5 septembre 2022, asséché une semaine auparavant, dans la ville de Quimperlé. © Morgan Bisson / Reporterre

Ce n’est pas l’eau qui manquait pourtant ce jour-là, mais cette pluie arrive un peu trop tard. La chaleur du mois d’août a été meurtrière pour la rivière et ses poissons : « On a retrouvé plus de 200 anguilles mortes et une quinzaine de saumons ces dernières semaines… C’est un gros coup dur pour nous », dit Xavier Nicolas, l’air dépité, en contemplant un jeune goéland dévorer les restes d’un saumon long de 40 centimètres.

La plupart des cadavres de poissons ont été retrouvés sur les tronçons urbanisés de l’Isole et de l’Ellé, près du centre-ville de Quimperlé. « Les anguilles, qui sont pourtant des poissons de fond, remontaient à la surface avec les ouïes gonflées, elles se tordaient dans tous les sens et changeaient de couleurs : d’ordinaire, l’anguille est un poisson gris ou doré, mais là, elles viraient carrément au rouge ou bleu ! » raconte le pêcheur, visiblement bouleversé. Quelques anguilles ont été prélevées pour faire des analyses, mais les résultats se font toujours attendre.L’Isole à Mellac. © Morgan Bisson / Reporterre

Pour l’instant, Xavier Nicolas doit donc se contenter de suppositions concernant la cause de la mort des anguilles. Selon lui, la sécheresse de l’été pourrait être une première explication : « Le niveau de la rivière a baissé, l’eau a stagné, donc sa température a augmenté. En plus de ça, on a eu des grandes marées cet été. L’eau salée est brutalement remontée dans la rivière, ce qui a encore augmenté la température de l’eau. On a fait des relevés de température à 24 degrés en août ! Les saumons et les anguilles ne supportent pas de telles températures. Ils meurent aux alentours de 20 degrés. »

Le Quimperlois ajoute avoir remarqué que la chaleur a fait proliférer les algues vertes dans la rivière. Ce qui peut aussi expliquer un manque d’oxygène dans l’eau, qui aurait entraîné l’asphyxie des poissons.

« Tu verras, on le paiera un jour, tout ce qu’on a fait à la nature »

D’après Gérard Carré, garde-pêche assermenté depuis 30 ans, les effets du réchauffement climatique se font ressentir depuis longtemps sur les rivières de Quimperlé. Du haut d’un petit pont qui enjambe l’Isole, il contemple tristement les herbiers qui dépassent de la rivière, trop basse pour les immerger entièrement.

« Tout ça a commencé au moment du remembrement, dans les années 70, dénonce le vieux garde-pêche, en roulant fortement les R. À l’époque, mon père était exploitant agricole, et déjà, il m’avait prévenu : “Tu verras, on le paiera un jour, tout ce qu’on a fait à la nature.” Il avait raison. »Gérald Carré, garde-pêche bénévole de Quimperlé. © Morgan Bisson / Reporterre

Malgré l’orage matinal, les traces de la sécheresse de l’été sont encore visibles le long des rivières de Quimperlé. Xavier Nicolas gare sa camionnette blanche près du barrage des Gorêts, sur l’Ellé : « Gorêts, ça signifie pêcherie en breton. C’est un spot de pêche mondialement connu. » Mais depuis 15 jours, la pêche est interdite à cause de la sécheresse : « On ne va pas aller taquiner un poisson qui est déjà en souffrance… » justifie le président de l’association de pêche.

Pour atteindre la rivière, il emprunte un chemin en terre qui traverse une forêt de châtaigniers. Son pas est leste et rapide malgré ses lourdes bottes en caoutchouc. En atteignant les berges de l’Ellé, le pêcheur dérange un couple de canards colverts qui barbotent dans la rivière, posés sur de grosses pierres à moitié immergées. « Normalement ces pierres sont entièrement sous l’eau… observe Xavier Nicolas.

Végétation ratatinée

Les plantes portent elles aussi les stigmates du manque d’eau : les bouquets d’osmonde royale tirent déjà sur le marron, précocement fanées, les hautes tiges de valérianes se terminent en fleurs séchées, et les fières ombellifères sont toutes ratatinées. « Avant, la végétation était beaucoup plus fournie au bord de l’eau… » regrette le pêcheur en caressant de larges feuilles de fougères abîmées par la sécheresse.

