DÉCRYPTAGE. Pêche : pourquoi le projet omano-lorientais Ker’Oman pose plein de questions ? (OF.fr-16/01/24)

Les deux tables rondes sur le projet Ker’Oman et l’avenir de la pêche bretonne ont fait salle comble dans l’amphi de l’Agora Courbet.
Les deux tables rondes sur le projet Ker’Oman et l’avenir de la pêche bretonne ont fait salle comble dans l’amphi de l’Agora Courbet. | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE

Les écologistes ont organisé un débat, vendredi 12 janvier 2024, nourri de témoignages intéressants sur le projet Ker’Oman, à savoir la participation du port de Lorient (Morbihan) au développement du port international d’Oman. Voici ce que l’on a appris.

Par Nadine BOURSIER.

Le projet de collaboration entre le port de pêche de Lorient (dont l’agglomération est actionnaire principal) et celui de Duqm à Oman, comprenant un volet importation du poisson par avion-cargo, intéresse. Preuve en est : l’amphithéâtre Courbet à Lorient, où se tenaient deux tables-rondes organisées par les écologistes locaux, n’était pas assez grande pour accueillir tout le monde (plus de 200 personnes présentes), vendredi 12 janvier 2024. Durant trois heures, les huit intervenants ont pu apporter des réponses à certaines questions, et en ouvrir d’autres…

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Lors de la table ronde sur la pêche, un pêcheur est intervenu dans la salle pour remettre en cause des études scientifiques. | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE

1. Travailler du poisson omanais à Lorient, quel intérêt pour Lorient ?

Aucun, selon Jean-Vincent Chantreau, qui a été numéro 2 à la direction générale d’Oman Fisheries (principale entreprise étatique qui pêche et transforme le poisson à Oman), de 2018 à 2020. « Sur les 800 000 tonnes de poissons pêchés par an à Oman, 80 % sont des petits pélagiques (sardines, sardinelles, chinchards…) destinés à la conserverie. Les 20 % restants, c’est du thon et du céphalopode, principalement exportés vers les Émirats arabes unis. Les chalutiers industriels congélateurs débarquent les poissons congelés, conditionnés à destination du Brésil, de l’Asie, l’Afrique… Il n’y aurait aucun intérêt à importer du poisson d’Oman à Lorient. Aucun mareyeur lorientais ne pourrait supporter le prix multiplié par trois par le transport. »

Jean Besnard, mareyeur lorientais (qui fait le lien entre la criée et la distribution), abonde. « Cela n’a aucune logique commerciale et économique. La sardine d’Oman sera 4 à 5 fois plus chère et je ne vois pas où trouver des débouchés, en frais ou congelé… Personne ne travaille le poisson congelé ici. Et les poissons bleus sont présents en grande quantité sur nos côtes. Pas besoin d’aller le chercher plus loin. »

Pour David Le Quintrec, fileyeur et porte-parole des pêcheurs lorientais, « c’est du grand n’importe quoi ! Ce qui nous rebute le plus : c’est notre président du comité national des pêches qui a mis sur la table ce projet d’importation. » Les différentes casquettes d’Olivier Le Nézet, à la fois président du comité national des pêches et président de la Sem Keroman gestionnaire du port de pêche, sont souvent revenues sur la table.

2. Les Omanais auront-ils vraiment besoin des entreprises lorientaises ?

« Que les entreprises bretonnes puissent exporter leur expertise est une excellente initiative, mais ça risque de ne pas se passer comme ça, soulève Jean-Vincent Chantreau. Marsa Al Duqm Investments (qui est derrière la construction du port de pêche de Duqm) est détenue, en partie, par l’État omanais. Elle doit faire des appels d’offres internationaux pour le moindre achat. Même si la SAS Ker’Oman a une participation de 30 %, rien ne donne un privilège à une société bretonne. »

Alors qu’est évoquée la possibilité de nouveaux débouchés notamment, pour les chantiers navals bretons, l’ex-dirigeant d’Oman Fisheries émet « de sérieux doutes. À 5 km de Duqm, le plus gros chantier naval de l’océan indien construit et répare des bateaux. »

3. Quelles conditions de travail pour les pêcheurs à Oman ?

L’anthropologue Marie Percot, qui travaille depuis 2016 sur le réseau omanais de pêcheurs bangladais (90 % des pêcheurs d’Oman, soit près de 40 000 pêcheurs, viennent du Bangladesh), évoque des conditions de travail et de vie « particulièrement difficiles. Ils disent qu’on les traite comme des esclaves. À bord, ils n’ont pas ni toilettes, ni cabines, ils se lavent à l’eau de mer. Ils sont victimes de violences de la part de patrons omanais. Leur visa de travail de 2 ans leur coûte 3 500 €. Ils arrivent juste à envoyer 700 € par an à leur famille. »

4. Sans le poisson d’Oman, comment approvisionner les 80 000 tonnes de poissons de la plateforme commerciale de Lorient ?

