Eau & Rivières dénonce le classement « manipulé » des eaux de baignade par l’ARS Bretagne (OF.fr-20/06/23)

Laurent Le Berre, surfeur et lanceur d’alerte, administrateur d’Eau & rivières de Bretagne, président de l’Association pour la protection de la Côte des légendes (APPCL).

Propos recueillis par Frédérique GUIZIOU

Entretien avec Laurent Le Berre et Christophe Le Visage, d’Eau et rivières de Bretagne. L’association, qui dénonce au tribunal un classement « manipulé » des eaux de baignade, demande que l’Agence régionale de santé (ARS) corrige ses chiffres : « L’ARS retire du classement les pollutions « à court terme », c’est-à-dire à chaque fois qu’il pleut ! »

Selon Eau & rivières de Bretagne, l’Agence régionale de santé (ARS) a écarté, entre 2016 et 2020, les mauvais résultats sur la qualité des eaux de baignade. L’ARS aurait ainsi déclassé d’importantes pollutions. Ce qui aurait conduit à fausser le classement jusqu’en 2023. Au tribunal, Eau & rivières demande que les statistiques de l’ARS soient rétroactivement corrigées. Une cinquantaine de lieux de baignade ne satisferaient pas aux exigences de qualité en vigueur. Des bactéries nocives à la santé humaine y proliféreraient, bien au-delà des seuils réglementaires. Entretien avec les lanceurs d’alerte Laurent Le Berre et Christophe Le Visage, respectivement administrateur et vice-président d’Eau & rivières.

Se basant sur les résultats des analyses effectuées par l’ARS, des élus finistériens assurent que la qualité des eaux de baignade s’est améliorée ces dernières années. Qu’en pensez-vous ?

Rien n’indique que ça va mieux. Si l’on se fie aux seules informations dont on dispose, c’est-à-dire la surveillance de l’ARS pendant la période d’été, il n’y a aucune amélioration visible : on a toujours les mêmes pollutions qui se produisent dans les mêmes conditions sur les mêmes plages : à chaque fois qu’il pleut, ces plages sont polluées au même niveau. Rien n’a changé depuis presque dix ans. Le seul changement, c’est le classement : il s’est amélioré !

Comment l’expliquez-vous ?

Eau & rivières de Bretagne et les associations locales ont enquêté sur cette contradiction entre le discours de l’ARS et la réalité sur le terrain. Nous avons relevé des « erreurs » systématiques dans les classements réalisés par l’ARS : ils retirent du classement les pollutions « à court terme », c’est-à-dire à chaque fois qu’il pleut. Une fois toutes ces pollutions éliminées, fatalement le classement s’améliore. Comme, de plus, l’amélioration semble progressive, les élus peuvent s’y laisser prendre. C’est très rare que les choses s’améliorent alors que rien n’est fait !

Que reprochez-vous à l’ARS ?

L’ARS améliore artificiellement, depuis 2017, le classement des eaux de baignade. Nous avons donc porté ce contentieux devant le tribunal administratif à Rennes, le 5 juin 2023. Notre rapport est accablant. Sur les 15 % des plages du Finistère surveillées par l’ARS, entre le 15 juin et le 15 septembre, des analyses sont effectuées tous les quinze jours, confirmant, ou pas, la présence de bactéries, signe incontestable de pollution. Sur quatre années successives de prélèvements, le classement s’améliore de 25 % chaque année malgré les pollutions décelées.

Pouvez-vous nous donner un exemple précis ?

Quand par exemple, une tonne à lisier se renverse sur une plage, c’est un accident. Un troupeau de génisses qui s’échappe sur la plage en y déposant ses bouses : c’est une pollution à court terme. C’est une exception, on a le droit de la retirer. Sauf que cette exception est utilisée systématiquement par l’ARS. Qui classe donc, à tort, la plupart des pollutions dans la case à court terme. En se permettant d’extraire des pollutions du classement, l’ARS, qui est censée veiller sur notre santé, participe à une entreprise de désinformation de la qualité des eaux de baignade : elle donne aux nageurs l’illusion qu’ils se baignent dans une eau propre.

D’où viendrait la pollution alors ?

Il y a deux possibilités : soit la pollution vient des humains, soit elle vient des animaux. Qui dit « humains » dit assainissement, individuel ou collectif. Et même si des fuites peuvent se produire dans un petit habitat dispersé, sans assainissement aux normes, ça ne provoque qu’un très faible flux de bactéries, pas compatible avec les grosses pollutions observées… Quant aux animaux, il y a les animaux domestiques, comme des chiens ou des chevaux qui se promènent. Et les animaux moins domestiques, moins visibles : les animaux d’élevage.

Lire aussi : Pollutions animales : dans le Finistère, « on doit regarder les choses en face »

Quelles sont les caractéristiques de ces pollutions ?

Un seul « symptôme » est systématiquement identifié : c’est pollué quand il pleut ! Mais la pluie n’est pas la cause clairement identifiable de la pollution. La pluie ne contient pas de bactéries. Encore moins de bactéries fécales comme les Escherichia coli. À chaque fois qu’il pleut sont donc relevées des pollutions particulièrement importantes, venant de la terre. Pour nous, ce ne sont pas des pollutions à court terme mais des pollutions chroniques. Pourtant, l’ARS classe 90 % des pollutions comme à court terme. Pour éviter des fermetures de plages en cascade.

Sur quelles données se base votre enquête ?

Nous avons exigé d’obtenir du schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage) du Bas-Léon, les résultats des mesures bactériologiques effectuées sur les ruisseaux, les cours d’eau. Sur toutes les plages polluées arrivent des ruisseaux. Chaque fois qu’il pleut, les ruisseaux sont pollués et ils polluent les eaux de baignade. Sur la plage du Corsen par exemple, il n’y a jamais de problème. En revanche, chaque fois qu’un ruisseau serpente sur un bassin-versant, on y trouve des pollutions. Beaucoup de bactéries. Et toute l’année.

Vous avez remonté des pistes ?

On est remontés en amont, vers la source des pollutions. Sur la partie nord de l’Iroise, entre Lanildut et Ploudalmézeau, on a calculé, dans les règles, les flux de bactéries : en les rattachant au nombre d’animaux, des milliers et des milliers, dans les élevages, en y insérant les données concernant les épandages. Petite précision : les bactéries survivent très longtemps dans les fosses à lisier avant d’être épandues dans les champs où elles peuvent encore vivre des semaines

Et les cochons produisent 30 fois plus que les humains.

Les flux de bactéries sont extrêmement importants. Un cochon d’élevage produit, chaque jour, l’équivalent de 30 humains ! Selon des études de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’Ifremer, le flux de bactéries, chez les cochons, est 30 fois plus important que chez les humains, cinq fois plus important que chez les bovins. 10 000 cochons produisent autant de bactéries que 300 000 humains. C’est comme si 300 000 humains allaient répandre leurs eaux usées dans les champs, sans les traiter. Ça fait beaucoup !

Source: https://www.ouest-france.fr/environnement/pollution/eau-rivieres-denonce-le-classement-manipule-des-eaux-de-baignade-par-lars-bretagne-2a0b497c-0ddf-11ee-891e-aa538ff341aa

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