Derrière les déboires de Fret SNCF, l’héritage d’Élisabeth Borne (H.fr-20/01/23)

Ferroviaire La Commission européenne a ouvert une enquête pour soupçon d’avantage économique à l’encontre de la filiale de la SNCF, suspectée d’avances concurrentielles indues, dont une annulation de sa dette menée sous l’égide de l’actuelle première ministre alors aux Transports.

Fret SNCF est-elle sur le point de dérailler ? Dans un communiqué publié mercredi 18 janvier, la Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les mesures de soutien apportées à la filiale de droit privé de la SNCF. Bruxelles entend ­vérifier si Fret SNCF n’a pas bénéficié d’un avantage économique indu dans ce secteur concurrentiel. Si l’enquête l’affirmait, l’avenir de la société serait remis en question. La Commission s’interroge sur les avances de trésorerie, estimées entre 4 et 4,3 milliards d’euros, envoyées par la maison mère SNCF entre 2007 et le 1er janvier 2020, date de la transformation de Fret en société par actions simplifiée (SAS). Elle s’intéresse aussi à l’annulation de la dette, incluant ces avances, d’un montant total de 5,3 milliards d’euros, ainsi qu’à l’injection dans son capital de 170 millions d’euros lors du lancement de la filiale en société commerciale.

«Il était évident qu’en séparant le fret du reste de l’entreprise publique, en le désendettant et en le dotant de moyens supplémentaires, nous arriverions à cette situation», ­déplore Laurent Brun. Le secrétaire général de la CGT cheminots pointe les choix de la ministre des Transports de l’époque, Élisabeth Borne . « Dès la réforme de la SNCF de 2018, nous disions que ce transfert était le prélude de la liquidation de Fret SNCF, mesure le responsable syndical. La forme juridique choisie, la SAS, permet de fermer plus facilement l’entreprise. » Lors du grand saucissonnage mené par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire de 2018, l’entreprise publique de transport a été découpée en trois entités : la holding, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs. Avec un chiffre d’affaires autour des 900 millions d’euros, Fret est alors transformée en société commerciale, détenue à 100 % par SNCF Réseau. « Si Fret était restée dans la société anonyme voyageurs, il n’y aurait pas de sujet, insiste Laurent Brun, car SNCF Voyageurs pouvait assumer cette dette de 5,3 milliards ainsi que la sienne. Mais ils ont fait le choix d’externaliser le transport de marchandises. » Le responsable de la fédération cheminote redoute « un scénario à la Sernam », société de transport de bagages et colis à part entière de la SNCF, transformée en filiale, puis privatisée en 2005 afin d’éviter un dépôt de bilan. Le contexte européen est propice à ce genre de casse sociale. « Le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence depuis 2006. Le seul effet a été celui de la perte d’emplois », dénonce, pour sa part, Karima Delli (EELV), présidente de la commission des Transports au Parlement européen.

Un avenir incertain pour le personnel doté du statut de cheminot

Contactée par l’Humanité, Fret SNCF s’en remet au communiqué de réaction de l’actuel ministre délégué aux Transports. Clément Beaune y « prend acte » de la décision de Bruxelles, assurant que le gouvernement est « confiant dans la volonté mutuelle de garantir l’avenir du développement du fret ferroviaire ». Une confiance tout aléatoire : « Il ne peut y avoir que trois issues à la procédure : le classement sans suite, la liquidation totale pour rembourser les 5 milliards d’avantages indus alors que le patrimoine de Fret ne s’élève qu’à 2 milliards, note Laurent Brun. Le gouvernement et la SNCF tablent sur le troisième scénario : la discontinuité de service. »

Fret SNCF serait alors contrainte de céder 20 % à 50 % de ses parts de marché, en premier lieu à Captrain (filiale privée de la SNCF) et à DB Cargo (filiale de l’allemand Deutsche Bahn), jusqu’à ce que ses concurrents réalisent des bénéfices équivalant à l’avantage indu. La peine serait double. D’abord sociale, l’avenir devenant incertain pour le personnel doté du statut de cheminot. Ensuite écologique : une partie des marchandises que ne pourraient pas traiter les autres opérateurs serait transportée sur les routes par des camions. Or, « le fret ferroviaire est essentiel dans les ambitions européennes de réduction de gaz à effet de serre, rappelle Karima Delli. L’UE s’est engagée à les réduire de 55 % d’ici à 2030 pour entrer dans la neutralité carbone en 2050 ».

L’affaire tombe mal pour l’exécutif, alors que la responsable de ce dossier entre 2017 et 2019, Élisabeth Borne, entend aujourd’hui mener à son terme la réforme des retraites. De plus, dans le cadre du pacte vert publié par la Commission européenne, le gouvernement avait renforcé, en 2022, le plan de relance des transports plus respectueux de l’environnement, avec, comme ambition, de doubler la part de marché du fret ferroviaire d’ici à 2030. « Sans un outil public, ce serait un sacré handicap ! », tance Laurent Brun. Dans son plan alternatif de développement du fret ferroviaire, la fédération CGT a pour ambition d’atteindre 25 % de part modale d’ici à 2050 (contre 9 % aujourd’hui), couplée au doublement du nombre de trains transportant des marchandises.

Naïm SAKHI

source: https://www.humanite.fr/social-eco/sncf/derriere-les-deboires-de-fret-sncf-l-heritage-d-elisabeth-borne-779233

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