Dix ans après, « on n’oublie pas » la fermeture de l’abattoir Gad (LT.fr 09/10/2023)

889 emplois supprimés. Il y a dix ans, le 11 octobre 2013, l’annonce de la fermeture de l’abattoir de porc Gad, à Lampaul-Guimiliau (ainsi que deux autres sites dans l’Ouest) a fait l’effet d’une bombe. Les salariés, « Les Gad », reviennent sur ces événements qui les marquent – voire les définissent – encore aujourd’hui.

Le 11 octobre 2013, le couperet tombe pour les 889 salariés de Lampaul-Guimiliau : leur abattoir ferme. (Photo Claude Prigent)

L’image reste gravée dans les mémoires. Olivier Le Bras, leader syndical des Gad, en pleurs dans les bras de Jean-Marc Puchois, le maire de Lampaul-Guimiliau. On est le 11 octobre 2013. Il vient d’annoncer, devant des centaines de salariés, que l’abattoir de la commune va fermer. 889 emplois supprimés au total (dont 54 au siège de Gad SAS et 64 à Saint-Nazaire). « À ce moment, j’ai regardé tout le monde autour de moi. Il y avait des pleurs et des visages défaits… Et je me dis : que vont devenir tous ces gens ? » Joëlle Crenn a travaillé 17 ans chez Gad. Cette fin d’après-midi pluvieuse, elle s’en souvient comme si c’était hier. « Au moment de l’annonce, ce n’est pas dans les bras de mon compagnon que je suis tombée. C’est ceux des collègues », raconte une autre « Gad », Rachel Réault.

Au moment de l’annonce, ce n’est pas dans les bras de mon compagnon que je suis tombée. C’est ceux des collègues

« À ce moment, j’ai regardé tout le monde autour de moi. Il y avait des pleurs et des visages défaits… Et je me dis : que vont devenir tous ces gens ? », se souvient Joëlle Crenn (ci-dessus, à gauche, en octobre 2013)
« À ce moment, j’ai regardé tout le monde autour de moi. Il y avait des pleurs et des visages défaits… Et je me dis : que vont devenir tous ces gens ? », se souvient Joëlle Crenn (ci-dessus, à gauche, en octobre 2013) (Photo Le Télégramme)

« On se battait pour nos emplois, notre usine »

« Les Gad ». Tous ces salariés « sacrifiés » l’étaient déjà à la grande époque de ce fleuron industriel né en 1956 et qui a abattu jusqu’à 2,35 millions de porcs par an. En 2012, il employait 1 562 personnes pour 454,70 M€ de chiffre d’affaires. « Tout le monde connaissait de près ou de loin quelqu’un qui bossait à l’abattoir », rappelle Olivier Le Bras. Quand le redressement judiciaire est annoncé, en février 2013, ils sont toujours « les Gad » mais au tribunal de commerce, en manifestation, sur la RN12, sur le parking de « leur abattoir », en convoi à Josselin face aux salariés « concurrents ». « Les salariés ont suivi. Parce qu’on s’est affranchi des étiquettes syndicales. On se battait pour nos emplois, notre usine, explique Olivier Le Bras, qui était FO (il avait aussi la CFDT, la CGT et la CFTC). L’association « Sauvons Lampaul » est née de ce choix, pour avoir une réelle « indépendance financière ».

On a toujours voulu que ça reste propre. Même les gendarmes nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça. Ils hallucinaient parce qu’on ramassait derrière nous, après les manifs.

Partis « la tête haute »

« Les Gad » font parler d’eux. Les médias sont là. Les politiques et les ministres défilent. « C’est sur le parking que sont nés les Bonnets rouges », rappelle Olivier Le Bras.

Rien n’y fait : le 11 octobre, le couperet tombe. Mais « les Gad » résistent. Ils occupent leur usine pour « partir la tête haute » avec le doublement de la prime de départ. « On a touché le groupe d’D’Aucy là où ça faisait le plus mal : le portefeuille. Même si, encore aujourd’hui, je regrette de n’avoir pas réussi à empêcher la fermeture d’un abattoir qui était performant. »

Etre un Gad « inspire le respect »

Dix ans après, ils restent « les Gad ». « C’est une forme de respect », sourit Rachel Réault. Une fierté assurément. Ils ont marqué les esprits par leur sang-froid. « Pourtant, il y a des moments où ça aurait pu partir… » Lors du déplacement à Josselin, « on a entendu certains dire qu’il fallait casser du Lampaulais… Là, ça a été chaud », se souvient Rachel Réault. Mais ça n’explose pas. « On a toujours voulu que ça reste propre. Même les gendarmes nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça. Ils hallucinaient parce qu’on ramassait derrière nous, après les manifs. »

Pendant des semaines, les salariés se sont mobilisés pour tenter de sauver le site.
Pendant des semaines, les salariés se sont mobilisés pour tenter de sauver le site. (Photo Claude Prigent)

Et puis, après la signature de la sortie du conflit, « plus rien du jour au lendemain. On quitte le parking. On vide la salle de la Tannerie. Chacun rentre chez soi. Pour certains, seuls », raconte Rachel Réault. Là encore, « les Gad » se mettent en ordre de bataille. Chaque mardi, c’est « café commère », en parallèle de la cellule de reclassement. « Beaucoup se dévalorisaient. Ils n’avaient jamais travaillé ailleurs qu’à l’abattoir. On parlait, on pleurait, on se donnait des infos. C’était du réconfort », se souvient Joëlle Crenn.

J’en veux au groupe d’D’Aucy. Et je peux vous garantir que vous ne verrez jamais un ancien collègue acheter un produit de chez eux. Jamais !

Des pâtes alphabet à Emmanuel Macron

Les « Illettrées de Gad » ? Ils préfèrent oublier cet épisode de septembre 2014. « Emmanuel Macron est venu s’excuser trois mois après. C’était courageux. Il a su y faire », admet Joëlle Crenn qui rit encore en pensant à Yvon Milin, syndicaliste décédé aujourd’hui : « Il lui a offert des pâtes alphabet au moment où il partait ! ».

« Tout ça, c’est derrière », lâchent les trois amis. « Mais on n’oubliera jamais, prévient Rachel Réault. Ça a été un traumatisme. » Sébastien avait 19 ans en 2013. Ses deux parents travaillaient chez Gad. « Mon petit frère a demandé, le soir, si on pourrait rester dans la maison et si on aurait encore à manger. Il avait vu tout ça à la télé… » Chez les anciens, la majorité a retrouvé du travail. Avec des reconversions, des créations d’entreprises… Mais impossible d’oublier ceux qui ont « dévissé ». Il y a eu des divorces, des maladies, des dépressions, des addictions… « Et des suicides. Au moins sept directement après la fermeture », affirme Olivier Le Bras.

« Vous ne verrez jamais un Gad acheter du D’Aucy ! »

Les Gad gardent de la rancœur. Jusque dans les actes du quotidien. « J’en veux au groupe D’Aucy, lâche Rachel Réault. Et je peux vous garantir que vous ne verrez jamais un ancien collègue acheter un produit de chez eux. Jamais ! »

La friche de l’usine Gad, en 2023.
La friche de l’usine Gad, en 2023. (Lionel Le Saux/Le Télégramme)

Auteur : Monique Kéromnès

Source : Dix ans après, « on n’oublie pas » la fermeture de l’abattoir Gad | Le Télégramme (letelegramme.fr)

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