Deuxième port de pêche en France, le port de Lorient importe déjà de grandes quantités de poissons, pour ses mareyeurs et usines de transformation : sur 80 000 tonnes de produits de la mer traités chaque année, seules 18 109 tonnes de poisson ont été débarquées à la criée en 2022. Un volume en baisse. Le reste vient « d’Irlande, d’Écosse, du Danemark, de Norvège », comme l’indique un ancien permanent de la CFDT des marins de Keroman dans la salle, qui s’interroge sur les « solutions pour maintenir l’emploi ».

5. Et comment accompagner la transition vers la décarbonation ?

Débat sur la pêche lancé par les Verts de Lorient, de gauche à droite, l’animateur du débat, Caroline Roose, eurodéputée écologiste, Charles Braine et David Le Quintrec, pêcheurs, Didier Gastuel, universitaire. | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE

Covid, hausse du prix du gazole, baisse du prix du poisson, Brexit, captures accidentelles de dauphins, dégradation de la ressource, plan de sortie de flotte… La filière de la pêche française morfle et ne fait que s’adapter aux crises successives.Le constat de l’urgence posé, quelles solutions ? Des pistes ont été évoquées lors de la deuxième table ronde à laquelle participaient les pêcheurs David Le Quintrec et Charles Braine (qui était auparavant membre de l’ONG WWF), l’eurodéputée écologiste Caroline Roose, et Didier Gascuel, spécialiste reconnu de l’approche écosystémique de la gestion des pêches. Pour ce dernier, « la pêche bretonne a un avenir, à condition de changer de manière de faire ». Selon lui, il se fera « sans le chalut » (très consommateur d’énergie) et passera par la recherche. « On met de l’argent pour résoudre les crises, mais il faut aussi ouvrir une perspective de long terme pour la pêche. La fermeture de la pêche (dans le golfe de Gascogne à compter du 20 janvier) n’est ni une solution pour les dauphins, ni pour les pêcheurs. »

Charles Braine a, lui, plaidé notamment pour une répartition des droits de pêche et des quotas basée sur des critères environnementaux, sociaux et économiques, pour une « meilleure valorisation des produits de la mer pour pêcher moins mais mieux. La ressource est limitée. » Lui a mis en place un système de vente directe aux consommateurs avec l’entreprise Poiscaille.

Lorient agglomération a prêté, sous forme d’avance remboursable (sous 9 ans), 500 000 € à la SAS Ker-Oman (appartenant à la Sem Keroman et à trois entités privées). « Pourquoi ne pas utiliser ces 500 000 € pour aider les pêcheurs en difficulté ? », émet Caroline Roose, pour qui le projet Ker-Oman est une « aberration totale ».

Laetitia Bisiaux de l’association Bloom (qui oeuvre pour la conservation marine) propose que « les 35 % de la taxe sur les éoliennes maritimes qui reviendra au comité national des pêches servent à la transition. »

6. Damien Girard invite Fabrice Loher à débat public

Damien Girard, chef de file de l’opposition municipale écologiste et de gauche, qui a du mal à comprendre « la plus value pour le territoire », invite Fabrice Loher à un débat public avec lui le sujet. Plus généralement sur « les solutions pour faire face aux difficultés des filières de pêche et de traitement des produits de la pêche »… avant les élections municipales qui auront lieu dans plus de deux ans.

Source; https://www.ouest-france.fr/bretagne/lorient-56100/peche-pourquoi-le-projet-omano-lorientais-keroman-pose-plein-de-questions-3e8c24de-b37f-11ee-bd08-22c85604ac0a

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/decryptage-peche-pourquoi-le-projet-omano-lorientais-keroman-pose-plein-de-questions-of-fr-16-01-24/

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