Son regard, d’ordinaire vif et rieur, se teinte d’un brusque éclat de tristesse. « Et puis surtout, renchérit-il, on peut normalement voir les cordons de civelles — les jeunes anguilles — remonter à cet endroit aux mois de février et mars. »Des poissons dans le bras de décharge de l Isole asséché une semaine auparavant. © Morgan Bisson / Reporterre

Nostalgique, Xavier Nicolas se souvient : « Avant, on disait : “J’ai encore attrapé une anguille !” Aujourd’hui, c’est beaucoup plus rare car il s’agit d’une espèce en voie de disparition. Nous, sur l’Isole et l’Ellé, on était pas trop mal côté anguilles, selon les dires du technicien de rivières… Mais maintenant, après ce qu’il s’est passé cet été, impossible de prévoir la suite… »

Pour ce pêcheur expérimenté capable d’anticiper le comportement des poissons, c’est surtout ça qui est frustrant : ne pas savoir. Ne pas savoir pourquoi les anguilles sont mortes. Ne pas savoir si elles reviendront l’an prochain. Avec le changement climatique, il n’y a plus aucune certitude.

Improbable pollution industrielle

Néanmoins, Xavier Nicolas envisage aussi l’hypothèse d’une pollution de l’eau : « Le fond de la Laïta, la rivière dans laquelle se jette l’Isole, est plein de polluants. Avec les grandes marées, il est possible que ces polluants soient remontés jusqu’à l’Isole et aient intoxiqué les anguilles. »

Mais le pêcheur reste sceptique : ces poissons sont d’ordinaire très résistants et sont même capables de nager sur l’herbe ! Ils n’ont donc besoin que de très peu d’oxygène pour survivre : « Normalement, ce ne sont pas les anguilles qui meurent en premier lorsqu’il y a une pollution. »

« Moi ça, me fait quand même penser à une pollution des usines de papeterie. J’en voyais souvent quand j’étais jeune et que je pêchais par ici », diagnostique Yannick, un habitué de la pêche à la mouche sur l’Isole. Plus haut sur la rivière, en amont de la ville, se trouve une usine de papeterie du groupe étasunien Schweitzer-Mauduit. Elle produit notamment du papier à cigarette et des filtres à café. Le site, classé Seveso, éveille la méfiance des pêcheurs qui se souviennent de l’époque où la papeterie déversait des polluants dans la rivière.

Xavier Nicolas le long de l’Isole. © Morgan Bisson / Reporterre

Depuis, l’usine a investi pour limiter son impact sur le cours d’eau. « Depuis 1997, nous avons installé une station d’épuration biologique en sortie d’usine, pour éliminer la grande majorité des pollutions », dit Olivier Balcon, directeur industriel de l’usine depuis 2013.

10 000 m³ d’eau par jour

Chaque jour, la papeterie pompe 10 000 m³ de la rivière qui sont ensuite traités et rejetés à 97 %. Consciente de la nature de ses activités industrielles, l’usine contrôle quotidiennement la qualité de l’eau de la rivière pour s’assurer qu’il n’y ait pas de risque de pollution. Le directeur affirme ne pas avoir observé de problème particulier au moment des mortalités d’anguilles.

Pour le Quimperlois Didier Tanguy, adhérent de l’association Eaux et Rivières de Bretagne, l’hypothèse d’une pollution par la papeterie est à exclure dans l’affaire de la mort des anguilles : « À ma connaissance, il n’y a plus de rejet chloré, et le service des eaux de la DDTM nous a certifié que les rejets de bactéries à partir de l’usine des papeteries était très très faible. Voilà pourquoi je pense qu’elle n’a pas de responsabilité dans la mort des poissons cet été. »Un canard sur l’Isole. © Morgan Bisson / Reporterre

Hormis la pollution, le pompage de l’eau est l’autre action humaine qui a des effets importants sur les rivières. L’usine de papeterie n’est pas la seule industrie à prélever l’eau de l’Isole : selon Xavier Nicolas, des usines de conserverie et de production de volailles situées en amont des papeteries pompent aussi d’importants volumes d’eau.

La ville de Quimperlé puise également dans l’Isole pour alimenter son réseau d’eau courante : « Toutes ces activités humaines pèsent sur le débit des rivières. Celui de l’Isole a été réduit de moitié : il est tombé à 36 000 m³ par jour cet été. L’eau ne coulait plus dans le centre-ville », dit Xavier Nicolas.

Dans un contexte de forte sécheresse, la question se pose donc de maintenir le niveau habituel des activités humaines afin de préserver le cours d’eau et son milieu aquatique. Après des années de pollutions industrielles, c’est désormais le réchauffement climatique qui constitue le nouveau fléau des rivières.


Auteur : Scandola Graziani et Morgan Bisson (photographies)

Source : Dans le Finistère, un été fatal pour la faune des rivières (reporterre.net)

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