Des premiers bains de mer aux congés payés, l’essor des stations balnéaires en Bretagne (OF.fr-27/06/23)

Scène de plage à Carnac (Morbihan). | MUSÉE DE BRETAGNE

Dès le début du XIXe siècle, les Anglais fortunés apprécient la Bretagne pour ses bains de mer toniques. À Saint-Malo, Dinard, Saint-Lunaire ou Le Croisic, de véritables stations balnéaires sortent de terre et se garnissent de villas, de cabines de bain et de casinos. Le magazine « Bretons » revient sur l’essor du tourisme balnéaire dans la région.

Dinard, plage de l’Écluse, 1909. Allongée sur un transat, une jeune femme en toilette élégante se protège des coups de soleil sous un imposant chapeau et un auvent de tissu rayé, tendu du haut de sa cabine de bain. Sa canne et son ombrelle reposent sur le sable. Dans quelques heures, peut-être s’aventurera-t-elle timidement dans les flots salés, en s’agrippant aux cordes qui y ont été installées. À moins qu’elle ne préfère rejoindre le gratin de l’aristocratie européenne attendu à la somptueuse villa Monplaisir…

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En ce début de XXe siècle, les activités mondaines ne manquent pas à Dinard (Ille-et-Vilaine), devenue une véritable station internationale. Qui pourrait croire que, près de là où se dressent d’imposantes villas, se tenait, quelques décennies plus tôt, un modeste village de pêcheurs ? Il faut dire que la conversion au tourisme a été rapide sur ce littoral que l’on appelle désormais la Côte d’Émeraude. Au début du XIXe siècle, quelques Anglais fortunés, séduits par les bienfaits thérapeutiques des bains de mer dans la Manche, s’amourachent des petites criques bretonnes. Depuis 1840, les amateurs de balnéothérapie peuvent arriver à Saint-Malo en paquebot à vapeur depuis Southampton ou Jersey. Un établissement de bains de mer y est construit en 1858. Le Guide Joanne décrit la Bretagne comme « le pays des bains de mer par excellence ». Progressivement, les baigneurs apprivoisent le rivage et de véritables stations voient le jour. Les plages, qui n’étaient fréquentées que pour la pêche et la récolte de coquillages et de varech, changent d’usage.

Cabines de bain, villas, casinos…

Villa Sainte-Catherine, villa Bric-à-Brac, château du Bec… À l’image de Lyona Faber, James Erhart Coppinger ou Lord Mond, les Anglais sont les premiers à faire construire leurs villas dinardaises. Au même moment sont mis en chantier une église, une école, des maisons, un premier hôtel et un casino sur pilotis. Des cabines en bois sont installées sur la plage par Édouard Legros, maître-nageur bien connu à Saint-Malo, et des promenades sont aménagées le long de la côte.

Entre les jardins de la villa Pontlevoy, la villa Eugénie censée accueillir l’impératrice, la tour du palace Crystal ou le château de Jacques Hennessy, les constructions rivalisent de prestige et d’originalité, notamment sous la houlette du comte Joseph Rochaïd Dahdah, riche financier à l’origine de la mise en place d’une gare en 1886. En arpentant les rues de Dinard, on peut aussi bien tomber sur un chalet suisse que sur une terrasse à l’italienne, un cottage anglais ou une tourelle gothique. « C’est un magasin de décors d’opéra-comique. Les constructions les plus fantaisistes s’y coudoient », résume le romancier André Theuriet en 1879. Plus de 400 villas seront d’ailleurs classées par la municipalité de Dinard en 1996.

La plage devant le High-Life casino et l’hôtel des Terrasses à Dinard (Ille-et-Vilaine). | MUSÉE DE BRETAGNE

Au cœur de la Belle Époque, la guerre n’a pas encore éclaté et l’heure est à la fête. Aristocrates, financiers, artistes, riches estivants et personnalités en vue écument les bals, les réceptions mondaines, les courses automobiles, les concours de chiens, les excursions sur la Rance, les matches de tennis, les régates, les parcours de golf, les casinos… Tout ce beau monde est abondamment cité dans la gazette bilingue français/anglais Plages d’Émeraude, qui détaille la « liste des étrangers séjournant sur la Côte d’Émeraude ». De son côté, Le Monde illustré immortalise la vie mondaine des princesses, vicomtes, comtesses et gentlemen de passage, venus de toute l’Europe et même d’Amérique. Dans les années 1880, Dinard est la première station balnéaire de France.

Jules Verne et la reine de Roumanie

Sa renommée n’est plus à faire et bénéficie à ses voisines Saint-Lunaire et Saint-Briac-sur-Mer, accessibles en tramway à vapeur à partir de 1901. Dans la première, un industriel haïtien, Sylla Laraque, fait construire de nombreuses villas et hôtels, un casino et plusieurs équipements publics. S’y pressent alors la reine de Roumanie, la comédienne Ève Lavallière, l’auteur dramatique Georges Feydeau et même l’écrivain Jules Verne. À Saint-Briac, c’est l’hôtel des Panoramas qui attire les foules et des artistes comme Auguste Renoir ou Henri Rivière.

