Dix mois après, où en sont les agriculteurs ? (IO.fr-31/10/24)

Barrage des agriculteurs sur la nationale 12, le 29 janvier. (AFP)

LA PAROLE À DIDIER GADÉA. Secrétaire général du Modef (Mouvement des exploitants familiaux), il tire la sonnette d’alarme : la situation des paysans s’est encore aggravée depuis les mobilisations de janvier et février derniers, malgré les promesses gouvernementales.

Entretien réalisé par la rédaction d’IO.

Depuis les mobilisations des agriculteurs début 2024, qu’en est-il ? Les revendications ont-elles été satisfaites ?

Didier Gadéa : Tout le monde se souvient des manifestations en janvier et février des agriculteurs qui étaient très en colère ! Les revenus n’étaient pas au rendez-vous ; au contraire, tout augmentait : les intrants, le carburant, etc.

Cette mobilisation avait été lancée par la FNSEA avec ces fameux panneaux à l’envers dans toutes les communes « On marche sur la tête ». Leur but étant de peser sur les futures élections professionnelles, très importantes pour le monde syndical paysan car elles déterminent le financement des syndicats.

Est-ce que cette mobilisation ne leur a pas échappé ?

Oui, car beaucoup de paysans crèvent ; pour certains, c’est le désespoir jusqu’au suicide. Les agriculteurs se sont saisis de cette mobilisation pour manifester leur ras-le-bol !

Ensuite, il y a eu un sacré manège de la part de certaines organisations, des médias et même des ministres, jusqu’à Macron lui-même, pour tenter par tous les moyens de faire diversion et de faire rentrer tout le monde au bercail !

Avec le soutien des médias, BFMTV, CNews, etc., la Coordination rurale (CR), proche du RN, qui veut prendre la place de la FNSEA, s’est vue donner le rôle de représentante légitime du monde agricole ! Leur place dans la contestation a été fabriquée de toutes pièces.

On a vu aussi la bienveillance du ministre Darmanin qui avait donné comme instruction aux préfets de « comprendre la colère et de ne pas intervenir ». Les images à la télé de la préfecture du Lot-et-Garonne à Agen arrosée de lisier pendant des heures en ont dit long sur le respect de ces directives par les forces de l’ordre. Il y en a eu pour 400 000 euros de dégâts à la charge des collectivités, aucune poursuite, ni sanction alors que dans d’autres mobilisations, Darmanin n’a pas hésité à faire traduire des militants pour rien, en comparution immédiate.

Le décor était planté : la CR, c’étaient les grands vainqueurs, les robins-des-bois ! La raison étant qu’il faut absolument que la politique de l’industrie agroalimentaire, de l’Union européenne et du système en place dure. Et pour que cela se poursuive, il faut que les agriculteurs continuent à travailler pour rien. Les gros sont subventionnés et les autres n’ont rien ! Et dans les revendications syndicales agricoles, ni la FNSEA, ni les Jeunes agriculteurs (JA), ni la CR, ni la Confédération paysanne (CP) ne demandent les prix planchers garantis par l’Etat et rémunérateurs ; en quelque sorte, s’en remettre au marché, en espérant avoir des prix pour les agriculteurs. Tout ceci pour faire perdurer cette politique qui conduit toute l’agriculture dans notre pays au désastre.

Pour le gouvernement, il fallait désamorcer la crise. On a vu le Premier ministre Attal sur une botte de paille expliquer qu’il allait lâcher des milliards. Macron en bras de chemise au salon de l’agriculture promettant monts et merveilles et recevant à tour de bras la FNSEA et les JA… Dix mois après, il n’y a toujours rien.

Depuis ces évènements, il s’est passé une chose importante : il y a eu les récoltes (blé, fruits, légumes, etc.) ; elles ont été catastrophiques ! Pas de prix, pas de récoltes ! Cela accentue la crise.

Aujourd’hui, nous sommes avec des agriculteurs qui sont encore plus dans la difficulté avec des aides Pac qui ne sont toujours pas versées parce qu’il n’y a plus d’argent !

On voit à nouveau les panneaux dans les communes, les mobilisations ne reprennent-elles pas ?

La FNSEA a dit qu’elle allait intervenir le 15 novembre. Pourquoi le 15 novembre ? Parce que c’est juste un mois avant le dépôt des listes électorales aux chambres d’agricultures à la préfecture. Une fois que les élections professionnelles seront passées, le silence redeviendra assourdissant !

Peux-tu nous en dire plus sur la situation aujourd’hui ?

Le vin est un exemple intéressant : la baisse de la production mondiale cette année est de 10 % et la baisse de consommation mondiale est de 3 %. Sur le plan français, nous produisions 58 millions d’hectolitres en 2004 ; vingt ans après, c’est 37 millions. Nous avons perdu 20 millions d’hectolitres en France, un million par an depuis vingt ans !

Ceci est dû à une baisse des rendements : nous sommes passés de
74 hectolitres/hectare à 47 hectolitres/hectare. Nous ne sommes pas en surproduction mais sous la pression et la loi des marchands qui se trouvent en quasi-monopoles privés.

