Plus de forages pétroliers en Seine-et-Marne ? Une audience au tribunal a examiné ce projet jeudi. Les opposants alertent sur le risque de contamination d’une nappe phréatique qui alimente 180 000 Franciliens.
Par Violaine COLMET-DAÂGE & NnoMan CADORET (photographies).
Nonville, Melun (Seine-et-Marne), reportage
La France a-t-elle vraiment l’ambition de devenir le premier pays à sortir des énergies fossiles, comme Emmanuel Macron l’annonçait en 2022 ? L’audience qui s’est tenue, jeudi 9 janvier au tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) — et dont le jugement doit être rendu d’ici trois semaines — en fait douter. D’un côté, l’entreprise française Bridge Energies, créée en 2006 et dédiée à l’exploitation de forages pétroliers dans le bassin parisien, a défendu l’ouverture de deux nouveaux puits de pétrole sur la commune de Nonville (Seine-et-Marne) afin de « maintenir son activité ».
Sa production passerait alors de 10 à 16 m3 d’huile par mois en moyenne (soit 100 barils de pétrole environ). Face à elle, la régie Eau de Paris contestait l’arrêté préfectoral du 30 janvier 2024 autorisant l’ouverture de ces travaux, en raison d’un risque de contamination de « sources stratégiques » pour l’alimentation en eau potable de Paris et des territoires alentour, situés à proximité immédiate de ces gisements. Très attendu, le rapporteur public a plaidé pour un approfondissement de l’étude d’impact sous six mois, mais n’a pas estimé que l’annulation de ces nouvelles installations pétrolières était nécessaire.
« Cela prendra plus de temps, mais nous sommes déterminés. Nous épuiserons tous les recours possibles »
Depuis le dépôt du référé en mai 2024, six associations de défense de l’environnement, six communes et deux syndicats ont annoncé soutenir ce recours et réclament aussi l’annulation de l’arrêté préfectoral. Malgré la pluie et le froid, ils s’étaient réunis en amont de l’audience pour dénoncer ces nouveaux forages.
« J’aurais préféré que le rapporteur public demande l’annulation, a déclaré le président d’Eau de Paris, Dan Lert, à la sortie du tribunal. Cela prendra plus de temps, mais nous sommes déterminés [à obtenir l’annulation]. Nous épuiserons tous les recours possibles. Nous irons au niveau européen si nécessaire. »
Deux nappes phréatiques traversées
Pour exploiter ce gisement pétrolier situé à 1 510 mètres de profondeur, deux nappes phréatiques devront être traversées, avec le risque d’une contamination. « C’est une catastrophe écologique en puissance, s’est inquiété Dan Lert. Ces forages pétroliers sont autorisés dans un périmètre de captation d’eau potable stratégique, dans la vallée du Lunain, qui alimente 180 000 Franciliens. Ces sites sont sensibles au moment du forage, mais également lors de l’exploitation », en raison de la nature karstique des sols.
En outre, « l’exploitation et le transport des hydrocarbures comportent eux aussi de nombreux risques : pollution des sols, des eaux de surface et souterraines par les hydrocarbures et autres substances chimiques liées à l’activité d’extraction », explique la régie. Ces dernières années, deux incidents ont d’ailleurs déjà conduit à des pollutions : en 2013, un camion-citerne s’est renversé et, en 2022, une fuite a été rapportée sur la plateforme. « Si une pollution devait survenir, les installations pourraient être paralysées pour des années », a-t-il insisté.
« Donner cette autorisation est un non-sens absolu »
Face à ces critiques, Bridge Energies a fait valoir par le biais de son avocate que l’arrêté préfectoral prévoit un suivi une fois par an, ainsi qu’un système d’alerte en cas d’incident. Elle a aussi rappelé que ces aménagements permettront à l’entreprise de poursuivre son activité, l’un de ses autres puits dans la zone arrivant progressivement à épuisement. « C’est un enjeu économique majeur pour la pérennité de la société », a-t-elle plaidé.
Sur le parvis du tribunal, les associations de défense de l’environnement ont pointé l’anachronisme de ces nouveaux forages, au moment où tous les experts du Giec et de l’Agence internationale de l’énergie appellent à laisser les derniers stocks de fossiles dans les sols. « En 2024, nous avons dépassé les 1,5 °C de réchauffement. Donner cette autorisation est un non-sens absolu », a insisté la chargée de campagne climat des Amis de la Terre, Anna-Lena Rebaud.
La loi Hulot de 2017 prévoit de mettre fin à la production de pétrole d’ici 2040. Elle précise aussi que la délivrance de nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures est interdite — mais il s’agit ici de sites déjà connus — et que l’exploitation doit cesser progressivement. Pour le coprésident de France Nature Environnement Seine-et-Marne, Jean-François Dupont, il s’agit d’un « combat de longue haleine ». « La Seine-et-Marne constitue un eldorado pour le pétrole. Une vingtaine de puits sont en activité. Il est temps de couper le robinet », a-t-il insisté. Le jugement sera rendu d’ici trois semaines.
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