La plage de Saint-Lunaire, en Ille-et-Vilaine. | MUSÉE DE BRETAGNE

À Saint-Malo aussi, reliée à Rennes par le train à partir de 1864, les villas et les casinos remplacent les ateliers navals, tandis que, non loin de là, la station de Paramé a troqué ses vieux moulins pour un Grand Hôtel et près de 700 villas. Les amateurs d’excursions partent eux pour le village de pêcheurs de Cancale, où l’observation des trieuses d’huîtres est une activité prisée. Dans Vacances à la mer. La belle époque des stations balnéaires de l’Ouest, l’historien Philippe Clairay dépeint ainsi la rencontre entre les touristes et la population locale : « Ils se retrouvent dans un univers presque exotique. J’ai trouvé des descriptions de femmes bretonnes dans des guides, c’est épouvantable de sexisme et presque de racisme ! […] Il y a un ensauvagement du paysage et des personnes ». En témoigne un dessin paru dans Le Petit Journal illustré en 1927, où l’on voit des Bretonnes en coiffe en train de fouetter avec de l’ortie des baigneuses des années 1920.

La « plus grande plage d’Europe »

En mettant le cap au sud de la Bretagne, on croise des baigneurs intrépides dans presque chaque bourg entre Le Pouliguen et Pornichet (Loire-Inférieure). Un établissement d’hydrothérapie marine ouvre ses portes dès 1845 à Batz-sur-Mer, sur la célèbre plage Valentin. L’hôtel des Bains et la plage du Croisic sont très prisés des Nantais les plus aisés ainsi que d’artistes comme Ingres et Musset. Depuis Nantes, le train dessert les dunes de La Baule à partir de 1879 et le site acquiert sa réputation de « plus grande plage d’Europe ». Dans toute la baie, les aristocrates et les industriels du département bâtissent à toute vitesse pour accueillir la clientèle – aux deux tiers parisienne, selon François de Beaulieu dans Vacances en Bretagne 1815-1965. La baie de La Baule compte près de 2 400 villas et une trentaine d’hôtels en 1900.

La Baule dans les années 1900. | MUSÉE DE BRETAGNE

De petites stations balnéaires familiales

Loin de ces expériences pionnières de tourisme haut de gamme, de petites stations balnéaires plus familiales essaiment aussi un peu partout en Bretagne à partir de la fin du XIXe siècle. Plusieurs guides offrent des conseils et vantent la tranquillité et les prix bas de ces « petits trous pas chers ». Avant 1914, on en compte une bonne quarantaine, selon François de Beaulieu, dans les Côtes-du-Nord, à Saint-Quay-Portrieux ou à Pléneuf-Val-André, mais également dans le Finistère, à Morgat et à Beg-Meil notamment. Souvent, l’essor de tel ou tel site s’explique par sa proximité avec une ligne de train, ou par l’entreprise d’une personnalité déterminée, comme l’hôtelier Marrec à Saint-Cast-le-Guildo, près du cap Fréhel, ou la comtesse de Grandsaignes d’Hauterives à Loctudy, dans le Pays Bigouden.

Certaines stations sont des extensions de villages, d’autres sont édifiées à partir de rien, durant l’entre-deux-guerres. En 1921, les dunes de Sables-d’Or-les-Pins sont ainsi rasées par un riche promoteur qui y fait construire de larges avenues. Quatre ans plus tard, le journal La Mayenne décrit ce site comme « un miracle de rapidité » et « l’une des plus belles stations de la côte bretonne ». Des établissements ouvrent aussi près de villes comme Vannes et Lorient : à Port-Louis, Carnac, Arradon, Conleau…

Une côte qui attire les personnalités

Avec l’instauration des congés payés en 1936 – et plus tard avec l’essor économique de l’après-guerre –, la classe moyenne débarque massivement sur les plages. L’activité touristique reste familiale pendant assez longtemps dans le golfe du Morbihan et sur la côte nord du Finistère, ce qui n’empêche pas ces stations de séduire des célébrités en vue.

Ainsi, à Roscoff, où l’on accueille les malades au sanatorium marin de la ville, ainsi que dans toute la baie de Morlaix, « le côté simple et tranquille des stations attire plusieurs personnalités du cinéma et des variétés », retracent Christian Millet et Patrick Virion dans Baie de Morlaix. Bains de mer et villégiature de la Belle Époque à nos jours. Et les auteurs de citer notamment la venue de Fréhel, Nina Ricci, Léon Blum, Yvonne de Gaulle, Line Renaud ou, plus proche de nous, Johnny Hallyday. De là à imaginer le rockeur chantant Itsy bitsy petit bikini sur une plage de Locquirec, il n’y a qu’un pas…

Source: https://www.ouest-france.fr/culture/histoire/recit-des-premiers-bains-de-mer-aux-conges-payes-lessor-des-stations-balneaires-en-bretagne-18b8a026-11c1-11ee-a4e5-33c2589c0bc0

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/des-premiers-bains-de-mer-aux-conges-payes-lessor-des-stations-balneaires-en-bretagne-of-fr-27-06-23/

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