En 1998, on m’achetait mon merlot 84 euros l’hecto et j’avais comme frais de vinification auprès de la cave coopérative 6 euros. Aujourd’hui, il est à 70 euros l’hecto et j’ai 18 euros de frais de vinification. Non seulement les rendements ont chuté, les prix ont chuté, mais les frais ont augmenté.

Donc la seule solution pour s’en sortir, ce n’est pas d’arracher encore les vignes, ce n’est pas de baisser les rendements, c’est fait ; c’est le prix du vin qui doit augmenter. La seule et unique question politique qu’il faut poser, c’est : combien le viticulteur a-t-il besoin pour vivre ?

Moi, il me faudrait 160 euros l’hecto.

Pourquoi ne me les donne-t-on pas ? Si les vignerons du Languedoc-Roussillon obtenaient ce tarif-là auprès des négociants, ces derniers devraient nous donner le double de ce qu’ils nous payent, c’est-à-dire 80 euros de l’hecto en plus ! Faisons le compte : 12 millions d’hectolitres produits en Languedoc Roussillon, cela représente 1 milliard d’euros de plus pour les viticulteurs, et ce milliard, le négoce n’est pas près de le lâcher ! Ce milliard serait réinjecté dans l’économie de la région.

A l’heure actuelle, je suis payé 7 centimes le verre. C’est le même problème avec les autres productions : le lait est payé aux éleveurs laitiers 3 centimes le verre !

Et pourtant Lactalis trouve que c’est trop cher et vient de rompre les contrats.

On voit la faillite des lois Egalim qui refusent les prix garantis par l’Etat.

Ces questions devraient être abordées par toutes les organisations syndicales agricoles et ce n’est pas le cas.

Et les agriculteurs, qu’en pensent-ils ?

Collectivement, les agriculteurs pensent que ce serait bien, mais qu’ils ne pourront jamais l’obtenir. Il est certain que si tous les syndicats prenaient la revendication du prix plancher fixé par l’Etat et rémunérateur, cela changerait sans doute la donne !

Comme ce n’est pas le cas, les agriculteurs s’en remettent aux élections générales et certains sont tombés dans le mirage du RN, pensant, à tort de mon point de vue, que ce parti va leur apporter des solutions. Ils ne voient pas que le RN, c’est la continuité du système en place et qu’on ne peut rien attendre d’eux, si ce n’est une politique réactionnaire.

Il y a une polarisation de la société qui sert à ceux qui nous gouvernent, le monde paysan n’y échappe pas. C’est un travail de longue haleine pour les faire changer d’avis.

Les syndicats qui ne parlent pas de prix planchers prônent en revanche l’arrachage de 60 000 hectares de vignes, la FNSEA et la CR en tête. Ils sont prêts à voir partir la moitié des agriculteurs, c’est un désastre pour le monde agricole !

Le cheptel bovin français fond comme neige au soleil ! A la place, c’est l’importation massive de viande, de lait. Les deux productions majeures qui restent sont le vin et le blé, mais pas pour longtemps.

La grande majorité des organisations syndicales participent à la destruction de la paysannerie, que ce soit la FNSEA, en préconisant la concurrence qui élimine les plus faibles, ou la Confédération paysanne qui glorifie la décroissance pour s’adapter au marché. Tout ceci aura le même résultat ! Politiquement, cela revient à dire qu’il faut s’en remettre au marché.

Il va y avoir la discussion sur le traité Mercosur, qu’en penses-tu ?

En avril 2024, le gouvernement français a invité tous les syndicats agricoles pour présenter son projet de loi d’orientation agricole : c’est l’application de la Pac (Politique agricole commune). C’est une loi d’orientation politique, pour dire : voilà, ce que veut la France et ce que veut l’Europe.

Le texte fait 300 pages, et dès le début, il y avait trois lignes qui disaient : « La souveraineté alimentaire de la France sera obtenue grâce aux accords intra et intercommunautaires. » Autrement dit : grâce aux accords commerciaux entre pays européens ou entre pays hors de l’Europe.

Chaque syndicat devait donner ses amendements, toutes les organisations syndicales l’ont fait, sauf le Modef. Nous avons refusé, en expliquant qu’au préalable, il fallait enlever ces trois lignes. Nous avons reçu un refus catégorique. Cette loi n’a pas pu aller jusqu’à son terme car il y a eu la dissolution, mais, elle va être représentée… Il y a de quoi s’interroger !

Des syndicats agricoles étaient prêts à ce que cette loi soit votée avec ce paragraphe, il y a quelques mois, et ils disent aujourd’hui qu’ils sont contre les importations et le Mercosur… Avec, là aussi, dans le viseur, les élections de chambres du 31 janvier prochain : aucun syndicat ne va dire qu’il est pour les importations de viandes ou de lait mais, dans les faits, c’est tout autre chose. C’est la démagogie totale et quand tu mets le curseur sur les intérêts du marché, tu ne le mets pas sur la défense des intérêts du paysan.

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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2024/10/31/dix-mois-apres-ou-en-sont-les-agriculteurs/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/dix-mois-apres-ou-en-sont-les-agriculteurs-io-fr-31-10-24/

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