
Le 1er février, un millier de paysans étaient rassemblés devant le Parlement européen contre les traités de libre-échange « antidémocratique ». Ils dénoncaient aussi l’appauvrissement de la profession.
Par Mehdi LAÏDOUNI & Théo HEFFINCK (photos)
Bruxelles, reportage
Près du Parlement européen, sous un gigantesque panneau « Use your vote » — utilisez votre vote, en français – un cordon de police a essuyé jeudi 1er février des jets de bouteille et quelques cocktails Molotov lancés par des agriculteurs en colère, visage découvert. Une statue, au centre de la place, a même été démontée. Ils étaient un millier à s’être rassemblés pour dénoncer le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Des Belges, en majorité, mais aussi des Français, des Allemands, des Portugais… et nombre d’Italiens représentés par le syndicat agricole Coldiretti (équivalent de la FNSEA). Selon les médias belges, quatre personnes ont été arrêtées. Les tracteurs ont levé le camp en fin d’après-midi, et la place a été définitivement évacuée en début de soirée.
Les décideurs politiques étaient réunis à l’occasion d’un Conseil européen extraordinaire pour évoquer, notamment, la question de la crise agricole. L’après-midi, une délégation d’agriculteurs a pu s’entretenir avec Charles Michel, président – en fin de mandat – de l’instance.

La place du Luxembourg a été transformée en capharnaüm dès le début de la matinée, envahie par le crépitement des pneus en combustion, le bruit des moteurs du millier de tracteurs et celui… des cris de bovins. Parmi les manifestants se trouvaient de nombreux militants de gauche et des membres de syndicats paysans, qui ont appelé au rassemblement : la Fugea pour la Belgique, la Confédération Paysanne pour la France, mais aussi des membres du Boerenbond, organisation flamande plutôt à droite, et du Vlaams Belang, le parti d’extrême droite — dont les membres, peu nombreux, étaient dispersés.

Contre le Mercosur
Le manque de transparence de l’Union européenne sur les négociations en cours avec le marché commun sud-américain (Mercosur) est l’une des principales raisons de la colère exprimée jeudi. « Ils négocient en catimini, c’est complètement antidémocratique. Nous demandons un moratoire sur les accords de libre-échange », crie, sous les acclamations, Morgan Ody pour la Confédération paysanne et la coordination européenne Via Campesina (ECVC). « Nous sommes là pour envoyer un message clair au Parlement », ajoute son collègue allemand.

Plus en retrait, Victor et Coline, étudiants français en agroécologie, acquiescent. « Le libre-échange est destructeur », se désole Victor. « Une agriculture juste, ça ne se fait pas au moins cher. À la base, l’agriculture est une activité sociale », ajoute Coline, arborant une pancarte griffonnée d’un joli jeu de mots : « Gabriel, à table ! » Plus loin, Simon et Charles, agriculteurs venus de Florenne (province de Namur) sont amers. « Pourquoi autoriser ce qu’on interdit ici ? s’interroge Charles, avant d’ajouter, visiblement inquiet : « L’impact du Mercosur, c’est dans les productions animales qu’il est le plus frappant. » « Les produits qu’ils utilisent, on ne peut pas les utiliser » témoigne Catherine. Cette maraîchère flamande, qui est seule sur sa petite exploitation, cultive patates, carottes et oignons.

« Le travail avec le vivant n’est pas pris en compte »
Venus de Waremme, près de Liège, Manu, Raphaël, Gérard, Valérie et Charles ont pris la route avec leurs tracteurs, vers 2 heures du matin. Beaucoup sont des éleveurs bovins — comme le montrent leurs tabliers faisant la promotion de la viande de bœuf — et de la polyculture. Pour eux, le Mercosur n’est qu’une revendication au milieu d’autres. « Le pire, c’est l’entretien du matériel, tout est monté en flèche, soupire Valérie. Les prix ont baissé, mais les charges ont augmenté. » « On aimerait bien faire plus de circuit court, mais on est obligés d’aller au-delà, ajoute Manu, dépité par les normes et les obligations. Le travail avec le vivant n’est pas pris en compte. On doit faire beaucoup d’administratif. Les gens qui décident pour nous ne connaissent plus le métier. »

Toutes et tous craignent pour leur avenir, à l’instar de Simon, désireux de reprendre l’exploitation familiale une fois le paternel parti à la retraite. « Je veux le faire parce que j’aime ça, je suis dedans depuis tout petit. Mais j’aimerais bien en vivre, il faut que ça suive niveau budget », témoigne-t-il.
Source; https://reporterre.net/A-Bruxelles-l-Europe-des-paysans-unie-pour-crier-sa-colere
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/des-paysans-europeens-se-mobilisent-a-bruxelles-contre-le-libre-echange-reporterre-2-02-24/